L’Afrique est de plus en plus convoitée pour ses minerais et métaux rares dans le cadre de la transition énergétique en cours. Dans l’optique de réduire l’emprunte carbone, les innovations technologiques développées ces dernières années font appel à différents minerais et métaux raffinés, comme le cobalt, le cuivre, le lithium, le nickel, l’aluminium, le manganèse, le graphite…
De fortes demandes de ces minerais et métaux stratégiques sont attendues dans les années à venir, notamment pour accompagner le développement des véhicules électriques (cobalt, cuivre, lithium...), des piles à combustible (platine, palladium, rhodium…), de l’énergie éolienne (cuivre, neodyne, terbium…), de l’énergie solaire (silicium, cuivre, cadmium, indium…), des batteries (lithium, cobalt, nickel…),…
En conséquence, cette transition énergétique et technologique (digitalisation, smart grids…) va exercer une forte pression sur les ressources minérales avec un risque au niveau des approvisionnements en minerais stratégiques. A titre d’illustration, entre 2025 et 2050, le marché des voitures électriques devrait représenter des milliers de milliards de dollars.
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S’il fallait 50 kilogrammes de minerais pour une voiture thermique, il en faudra plus de 200 kilogrammes pour un véhicule électrique. Une situation qui s’explique par le fait que si la voiture thermique n’utilise que du cuivre et du manganèse, l’électrique a besoin, en plus, du graphite, du lithium, du nickel et du cobalt pour la réalisation de sa batterie. Du coup, face au boom attendu des voitures électriques, le Fonds monétaire international estime que la valeur de ces métaux devrait se multiplier par 6 d’ici 2030.
La rareté de ces minéraux stratégiques que plusieurs pays africains possèdent dans leurs sol et sous-sol fait que les pays développés et les géants de l’automobile, tous lancés dans la production de véhicules électriques, se battent pour garantir leurs approvisionnements futurs en métaux rares.
Certains pays africains devraient fortement tirer profit de cette demande mondiale. C’est le cas de la République démocratique du Congo, un scandale géologique par le nombre de mines que renferme son sol et son sous-sol, mais aussi du Mozambique, de l’Afrique du Sud, de la Tanzanie, du Mali, de Madagascar, du Burundi, de l’Angola… En attendant, on assiste à une course entre la Chine et les pays occidentaux pour le contrôle de la production des mines africaines.
Cobalt: 70% de la production mondiale provient de la RDC
Le cobalt est l’un des minerais dont la demande va fortement augmenter dans les années à venir. Ce minerai est utilisé dans la production des batteries de véhicules électriques. Selon les projections de Mining Weekly, la demande annuelle devrait passer de 120.000-130.000 tonnes actuellement entre 240.000 et 260.000 tonnes à l’horizon 2025.
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Mais le problème avec ce minerai est que sa production est fortement concentrée en RDC. Le pays dispose de réserves estimées à 25 millions de tonnes, soit 50% des réserves de la planète. Celles-ci sont localisées dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba. Actuellement, la RDC fournit plus de 70% du cobalt échangé sur le marché mondial. La production record du pays a été atteinte en 2018 avec un volume de 111.358 tonnes.
Toutefois, pour pleinement tirer profit de cette demande mondial du cobalt, la RDC devrait obliger les investisseurs étrangers à transformer sur place la production. Les autorités souhaitent ainsi attirer les géants mondiaux pour la fabrication de batteries électriques sur place afin de tirer profit d’une industrie qui pèse environ 8.000 milliards de dollars. D’ici 2030, selon les projections, le marché mondial des véhicules électriques pourrait dépasser 1.300 milliards de dollars, contre 46 milliards de dollars en 2021. Une aubaine pour la RDC, dont le gouvernement a désigné le cobalt «minerai stratégique».
