«Amoulanfe» («ça ne passera pas»): c’est le cri de colère des Guinéens contre la modification de la constitution qui pourrait éventuellement permettre au président Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat, au terme de son second et dernier mandat constitutionnellement légal, qu’il devra boucler en octobre 2020.
La colère des Guinéens s'explique par la volonté du président Alpha Condé, au pouvoir depuis 2010, de modifier la constitution du pays, comme l’ont déjà fait un certain nombre de présidents africains – de Paul Kagame du Rwanda, Pierre Nkurunziza du Burundi, Yoweri Museveni de l'Ouganda, Idriss Déby Itno du Tchad, et bien d'autres-, dans le but de déverrouiller la loi fondamentale de son pays, qui limite à deux mandats le nombre de ceux-ci pour un président à la tête de la Guinée.
En septembre dernier, Alpha Condé avait chargé son Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, de conduire des consultations pour une révision de la Constitution. Cette démarche a été boycottée par les principaux parti de l'opposition, ainsi que par des membres de la société civile.
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Les Guinéens voient dans cette tentative la volonté affichée d'Alpha Condé de s’accorder la possibilité de se porter candidat pour un troisième mandat présidentiel. Le président guinéen ne s’est jusqu'ici pas encore prononcé sur son intention ou non de brigueur ce troisième mandat, et n’a ni infirmé, ni confirmé les intentions qui lui sont attribuées. Et ce mutisme, de fait, laisse place à toutes les spéculations possibles.
Parallèlement, le président a également annoncé des élections législatives avant la fin de l’année. L'occasion pour lui, selon les opposants guinéens, de s’arroger d’une majorité confortable afin de mener les réformes qu’il souhaite, y compris cette possibilité de rester au pouvoir pour un nouveau mandat.
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Cette situation intrigue grandement les Guinéens, qui savent bien qu’Alpha Condé s’est battu pendant 40 ans pour tenter d'établir la démocratie en Guinée.
Devant cette éventualité, les Guinéens sortent en nombre depuis le 14 octobre dernier et manifestent leur hostilité à ces décisions de leur président, sous un seul mot d'ordre. C'est en effet au cri de «Amoulanfe» («ça ne passera as») qu'ils signifient à Alpha Condé, à Conakry, la capitale, et ailleurs, que sa volonté de faire passer une révision constitutionnelle restera caduque.
Les manifestations, imposantes, encore jamais vues dans cette ampleur en Guinée, sont organisées par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition regroupant des partis de l’opposition, des syndicats et des membres de la société civile. Selon Fode Oussou Fofana, l'un des leaders de ce mouvement, près d'un million et demi de Guinéens ont dernièrement manifesté dans les rues de Conakry.
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En face, le pouvoir a choisi la répression: les forces de l’ordre tirent à balles réelles sur les manifestants.
Au total, on compte 17 morts depuis le lancement de cette insurrection, 16 civils et un gendarme. On compte aussi de nombreux blessés et des dizaines d’arrestations dans les rangs de l’opposition guinéenne.
Mais pour beaucoup de Guinéens, le pire est à venir. Si jamais Alpha Condé officialise sa volonté de briguer un troisième mandat, cela pourrait entrainer le pays dans une spirale de chaos et réveiller les tentations de communautarisme.
Au pouvoir depuis 2010, le président Condé, à la tête d’un pays de 13 millions d’habitants et riche en ressources minières et hydrauliques, mais parmi les plus pauvres du monde, n’a pas vraiment réussi en une décennie à réellement changer la situation économique du pays et à améliorer le quotidien des Guinéens.
Ce bilan a déçu les Guinéens, tant l’arrivée voici neuf ans de cet opposant historique du pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir.
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Une chose reste sûre, Alpha Condé ne pourra pas compter sur les puissances occidentales, et vient d'être lâché par la France et les Etats-Unis.
Le président français Macron s'est en effet dit opposé à un éventuel troisième mandat d'Alpha Condé.
Idem pour Washington: en septembre dernier, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a clairement signifié au président guinéen qu’une réforme de la Constitution guinéenne ne posait aucun problème aux Etats-Unis, mais que si cette réforme lui ouvrait la voie à un troisième mandat, l'administration américaine s’y opposerait.
Toutefois, la Russie, la Chine et la Turquie, de plus en plus présents en Guinée, pourraient éventuellement apporter le soutien nécessaire à Alpha Condé pour ces visées qu'il n'a toujours pas avouées.
Et au cas où Alpha Condé parvient à modifier la constitution et réussit à briguer un troisième mandat, cela pourrait inciter d’autres dirigeants de la sous-région à faire de même.
D’ailleurs, les présidents ivoirien, Alassane Ouattara, et sénégalais, Macky Sall, sont eux aussi accusés de préparer, chacun, le terrain à un troisième mandat, ce qui constituerait un recul notable de la démocratie en Afrique de l’ouest.
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Au total, 37 pays du continent africain limitent le nombre de mandats présidentiels à deux, contre 15 dans le continent qui ne le limitent pas.
Toutefois, de nombreux présidents ne respectent pas la loi de leur pays, et optent pour des changements constitutionnels pour briguer un troisième, voire un quatrième mandat.
Le Bénin, Maurice, l'Afrique du Sud, le Botswana, le Ghana, le Cap-Vert et la Namibie figurent parmi les pays qui respectent à la lettre cette règle de deux mandats. Et tout dernièrement, le Mauritanie s’est joint à cette liste lorsque le président Mohamed ould Abdel Aziz a cédé la pouvoir, au terme de son second mandat à la tête du pays.
Mais cette tendance à se maintenir au pouvoir coûte que coûte a fini par attirer l’attention d’anciens présidents, de présidents en exercice et de personnalités d’Afrique de l’Ouest. Ces leaders, éminemment respectés, se sont dernièrement réunis à Niamey, au Niger. Conclusion de cette réunion au sommet: ils demandent avec insistance à ce que la limitation des mandats à deux seulement devienne une règle immuable en Afrique de l'Ouest.