Recettes touristiques en Afrique du Nord: pourquoi l’Egypte demeure leader devant le Maroc, et la Tunisie reste à la traine

Le 26/01/2025 à 11h11

Les recettes touristiques au niveau des trois premières destinations touristiques d’Afrique du Nord, prises globalement, ont atteint un niveau record de 28,20 milliards de dollars au titre de 2024. Toutefois, si le Maroc a damé le pion à l’Egypte en s’adjudant la première place de destination touristique du continent, le pays des Pharaons demeure le leader des recettes de voyages. Une situation qui s’explique par l’écart important en termes de dépenses moyennes par touriste entre les trois pays nord-africains. Décryptage.

2024 restera une année touristique exceptionnelle marquée par des records d’arrivées et de recettes au niveau mondial, avec un total de 1,4 milliard de touristes, en hausse de 11% par rapport à l’année précédente, selon les estimations fournies par l’ONU Tourisme. Parallèlement, les recettes touristiques, au niveau mondial, se sont établies à 1.600 milliards de dollars, en hausse de 3% par rapport à 2023, et en progression de 4% de plus qu’en 2019. Ainsi, «en 2024, le tourisme mondial a achevé son rétablissement post-pandémie», s’est félicité le secrétaire général de l’ONU Tourisme, Zurab Pololikashvili, qui fait état de chiffres «supérieurs à ceux de 2019» dans de nombreuses régions.

Cette embellie touristique a fortement bénéficié à la région Afrique du Nord qui comprend trois des quatre principales destinations touristiques du continent africain: l’Egypte, le Maroc et la Tunisie. Outre les records d’arrivées de touristes enregistrés par ces trois pays, avec 43,35 millions de visiteurs en 2024, contre 38,80 millions en 2023, soit une hausse de 11,72%, grâce particulièrement à la performance exceptionnelle réalisée par le Maroc (+20% à 17,4 millions de visiteurs), les recettes de voyages des trois pays aussi ont atteint un niveau record de 28,20 milliards de dollars. Toutefois, pour ces trois pays, prise globalement, la progression des recettes touristiques a été faible, car elle a évolué de seulement 2,43% par rapport à 2023. Une situation qui s’explique par le repli des recettes égyptiennes (-0,67% par rapport à 2023), malgré un nombre record d’arrivées, et la progression modérée de celle du Maroc, en évolution de seulement 4,80%, alors que les arrivées de voyageurs sont en progression de 20%.

A noter que si l’Egypte a été détrônée par le Maroc en tant que première destination touristique en termes d’arrivée, elle conserve sa première place en ce qui concerne les recettes engrangées durant l’exercice 2024.

Cette situation ne constitue pas un cas unique à la région. Au niveau mondial, la France est la première destination en termes d’arrivée avec près de 100 millions de visiteurs étrangers en 2024, contre 85 millions pour l’Espagne. Toutefois, l’Espagne a engrangé 84,9 milliards d’euros de recettes de voyages contre seulement 63,5 milliards d’euros pour la France. Une situation qui s’explique par un écart important de dépense par touriste, soit 650 euros en France contre 1000 euros en Espagne, ce qui résulte de plusieurs facteurs: le nombre de visiteurs internationaux en transit, la structure d’hébergements consommés par les touristes qui diffère (hôtels de luxe, 5*, 4*, 3*…, hébergement locatif…), la durée de séjour des touristes (nuitées), la qualité dépensière des visiteurs selon leur origine géographique…

Maroc: les recettes touristiques s’établissent à 110 milliards de dirhams

Après avoir accueilli un nombre record de touristes (17,4 millions de touristes), le Maroc a aussi engrangé des recettes touristiques d’un montant record de 110 milliards de dirhams, selon la ministre du Tourisme, de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire, Fatim-Zahra Ammor. Un niveau exceptionnel qui fait figurer les recettes de voyages parmi les principales sources de devises du Royaume après les exportations et les transferts des Marocains résidant à l’étranger.

