Les plus prestigieuses marques du Texas (sud des États-Unis) fabriquant ce symbole de l’Americana s’approvisionnent exclusivement à Oudtshoorn, à 400 km à l’est du Cap, en Afrique du Sud. Dans cette capitale mondiale de l’autruche et ses alentours, le nombre d’âmes avoisine celui des volatiles: une centaine de milliers.
«On ne sait pas quelle sera la gravité de l’impact, mais il ne sera pas positif, c’est sûr», euphémise Laubscher Coetzee, quatrième génération d’une famille d’éleveurs reconnus.
Depuis près de deux siècles, les fermes d’autruches ont fait leur nid dans cette vaste plaine enserrée de montagnes rocheuses rougeâtres, baptisée Petit Karoo.
Cape Karoo International (CKI), une forme de coopérative appartenant à environ 200 éleveurs de la région, fournit à elle seule, selon son directeur général, plus de 55% de la production mondiale de produits issus de l’autruche. L’Afrique du Sud, cible d’attaques du président américain Donald Trump depuis des mois, en totalise 70%.
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Au-delà de la France et de l’Italie, où CKI fournit les grands noms de la mode en peau pour sacs à main, 20% de son cuir est exporté vers les États-Unis où des institutions de la santiag, comme Lucchese ou Justin, se l’arrachent au Texas.
La paire de bottes, onéreuse, se vend plusieurs centaines de dollars, voire davantage.
Cuir qui «épouse le pied»
Le patron de Rios of Mercedes, autre prestigieuse manufacture employant 250 personnes au Texas, vante la peau d’autruche, un «cuir extrêmement important pour (son) industrie», auprès de l’AFP.
«Il est très résistant, il épouse le pied», décrit Ryan Vaughan, chapeau de cow-boy sur la tête. Son entreprise familiale, remontant à 1853, «descend d’une longue lignée d’éleveurs» rappelle-t-il dans un parallèle avec ceux d’Oudtshoorn.
Les taxes douanières américaines auront un «impact considérable» sur «l’industrie western», prévient Ryan Vaughan. «Car nous ne sommes pas les seuls à fabriquer beaucoup de bottes de cow-boy en cuir d’autruche.»
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C’est le cas aussi de Tony Lama, fourni par CKI également. Ce bottier d’El Paso, à la frontière mexicaine, a offert une paire à tous les derniers présidents républicains. Dont Donald Trump, qui a eu droit à des santiags siglées «MAGA» (l’acronyme de son mouvement «Make America Great Again») en «alligator américain», précise un communiqué.
«Ce que veut l’administration Trump, c’est que la fabrication soit faite aux États-Unis. Dans notre cas, on exporte la matière première, le cuir — qu’ils ne peuvent pas produire à partir d’autruches locales aux États-Unis car ils n’en ont pas», observe en Afrique du Sud Francois de Wet, directeur général de CKI, qui emploie 1.200 personnes.
La spécificité climatique du Petit Karoo explique le succès de l’élevage local, estime Laubscher Coetzee devant les flammes dansant dans la cheminée de sa propriété, bâtie en 1896 par son arrière-grand-père.
«Il y a une raison pour laquelle le secteur de l’autruche existe toujours 200 ans après ses débuts. Les gens ont essayé partout dans le monde, aux États-Unis, en Australie, et même ailleurs en Afrique du Sud. C’est un peu un animal du désert», décrit ce spécialiste de la reproduction, qui vend quelque 600 animaux par an à d’autres éleveurs.
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Si l’autruche est devenue la coqueluche des environs, c’est que le climat n’autorise pas d’autre activité agricole, avec moins de 400 mm de pluie par an en moyenne.
«Tout tourne autour des autruches ici. C’est une région semi-désertique, rien ne peut pousser ici, il n’y a pas assez d’eau», constate Leon Lareman, cadre de CKI.
Chapeaux à plumes
«Toute la valeur ajoutée est créée aux États-Unis, donc on fait déjà ce que souhaite l’administration Trump», plaide Francois de Wet.
Et comme il est impossible que les producteurs sud-africains supportent seuls le poids des 30% de taxes douanières, le fabricant texan ainsi que l’acheteur de bottes de cow-boy vont régler selon lui une partie de cette addition.
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Ces peaux, reconnaissables aux marques de plumes caractéristiques, se vendent aux manufactures américaines environ 20 dollars le «square foot» (pied carré, 930 cm2).
«On a exporté vers les États-Unis un volume de cuir d’autruche supérieur à la normale ces deux à trois derniers mois, ce qui nous laisse une petite marge de manœuvre», explique Francois de Wet.
«On ne prévoit pas de licenciements à court terme», assure-t-il. «Mais à long terme, si l’intégralité des droits de douane est maintenue, cela entraînera certainement un recul de notre activité.»
Oudtshoorn porte déjà les marques d’une crise passée: les ruines de certains «palais d’autruche», fusion d’architecture coloniale néerlandaise et d’Art nouveau, que leurs propriétaires avaient fait édifier à l’âge d’or de la production de plumes, pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Jusqu’à ce que tout s’effondre à la fin de la Belle Époque en Europe, au début du XXe siècle, avec l’arrivée de l’automobile, pas assez haute de plafond pour que la haute société puisse y porter ses chapeaux à plumes.