En attendant, ce sont les entreprises chinoises qui se font du beurre sur le cobalt congolais. Parmi les entreprises présentent dans le secteur figurent Zhejiang Huayou Cobalt, China Railway Group, China Molybdenum Co, China Nonferrous Metal Mining Company, Jinchuan Group (2e producteur mondial de cobalt), Hong Kong Excellen Mining Investment et Tenngyuan Cobalt Industry (leader mondial des batteries). Les entreprises chinoises assurent la moitié de la production du pays et plus de 80% du cobalt métal produit en RDC est destiné à la Chine, qui sécurise ainsi son approvisionnement et sa place de principal fabricant de batteries électriques.
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D’autres acteurs mondiaux sont néanmoins présents dans le pays, dont le suisse Glencore et Eurasian Resources Groupe (Kazakhstan)...
Lithium: d’importantes ressources non encore explorées
Minerai indispensable aux batteries lithium-ion utilisées dans les voitures électriques, le lithium entre aussi dans la fabrication de nombreux composants électriques, des éoliennes et des panneaux solaires. Il est rare, ce qui le classe parmi les métaux critiques, avec une demande mondiale qui devrait atteindre 2 millions de tonnes à l’horizon 2030. Raison pour laquelle son cours a bondi de près de 500% en 2021. La tonne de lithium, qui valait 6.400 euros en janvier 2021, a atteint 65.000 euros en juin dernier.
La Bolivie, l’Argentine et le Chili dispose des plus grandes réserves prouvées. Toutefois, c’est l’Australie qui domine la production de ce métal devant le Chili et la Chine.
En Afrique, ce lithium est à ce jour à peine exploré, bien que la RDC, la Mali, le Zimbabwe, la Namibie et le Ghana en possèdent. Mieux, selon certaines estimations, la RDC pourrait détenir la plus grande réserve au monde de roche dure. Et la mine de Manono, dans l’est du pays, dont le contrôle oppose le chinois Zijin à l’autralien AVZ Minerals, pourrait être le plus grand gisement de lithium du monde avec des réserves estimées à 400 millions de tonnes.
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Le Zimbabwe, 5e producteur mondial de lithium, avec une mine en activité, était le seul pays africain à produire ce minerai jusqu’à une date récente. Et le pays dispose encore d’importantes ressources non exploitées. Les autorités avancent même que les réserves permettraient d’assurer le 1/5 de la demande mondiale en lithium. Récemment, de nombreuses entreprises chinoises (Zhejiang Huayou Cobalt, Shenzhen Chengxin Lithium Group et Sinomine Resource Group) ont engagé des investissements dans le lithium au Zimbabwe.
Le Mali aussi a son mot à dire et pourrait devenir un des géants de la production de lithium. Un consortium australo-chinois dirige la première mine de lithium du pays à Goulamina, tablant sur une première production de concentré de spodumène SC6 en début 2024 à 560.000 tonnes dans une première phase et une montée en puissance pour atteindre 831.000 tonnes dans une seconde phase. Avec des réserves estimées à 108,4 millions de tonnes et avec une production moyenne projetée de 726.000 tonnes de concentré de spodumène sur une durée de 21 ans, soit 15% de l’approvisionnement mondial actuel en lithium, ce projet fera du Mali le 3e producteur mondial de lithium.
Un autre opérateur est déjà sur les rails. Il s’agit du britannique Kodal Minerals, qui pilote le projet Bougouni, à 180 km au sud de Bamako. Celui-ci devrait produire environ 2 millions de tonnes de lithium en 8,5 ans. Ceci, sans compter les autres réserves de lithium pas encore suffisamment explorées et délimitées dans le pays.
Outre ces trois pays, la Namibie, le Ghana et la Côte d’Ivoire pourraient rejoindre le club des producteurs africains de lithium dans le moyen ou le long terme, si la demande mondiale se confirme pour ce métal dans les années à venir.
Graphite: le Mozambique détient les plus importantes réserves au monde
Grâce à sa conductivité, le métalloïde est utilisé dans la fabrication d’électrodes d’accumulateurs (piles alcalines et lithium-ion) pour les véhicules hybrides et électriques, les smartphones et les ordinateurs portables, à raison de 70 kg de concentrés de graphites pour un véhicule électrique, 5 g pour un smartphone et 90 g pour un ordinateur portable.