Toutefois, malgré une forte augmentation des arrivées de touristes de 20% (presque 3 millions de touristes), les recettes n’ont pas suivi la même évolution en ne progressant que de 4,80% en 2024, comparativement à l’année précédente. Une situation qui s’est traduite par la baisse du ratio dépense moyenne par touriste. Celle-ci s’est établie à 632 dollars en 2024, contre 724 dollars par visiteur en 2023.

Une situation qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. D’abord, si les arrivées ont progressé de 20%, les nuitées n’ont évolué que de 10%. Ce qui peut s’expliquer par une durée de séjour des touristes moins longue dans les établissements d’hébergement classés. Ensuite, il y a le nombre important de Marocains résidant l’étranger qui représentent 49% des arrivées et dont une grande majorité ne fréquente pas les établissements hôteliers durant leur séjour au Maroc. En outre, certains touristes ne fréquentent pas des établissements d’hébergement classés et donc leurs nuitées ne sont pas recensées par les statistiques officielles. Par ailleurs, les touristes étrangers visitant le Royaume sont dominés par les Français (2,42 millions) et les Espagnols (1,50 million). Il s’agit globalement de touristes moins dépensiers que ceux venant d’Allemagne, de la Suisse, de la Russie… qui sont plus nombreux à visiter l’Egypte.

Tunisie: nécessité de faire évoluer le modèle touristique peu générateur de devises

Avec 10,25 millions d’arrivée de touristes, la Tunisie a battu son record de 2019 (9,43 millions de visiteurs). Toutefois, au niveau des recettes également, exprimée en monnaie locale et en dollars américains, le pays a enregistré des niveaux records. En effet, les recettes de voyages se sont établies, selon la Banque centrale de Tunisie, à 7,50 milliards de dinars, en hausse de 8,3%, soit 2,41 milliards de dollars. Une progression légèrement moins importante que celle des arrivées (+9,40%).

Toutefois, globalement, les recettes générées par le secteur sont faibles par rapport aux arrivées touristiques. Cela est dû au faible niveau des dépenses des touristes. En effet, la dépense moyenne par touriste s’est s’établie autour de 235 dollars en 2024, contre 632 dollars au Maroc et 943 en Egypte. C’est dire que les visiteurs étrangers dépensent peu en Tunisie, en raison d’un certain nombre de facteurs. D’abord, il y a le modèle touristique tunisien qui met l’accent sur un tourisme de masse via les formules «all inclusive», profitant essentiellement aux Tours opérateurs européens avec des séjours à petit prix ne générant que très peu de recettes. A titre d’exemples, des offres avec des tarifs autour de 300 euros pour 5 nuits sont proposées avec des formules tout compris (vol + transfert + club tout inclus) sont fréquemment offertes aux visiteurs étrangers par les Tours opérateurs sur la destination Tunisie.

Ensuite, cette faiblesse des recettes s’explique aussi par le fait que plus de 34% des touristes viennent de l’Algérie voisine (3,51 millions de visiteurs algériens en 2024). Il s’agit globalement de touristes ayant un pouvoir d’achat beaucoup plus faible que ceux du marché européen et qui dépensent beaucoup moins, du fait notamment de la faiblesse de la dotation touristique algérienne (moins de 100 euros jusqu’à fin 2024) et du niveau du taux de change élevé des devises au niveau du marché parallèle.

En outre, cette faiblesse des dépenses s’explique aussi par les durées de séjour des touristes globalement courtes.

Pour 2025, la Tunisie devrait continuer à drainer des touristes grâce aux offres «all inclusive» très compétitives des clubs au niveau des stations balnéaires du pays. Pour bénéficier davantage de ressources, le pays doit monter de gamme en misant sur les richesses culturelles du pays, son tourisme saharien…

Egypte: les recettes en légère baisse sous l’effet de la dépréciation de la livre égyptienne

L’Egypte, à l’instar du Maroc et de la Tunisie, a enregistré une arrivée record de touristes en 2024 avec 15,7 millions de visiteurs, se classant au second rang des destinations touristiques africaines derrière le Maroc. Toutefois, le pays des pharaons a conservé son rang de premier bénéficiaire des recettes touristiques du continent. Le pays a engrangé 14,80 milliards de dollars de recettes en devises l’année dernière. Alors que le Maroc a enregistré plus de 1,7 million de visiteurs que l’Egypte, le Royaume accuse moins de 3,8 milliard de dollars de recettes touristiques par rapport à ce pays.

