Guinée: la chicha a fini par s'imposer

Dans ce restaurant chic, Guinéens et étrangers consomment la Chicha au vu de tous.

Dans ce restaurant chic, Guinéens et étrangers consomment la Chicha au vu de tous. . Afriquele360.ma

Le 09/04/2017 à 12h30, mis à jour le 09/04/2017 à 12h51

A défaut de pouvoir l'interdire, les autorités guinéennes ont finalement choisi de réglementer la commercialisation et la consommation du narguilé, ce tabac de culture orientale plus connu sous le nom chicha. La décision est prise à contrecœur.

A Ligui Snack, un restaurant situé dans l'avenue de la République, à quelques mètres de la direction de la Police judiciaire, la chicha se consomme chaque soir à l'air libre. Les clients des deux sexes sont d'origines géographiques diverses. Ici, même des hauts cadres de l'administration sont parfois aperçus en train de consommer le tabac de culture orientale.

Mohamed, le Libanais propriétaire des lieux n'aime pas aborder le sujet avec la presse. Pourtant, il n'a jamais été inquiété malgré l'emplacement bien en vue de son restaurant. Même au moment où le colonel Moussa Tigboro Camara, le patron de la lutte antidrogue, sévissait contre les consommateurs de chicha, on pouvait en fumer tranquillement chez Ligui Snack.

Par contre, à Fougougou, un centre culturel privé, les jeunes restent prudents, voire se montrent méfiants lorsqu'ils sur le bec de leur narguilé. En attendant que leur fournisseur se mette en règle, ils se disent que l'équipe du colonel Tiégboro peut faire une descente à tout moment dans ces lieux. "Moi franchement, je ne sais pas pourquoi ils l'interdisent. Pourtant, la chicha est inoffensive, ce n'est pas comme la cigarette ou la drogue ", se défend Soumah qui préfère taire son véritable prénom. " J'ai même appris que consommer de la chicha est une bonne alternative pour ceux qui veulent éviter la cigarette ou la drogue ", ajoute-t-il.

Au cours d'une réunion interministérielle sur le sujet, en janvier, Dr Mamady Mory Keita, psychiatre-addictologue, a expliqué les dangers de ce tabac. " La chicha est composée de 25 % de tabac, de mélasse d'arômes de fruits qui lui donne un côté acidulé et parfumé qui trompe les fumeurs et leur faisant croire que cette agréable sensation est inoffensive ", a expliqué le médecin. Et de poursuivre: "pourtant, les risques sur la santé, comme l'augmentation des risques de cancer, de bronchite chronique, de problèmes cardiovasculaires, ont été mis en évidence. Des mesures révèlent que l'augmentation du monoxyde de carbone expiré à la fin de la Chicha équivaut à celle observée lors de la consommation de deux paquets de cigarettes."

Tiégboro, lui-même, dit avoir constaté que les jeunes associent la chicha à de l'huile de cannabis, à du chanvre indien, voire à de l'héroïne ou à de la cocaïne. En janvier, une décision commune des ministres du Commerce, de l'Industrie, de la Justice, de la Santé et de la Sécurité, a donc interdit l'importation, la commercialisation et la consommation de la chicha en Guinée.

Alors qu'on croyait que les autorités guinéennes avaient baissé les bras et laissé tomber le dossier, une nouvelle décision est tombée mardi. Celle-ci fixe les conditions de la commercialisation et de la consommation de la Chicha au lieu de l'interdire. Avec cette décision, tout opérateur économique désireux d'importer de la chicha en Guinée doit obtenir l'autorisation préalable du ministère du Commerce. Et cette autorisation ne sera délivrée qu'après une enquête de moralité menée par les services de Tiégboro.

Le nombre d'importateurs de chicha est fixé à trois, précise la nouvelle décision. Et c'est presque la même règle pour les distributeurs qui devront se faire enregistrer au ministère du Commerce et avoir fait l'objet d'une enquête de moralité. Quant au nombre de distributeurs, il est limité à deux par commune (il y a cinq communes à Conakry) et à un par préfecture (la Guinée compte 33 préfectures). Chaque paquet, boîte et étui, doit indiquer, imprimés sur le paquetage lui-même, le poids net du tabac, le taux de nicotine, les dates de production, d’expiration et la mention expresse " Vente en Guinée." De plus, le commerçant de chicha a interdiction de vendre ce produit aux moins de 18 ans. Dans les hôtels, une zone spéciale doit être aménagée pour les consommateurs.

"Je pense que c'est la meilleure décision que l'Etat pouvait prendre. Personne ne pouvait arrêter la consommation [de chicha]", apprécie Mohamed Traoré, un consommateur rencontré dans un hôtel de Conakry.

Les autorités guinéennes savent bien que la consommation abusive de la chicha fait des ravages chez les jeunes, mais ils croient que la meilleure réplique est de réglementer la consommation au lieu de l'interdire.

Par Mamourou Sonomou (Conakry, correspondance)
Le 09/04/2017 à 12h30, mis à jour le 09/04/2017 à 12h51