Le graphite est le second composant dans la fabrication des batteries lithium-ion. Nécessaire pour la fabrication des batteries électriques, le minerai est présent dans le sous-sol de nombreux pays africains qui concentrent une bonne part des réserves mondiales.
L’Afrique est même en passe de prendre le leadership mondial de la production de ce minérai. Selon le cabinet Wood Mackenzie, le continent deviendra le premier producteur mondial de graphite naturel à l’horizon 2026 avec une part de 40% de l’offre mondiale, contre seulement 15% en 2021, en devançant la Chine, leader incontesté avec une part de 68% de la production mondiale en 2021 et qui verra sa part chuter à 35% en 2026.
Le Mozambique, Madagascar, la Tanzanie, la RDC, la Namibie, la Guinée et le Malawi figurent parmi les pays qui se démarqueront. Le Mozambique disposerait des plus importantes réserves mondiales, selon les données relatives aux découvertes réalisées dans ce pays en 2013 et qui multiplient par 3 les ressources mondiales avec des réserves prouvées équivalentes à environ 52% des réserves mondiales. Le pays abriterait, selon les estimations, 2,7 milliards de tonnes de graphite, dont 124 millions de tonnes de réserves prouvées (estimations de 2016). Sa production devrait également talonner celle de la Chine et dépasser celles de l’Inde, du Brésil, de la Corée du Nord ou encore de la Turquie.
D’ailleurs, Tesla, du milliardaire Elon Musk, a signé en 2021 un accord avec la société australienne Syrah Resources, qui exploite la mine de Balama, une des plus grandes au monde avec une capacité de production de 350.000 tonnes de graphite en paillettes par an. Tesla achètera 80% de la production de l’usine, soit 8.000 tonnes de graphite par an.
Quant à Madagascar, 5e producteur mondial en 2021, derrière la Chine, le Brésil, le Mozambique et la Russie, il devrait voir sa production exploser grâce à de nombreux investissements dans le secteur. Producteur de graphite de qualité exceptionnelle depuis 1907, le pays avait même réussi à occuper le 1er rang mondial en 1925.
En 2019, la production s’est établie à 47.000 tonnes et le pays livre du graphite aux géants allemands de l’automobile Volkswagen et Mercedes, via la société allemande Luxacarbon GmbH, qui approvisionne aussi Ford. Egalement, la société britannique Black Earth Minerals, présent dans le pays depuis 2019, compte porter sa production à 500.000 tonnes de graphite à fin 2022. Le pays compte plusieurs autres producteurs de graphite de moindre importance (Etablissements Gallois, Bass Metals, Tirupati Graphite, NextSource…).
La Tanzanie aussi, avec le développement de plusieurs gisements de graphite découverts au cours de ces dernières années, pourrait se positionner dans les années à venir parmi les premiers producteurs mondiaux, à côté de la Chine, du Mozambique et de Madagascar.
Cuivre: la RDC futur leader mondial
Les principaux producteurs africains de cuivre sont la RDC, la Zambie, l’Afrique du Sud, la Mauritanie et le Maroc. La RDC et la Zambie figurent même dans le top 10 mondial. En 2021, avec 1,8 million de tonnes, la RDC s’est hissée au 3e rang mondial des producteurs, ex-aequo avec la Chine, mais loin derrière le Chili et le Pérou. Et avec le complexe minier Kamoa-Kakula, le pays d’Afrique centrale compte bousculer la hiérarchie mondiale des producteurs de cuivre.
La production mondiale du métal rouge devrait atteindre près de 30 millions de tonnes par an en 2030, contre un peu plus de 21 millions de tonnes en 2021. La demande devrait exploser, selon les projections des analystes, grâce à la révolution verte. La production du leader africain devrait fortement augmenter avec Kamoa-Kakula, la future deuxième plus grande mine de cuivre au monde. Celle-ci offre une capacité de traitement annuel de 19 millions de tonnes sur une durée de vie de 43 ans avec 8 exploitations minières distinctes et leurs infrastructures associées pour un investissement global de 17 milliards de dollars. A terme, cette mine entrée en production cette année devrait atteindre plus de 800.000 tonnes par an, soit presque la production de la Zambie, le second producteur africain de cuivre. Notons que la RDC compte d’autres gisements non encore exploités.
