Recettes fiscales: une alternative à la dette en Afrique

Panel sur la dette africaine, le 13 juin 2023 à Marrakech, lors du Bloomberg New Economy Gateway Africa.

Le 18/06/2023 à 11h12

Une meilleure mobilisation des recettes fiscales pourrait permettre aux pays africains de réduire leur dette colossale. C’est l’une des solutions préconisées lors d’un panel sur la gestion de l’endettement en Afrique, organisé à la conférence internationale «Bloomberg New Economy Gateway Africa» qui s’est déroulée les 13 et 14 juin 2023 à Marrakech.

C’est un secret de polichinelle. La dette publique constitue un lourd fardeau pour les pays africains. Une triste réalité confirmée par le rapport Trade and Development Report Update de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), qui révélait que huit pays africains sont «en situation de surendettement». Il s’agit de la RDC, du Malawi, du Mozambique, de Sao Tomé-et-Principe, de la Somalie, du Soudan, de la Zambie et du Zimbabwe. Treize présentent un «risque élevé».

Une véritable alerte qui en dit long sur le niveau d’insolvabilité des économies africaines. Pour alléger ce surendettement, plusieurs alternatives s’offrent à ces pays, particulièrement la mobilisation des recettes fiscales. C’est l’une des solutions préconisées lors d’un panel sur la gestion de la dette africaine organisée lors du Bloomberg New Economy Gateway Africa qui s’est déroulé les 13 et 14 juin 2023 à Marrakech.

D’après Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI), les Etats africains devraient élargir leur assiette fiscale et réduire les incitations fiscales non essentielles. «Ces mesures permettront d’augmenter progressivement le ratio impôts/PIB au fil du temps. L’expérience montre que les pays peuvent augmenter leur collecte fiscale d’environ 0,5% à 1% de pourcentage du PIB par an», affirme-t-il.

Mobiliser d’importantes recettes fiscales n’est pas chose aisée en Afrique. Les contribuables sont souvent peu enclins à payer leurs impôts, bon nombre d’entre eux craignant que l’argent collecté ne soit pas utilisé à bon escient. «La fiscalité est une source de financement plus efficace que l’endettement. Il est nécessaire d’établir une relation de confiance entre le gouvernement et les contribuables pour améliorer la collecte fiscale», souligne Aminu Umar-Sadiq, directeur général du fonds souverain du Nigeria, Nigeria Sovereign Investment Authority (NSIA).

Selon lui, Lagos a mis en place une stratégie dans ce sens, couplée à un programme de protection sociale «qui a permis d’augmenter l’assiette fiscale et qui a encouragé les gens à payer leurs impôts».

L’expérience du Maroc pourrait également inspirer d’autres pays du continent. Lors de ce débat très enrichissant, Nadia Fettah Alaoui, ministre marocaine de l’Economie et des finances a révélé que le gouvernement a mis en place une réforme macro-économique pour renforcer la confiance des entreprises dans la collecte des recettes fiscales.

Résultats: le pays a réussi à augmenter ses revenus fiscaux de 21% en 2021 et de 17,4% en 2022. «Nous avons également mis en place un système de protection sociale incitatif. Lorsque les personnes voient les avantages de la sécurité sociale, comme l’accès aux soins médicaux, elles sont plus disposées à payer leurs impôts», soutient-elle.

Globalement, tous ces experts en économie estiment que les chocs externes, notamment la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ont provoqué la hausse du dollar et une une baisse des monnaies africaines. Une situation «qui entraine une évaluation disproportionnée des risques en Afrique, engendrant une prime de risque environ trois fois plus élevée que dans les marchés émergents», constate Nadia Alaoui. Pis, «les pays qui manquaient de résilience et dont les marchés financiers étaient peu développés sont poussés à bout, et certains sont même confrontés à des problèmes de solvabilité», souligne Abebe Selassié.

Restructurer la dette

Les taux élevés d’emprunt sont un autre goulot d’étranglement pour les pays africains. «Il est insoutenable d’emprunter sur les marchés financiers à des taux de 9% ou 10%, surtout quand les dépenses se focalisent sur les secteurs sociaux comme l’éducation, et la santé», déplore Anne-Laure Kiechel, fondatrice et directrice générale de Global Sovereign Advisory.

Selon elle, le ratio dette/PIB en Afrique était d’environ 56% en 2022, soit le niveau le plus élevé depuis 2000. Pour Sélassié, «quand la dette n’est pas soutenable, il faut la restructurer. La plupart des pays ont besoin de soutiens internes et externes. C’est un défi de solvabilité et de maintien d’accès aux marché de financement».

Le rôle de la communauté internationale dans l’allégement de la dette africaine a aussi été évoqué par les panélistes. «La communauté internationale a également un rôle à jouer et elle a le devoir d’aider l’Afrique à résoudre cette crise, face à ces chocs sans précédent auxquels nous sommes confrontés», suggère Nadia Alaoui. D’après la ministre, les prochaines Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, prévues en octobre 2023 à Marrakech, seront une belle occasion pour exposer cette doléance.

«Nous avons joué et continuerons à jouer un rôle important dans ce sens», rassure Sélassié. Le directeur du département Afrique du FMI a d’ailleurs révélé durant ce panel que la Zambie est sur le point de conclure un prêt de 188 millions de dollars avec le FMI. «Les discussions sont extrêmement actives et nous avons bon espoir de finaliser cet accord dans les prochaines semaines», déclare-t-il.

Rappelons que ce pays d’Afrique australe avait annoncé en 2020, en plein Covid-19, un défaut de paiement de sa dette extérieure qui s’élevait à 17 milliards de dollars à l’époque.









Par Elimane Sembène
Le 18/06/2023 à 11h12