Solaire, éolien, hydrogène...Comment Dubaï érige un pipeline de projets verts en Afrique

Lors de la signature d'une convention entre Masdar et le ministère ivoirien des Mines pour le développement d'une centrale solaire allant jusqu'à 70 mégawatts, le 10 mars 2023 à Abou Dabi.

Le 19/09/2023 à 10h40

Les Emirats arabes unis multiplient, depuis presque une décennie, les projets de développement d’énergies renouvelables en Afrique. Ces investissements, qui concernent plusieurs régions du continent, entrent dans le cadre d’un vaste programme de transition énergétique savamment orchestré par le septième producteur mondial de pétrole et treizième producteur gazier. Décryptage.

Plus de quatre milliards de dollars (4,5 milliards de dollars), c’est la somme mirobolante que les Emirats arabes unis comptent investir dans différents projets d’énergies renouvelables en Afrique au cours des sept prochaines années. Sultan Al Jaber, PDG de la société gouvernementale spécialisée dans les énergies propres Masdar, en a fait l’annonce le mardi 5 septembre, lors du Sommet africain sur le climat qui s’est tenu au Kenya.

D’après lui, cet investissement vise «à développer 15 gigawatts (GW) d’énergie propre d’ici 2030» sur le continent et à «catalyser au moins 12,5 milliards de dollars supplémentaires provenant de sources multilatérales».

Cette forte annonce du dirigeant émirati constitue un nouveau jalon dans l’ambitieuse stratégie verte de Dubaï en Afrique. Un méga-programme dont le vaisseau-amiral se nomme Masdar, acronyme d’Abu Dhabi Future Energy Company, fondé en 2006, et actif dans plus de 40 pays.

Sa dernière initiative en date, la signature, le 6 septembre, d’un protocole d’accord avec la plateforme africaine d’investissement dans les infrastructures Africa50, pour financer à hauteur de 10 milliards de dollars des grands projets d’énergie propre en Afrique d’ici à 2030.

Depuis presque une décennie, ce conglomérat se déploie dans plusieurs pays du continent où il est actif dans d’importantes infrastructures vertes. L’un de ses premiers projets, c’est le lancement, en novembre 2016, de la construction de huit centrales photovoltaïques d’une capacité totale de 16,6 mégawatts (MW) dans des zones rurales en Mauritanie. Des sites qui permettront d’alimenter 39.000 ménages en électricité.

En mars 2023, Masdar renforce sa présence à Nouakchott, en intégrant un consortium composé du groupe allemand Conjuncta et du fournisseur d’énergie égyptien Infinity, qui prévoit d’investir 32 milliards d’euros dans un projet d’hydrogène vert. Une méga-usine qui sera érigée dans une zone située au nord-est de la capitale mauritanienne.

Ce complexe, d’une capacité de production annuelle de 8 millions de tonnes d’hydrogène vert et de différents produits fabriqués à base d’hydrogène, devrait être opérationnelle en 2028.

Actif dans le projet Noor Midelt I au Maroc

Le géant émirati est également actif au Maroc. En mai 2019, un consortium qu’il compose avec le français EDF et Green of Africa est choisi par l’Agence marocaine pour l’énergie durable (MASEN) pour la première phase du projet solaire de Noor Midelt I. Un groupe qui va assurer la conception, la construction, et l’exploitation-maintenance de cette centrale d’une puissance installée de 800 MW, qui fait partie du projet de complexe solaire multi-technologies de Noor Midelt.

Le pays des pharaons figure aussi dans le portefeuille de projets d’Abu Dhabi Future Energy Company. Le 6 juin dernier, le groupe a signé un accord avec le gouvernement égyptien pour la construction d’un giga-parc éolien de 10.000 mégawatts (10 GW). Un projet que le groupe réalisera avec Infinity Power et Hassan Alam Utilities.

Ce complexe, d’un coût de 10 milliards de dollars, aura une capacité de production annuelle de 47.790 gigawatts/heure (GWh), et permettra à l’Egypte d’accroître sa production d’énergies renouvelables et par ricochet, d’hydrogène vert. Cette infrastructure renforcera aussi les capacités de Masdar qui ambitionne de produire un million de tonnes d’hydrogène vert par an d’ici à 2030.

Outre l’Afrique du Nord, Masdar étend son empire vert en Afrique de l’Ouest. Sa première destination, la Côte d’Ivoire, avec la signature le 10 mars, d’un accord avec le gouvernement pour explorer le développement d’une centrale solaire d’une capacité maximale de 70 MW.

Deux mois plutôt, en janvier 2023, la multinationale émiratie avait paraphé des accords avec l’Angola (2 GW), la Zambie (2GW) et l’Ouganda (1 GW), pour un total de 5 GW d’énergie renouvelable.

A noter que ces différents financements entrent dans le cadre de l’initiative Etihad 7 dirigée par les Emirats arabes unis, qui vise à mobiliser des fonds publics et privés pour investir dans le développement des énergies renouvelables en Afrique. Objectif: produire jusqu’à 20 gigawatts (GW) d’énergies vertes pour fournir de l’électricité à 100 millions de personnes en Afrique d’ici 2035.