Une situation qui s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, historiquement, grâce à son positionnement touristique, l’Egypte affiche un taux de dépense moyenne par touriste beaucoup plus élevé que le Maroc. Ainsi, en 2024, la dépense moyenne d’un touriste en Egypte est de 943 dollars, contre 632 dollars au Maroc, soit un gap de 311 dollars par touriste. Cela est dû, en partie, à l’origine des touristes étrangers qui viennent principalement d’Allemagne, de la Suisse, de l’Autruche et du Royaume Uni, et qui sont plus dépensiers que les touristes français et espagnols qui sont très majoritaires au Maroc. En outre, la durée de séjour des touristes est beaucoup plus longue avec des nuitées beaucoup plus importantes en Egypte qu’au Maroc. Ainsi, les nuits passées dans les lieux d’hébergement payant (hôtel, campings…) se sont établies à 151 millions en Egypte, contre 28,20 millions au Maroc en 2024. Les touristes restent donc beaucoup plus longtemps en Egypte et fréquente davantage les établissements d’hébergement classés qu’au Maroc et, en conséquence, ils dépensent plus.

Cependant, malgré une hausse des arrivées de 5,40%, les recettes de voyages en Egypte affichent une légère baisse de -0,67% par rapport à 2023, sous l’effet de la dépréciation de la livre égyptienne, mais aussi à cause de l’impact de la conjoncture régionale qui a poussé les professionnels à jouer sur les tarifs pour attirer davantage de touristes inquiets par les tensions régionales.

En effet, le 6 mars 2024, la livre a connu une énième dévaluation qui a fait passer le taux de change de 31 livres pour 1 dollar à presque 50 livres pour le même dollar. Si la dépréciation de la livre égyptienne rend la destination plus compétitive pour les touristes étrangers venant des pays à monnaies fortes (dollar, euro, livre sterling, franc suisse….), elle a aussi tendance à réduire le volume des recettes en devises étrangères. Les avantages liés au taux de change plus favorable permettent aux touristes de dépenser moins en monnaie locale pour l’acquisition de certains biens et services. Ce qui explique le repli des recettes en devises malgré des arrivées records de touristes en 2024.

Du côté des perspectives, 2025 s’annonce meilleure avec l’accord de cessez-le-feu signé entre Israël et le Hamas. Cela devrait booster les arrivées de touristes en Egypte en 2025 et donc impacter très positivement sur les recettes touristiques du pays. Les sites emblématiques dont les pyramides de Gizeh, le Sphinx et les temples antiques de Louxor devront continuer à attirer des millions de visiteurs et les croisières sur le Nil devront stimuler les recettes avec le retour au calme au niveau du Canal de Suez. Cela permettra à l’Egypte de réaliser son objectif de 18 millions de visiteurs, qui était prévu pour 2024, mais que les tensions au Moyen-Orient n’ont pas permis d’atteindre. Toutefois, l’objectif de 30 milliards de dollars de recettes en 2028 reste un peu trop ambitieux, malgré la forte résilience du secteur touristique égyptien.

Arrivées, recettes et dépenses moyennes par touristes en 2024 au Maroc, en Egypte et en Tunisie.

PaysArrivées de touristes
(en millions)
Recettes touristiques
(en milliards de dollars)
Dépense moyenne par touriste (en dollars)
Egypte15,714,8943
Maroc17,4011632
Tunisie10,252235


Bref, après une année 2024 exceptionnelle, 2025 devrait confirmer les belles performances touristiques enregistrées par les trois pays d’Afrique du nord. L’organisation de la CAN 2025 au Maroc, le retour de la paix à Gaza, l’augmentation des interconnexions aériennes... devraient contribuer à consolider les acquis de l’année écoulée.

Par Moussa Diop
Le 26/01/2025 à 11h11