Manganèse: le Gabon et l’Afrique du Sud dominent la production mondiale
Le manganèse est un minerai essentiellement utilisé dans la fabrication de l’acier, de céramiques, de piles, de batteries, de circuits électroniques… Aujourd’hui, la forte demande mondiale du minerai est liée à l’émergence des voitures électriques alimentées par des batteries à charge électrique. Le manganèse est utilisé dans la production de ces batteries, à côté du cobalt, du nickel, du graphite, du lithium et du cuivre. Et la forte demande du minerai devrait profiter à certains pays africains, particulièrement l’Afrique du Sud et le Gabon, les deux premiers producteurs mondiaux.
En 2021, le Gabon a produit 9,5 millions de tonnes de manganèse. Second producteur mondial derrière l’Afrique du Sud, il ambitionne de prendre la place de leader mondial, avec une production devant atteindre les 11 millions de tonnes en 2023 et les 12 millions de tonnes en 2024. Le pays dispose, avec la mine de Moanda, qui recèle 25% des réserves mondiales de manganèse, du minerai à haute teneur. Les deux pays devraient par ailleurs pleinement tirer profit de l’embellie portée par la transition énergétique. Ceci, d’autant plus que le conflit entre la Russie et l’Ukraine, deux pays producteurs de manganèse, pèse sur les cours du marché.
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Face à la forte demande mondiale, notamment chinoise, de nouvelles mines sont entrées en production en Afrique. Malheureusement, les pays africains se contentent jusqu’à présent d’exporter du graphite naturel comme matière première. Or, seuls les pays africains qui disposeront d’installations de transformation en aval seront à même de réellement titrer profit de cette transition énergétique.
Pourtant, selon certaines études, il est plus profitable de produire en Afrique les batteries électriques. Ainsi, la RDC est jugée comme la destination la plus profitable pour un investissement dans la chaîne de valeur des batteries électriques. Et pour cause, selon Bloomberg, le coût d’investissement est évalué à 117 millions de dollars aux Etats-Unis, contre 39 millions de dollars en RDC.
La transition énergétique, une aubaine, mais à une condition...
La transition énergétique est une opportunité pour l’Afrique. Mais, les pays africains ne doivent pas se contenter des taxes, dividendes et autres redevances habituellement versées par les multinationales aux pays producteurs. Seulement, si les pays africains souhaitent tirer pleinement profit du boom des minerais stratégiques, ils doivent aussi améliorer leur environnement pour attirer les investissements. Corruption, insécurité, déficit en énergie… figurent parmi les points qui ne facilitent pas l’implantation des firmes étrangères et la transformation des minerais localement. Le cas de la RDC est emblématique. Les principales ressources minières du pays se trouvent à l’est du pays, dans des régions où l’insécurité est chronique.
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Par ailleurs, le nombre réduit de pays africains disposant de ces ressources minières «vertes» devrait aussi pousser ceux-ci à une coopération accrue à même de créer des synergies à l’échelle du continent.
A ce titre, la RDC pourrait devenir la locomotive africaine, si, bien évidemment, elle arrive à dépasser les nombreux obstacles qui entravent son développement. Et elle a pris des initiatives dans ce sens. Outre l’inauguration d’un centre de recherche et de formation sur les batteries électriques en avril dernier à Lubumbashi, le pays a signé un accord avec la Zambie, un autre pays riche en ressources minières, pour travailler ensemble dans la production de batteries électriques, sachant que les deux pays détiennent 80% de certains minerais essentiels à leur construction. Reste à savoir si la RDC saura enfin titrer profit de ses richesses et vaincre la malédiction des matières premières qu’elle subit depuis des décennies.