AMEA Power, seconde locomotive verte des Emirats

En plus de Masdar, un autre groupe émirati est également très présent en Afrique: AMEA Power. L’un de ses plus grands projets sur le continent, c’est le parc éolien de 500 MW que l’entreprise dubaïote développe en Egypte, depuis décembre 2022, à Assouan aux abords de la mer Rouge, en partenariat avec le japonais Sumitomo Corporation qui détiendra 40% des parts de ce site.

Elle y construira aussi une centrale solaire photovoltaïque de 500 MW, qu’elle détiendra et exploitera. Deux mégaprojets d’un investissement de 1,1 milliard de dollars. AMEA a annoncé avoir conclu des accords d’achat d’électricité avec la société égyptienne de transport d’électricité (EETC) pour ces deux projets.

Déjà en novembre 2022, en marge de la COP27 à Sharm-El-Sheikh, l’énergéticien émirati, présent dans 15 pays à travers le monde, avait signé un accord-cadre avec le gouvernement égyptien pour développer un projet d’hydrogène vert de 1000 MW qui produira jusqu’à 800 0000 tonnes d’ammoniac vert destinées à l’export.

AMEA Power opère également au Maroc. Fin avril 2022, l’entreprise a remporté un appel d’offres international de MASEN, pour la construction de deux centrales solaires de 36 MW chacune, à Taroudant (sud du pays) et à El Hajeb, dans la région de Fès-Meknès. Deux projets qui entrent dans le cadre de la première phase du programme Noor PV II, d’une capacité totale de 330 MW.

La Côte d’Ivoire séduit aussi la société dubaïote qui a signé, le 16 janvier 2023, un accord de concession et un contrat d’achat d’électricité de 25 ans avec le gouvernement, pour un projet solaire photovoltaïque de 50 MW. Ce site, d’un investissement d’environ 60 millions de dollars, produira chaque année plus de 85 GWh d’énergie pour fournir de l’électricité à 35.000 personnes environ.

Au Togo, elle exploite la centrale solaire de Blitta (50 MW) dont elle a annoncé l’augmentation de sa capacité à 70 MW fin novembre 2022, pour alimenter plus de 222.000 foyers.

AMEA se déploie aussi en Afrique australe. Le groupe a noué le 9 novembre 2022, un partenariat avec le Malawi pour la construction d’une centrale solaire de 50 MW. Il construira aussi une centrale solaire de 120 MW en Afrique du Sud.

L’Afrique de l’Est aussi figure dans son catalogue. Son récent projet dans la région, c’est la construction d’une usine d’hydrogène vert d’une capacité initiale d’1 GW au Kenya annoncée le 6 septembre lors du sommet sur le climat. «L’usine sera installée dans le port de Mombassa pour faciliter les exportations et utilisera de l’électricité produite par des centrales géothermiques», a précisé Hussain Al Nowais, président du groupe.

Un vaste programme de transition énergétique

Il a aussi déclaré que son groupe étudie la possibilité d’installer une usine d’hydrogène vert à Djibouti, qui pourrait utiliser l’énergie éolienne ou solaire.

Ce foisonnement des investissements émiratis en Afrique est loin d’être anodin, cela s’inscrit dans le cadre d’un vaste programme de transition énergétique d’Abu Dhabi. Septième producteur mondial de pétrole et treizième producteur gazier, les Emirats misent de plus en plus sur les sources vertes ces dernières années pour se préparer à l’ère post-hydrocarbures.

En juillet 2023, le gouvernement émirati a approuvé la mise en place d’une «stratégie énergétique nationale» qui vise à tripler la production des énergies renouvelables d’ici 2030. Avec à la clé, un investissement d’environ 50 milliards d’euros, pour répondre à la demande croissante en électricité. Mieux, les Emirats ambitionnent de devenir producteurs et exportateurs d’hydrogène vert au cours des huit prochaines années.

L’autre ambition de Dubaï, c’est d’atteindre une part de marché de 25% dans les principaux pays importateurs d’énergie tels que l’Allemagne, le Japon, l’Inde, ou encore la Corée du Sud. Et pour atteindre cet objectif, le pays misent sur les infrastructures d’envergure, comme la future plus grande centrale solaire au monde qui est en train d’être construite à 35 kilomètres d’Abu Dhabi. Un mégaprojet développé par un consortium formé par le français EDF Renouvelables et le groupe chinois Jinco Power. D’une puissance installée de 2GW, elle fournira de l’électricité à 160.000 foyers.

Pour relever ce challenge vert, l’Etat investit aussi dans la recherche et développement (R&D), notamment à travers un centre d’innovation solaire qui développe et teste de nouvelles technologies de production et d’entretien.

Cette stratégie s’accompagne aussi d’une intense diplomatie verte. En atteste la tenue à Dubaï de la prochaine Conférence des Parties sur le climat de l’ONU (COP 28) du 30 au 12 décembre 2023. Ce qui en dit long sur le virage énergétique emprunté par Abu Dhabi.

Par Elimane Sembène
Le 19/09/2023 à 10h40