Mali: voici pourquoi d'éventuelles sanctions financières de la BCEAO seraient illégales et un dangereux précédent

Tour BCEAO à Bamako.

Tour BCEAO à Bamako.. DR

Le 06/01/2022 à 12h45, mis à jour le 06/01/2022 à 12h47

Beaucoup redoutent des sanctions financières de la part de la Banque centrale des Etats de l'Afrique (Bcéao) à cause de la situation politique dans ce pays. Ce serait non seulement illégal compte tenu des textes qui régissent l'institution, mais aussi un dangereux précédent pour l'Uemoa. Décryptage.

Et si, comme en août 2020, lors de la survenue du coup d’Etat militaire au Mali, la Bcéao décidait de fermer ses trois agences de Bamako, Sikasso et Mopti et qu’à la suite de cela, elle fermait les vannes à l’économie malienne, une sorte d’embargo? Certains le redoutent, notamment depuis que la majorité des forces vives de la nation malienne a explicitement proposé de prolonger la transition de cinq ans. Une perspective en porte-à-faux avec l’idée que certains au sein de la Cédéao se sont faite d’un délai raisonnable pour le retour définitif de l’ordre constitutionnel.

En août 2020, la décision de la Banque centrale, simple mesure de sauvegarde, avait été justifiée par les dispositions statutaires dont l’esprit tient plus à la prudence qu’à la sanction politique. En effet, la Bcéao ne peut fermer ses agences que pour des raisons de sécurité.

Ainsi, en cas de coup d’Etat, pour préserver l’intérêt économique, monétaire et financier des autres Etats membres, la Bcéao peut exiger la fermeture de ses agences, mais également l’intégrité physique de son personnel. Car on ne sait jamais ce qu’il en peut advenir quand quelques esprits malintentionnés prennent le contrôle de ces lieux.

Déjà, en août 2020, c’est avec beaucoup de responsabilité que les jeunes colonels maliens ont pris le pouvoir et ont sécurisé les endroits les plus stratégiques du pays. C’est tout le contraire de 2012, puisque certains avaient commencé à s’attaquer aux banques. C’est pourquoi, la fermeture de ses agences à l’époque pouvait être considérée comme normale.

Le contexte de janvier 2022 est bien différent de celui d’août 2020 et encore plus de 2012. Une pareille décision relèverait davantage de la sanction économique et financière, au fort relent politique, que de la sauvegarde. Or, justement, c’est là où le bat blesse. Car, «d’une manière générale, il y a lieu de noter que les textes de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), notamment le traité fondateur et les statuts de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest n’ont pas prévu de manière explicite de sanctions, sous forme d’embargo économique et financier, à l’encontre d’un Etat membre», explique cet expert.

En d’autres termes, la Bcéao ne peut pas sanctionner les Maliens parce qu’ils ont décidé, pour s’assurer une transition réussie, de procéder prudemment et d’aller jusqu’en 2026 pour l’organisation d’une présidentielle.

La seule instance habilitée à prendre des décisions qui pourraient concerner un des huit pays membres de manière spécifique est la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement conformément à l’article 6 du traité. Sauf que la portée de ses délibérations de cette «autorité suprême» qu’est la conférence est circonscrite de façon expresse par l’article 7 du même traité fondateur de l’UMOA.

Ainsi, dans ce cadre précis, les chefs d’Etat et de gouvernement peuvent prendre d'autres tyes de décisions. Il s’agit de la définition des orientations de la politique de l’UMOA, de l’adhésion de nouveaux Etats membres, l’exclusion d’un Etat membre et le retrait d’un Etat membre, de la fixation du siège de l’Institut d’émission, mais aussi de toute question n’ayant pu trouver une solution par accord unanime du Conseil des ministres.

Par conséquent, «à l’analyse, un embargo économique décidé par les Chefs d’Etat et de gouvernement, applicable à un Etat membre souverain, s’apparente à une violation délibérée du Traité de l’UMOA et des statuts de la Bcéao, se fondant essentiellement sur l’appartenance à une union monétaire à laquelle l’Etat membre a transféré, en toute connaissance de cause, son pouvoir de battre monnaie et toutes décisions qui lui sont attachées», explique l'expert.

Dans ce cadre, la Bcéao serait totalement en porte-à-faux avec ses statuts, pour toutes applications de décisions autres que celles portant sur «ses objectifs et missions». Ainsi, poursuit le même expert, selon l’article 8 de ses statuts, «l’objectif principal de la politique monétaire de la Banque centrale est d’assurer la stabilité des prix». «Sans préjudice de cet objectif, la Banque centrale apporte son soutien aux politiques économiques de l’UEMOA, en vue d’une croissance saine et durable», analyse la même source.

En outre, en se fondant sur l’article 35 de ses statuts, «la Banque centrale tient sur les places, où elle est installée, les comptes des Trésors publics des Etats membres». A cet égard, la Bcéao doit procéder sans frais à l’encaissement des sommes versées dans le compte du Trésor, au recouvrement des effets et chèques sur place, tirés ou endossés à l’ordre du Trésor public, au paiement des chèques et virements émis sur le compte du Trésor, aux transferts effectués sur ordre ou en faveur du Trésor publics.

«Un embargo économique et financier, de par ses effets néfastes sur l’offre, pourrait alimenter et accélérer les tensions inflationnistes dans le pays, qui est en partage de la monnaie dont la défense de la valeur incombe à la Banque centrale», explique la même source.

En effet, un embargo économique et financier à l’encontre d’un Etat membre de l’UMOA produit inexorablement des effets inflationnistes qui contrastent avec les objectifs et missions visés par la Bcéao. 

«En conséquence, poursuit-il, il importerait de conclure que toutes décisions non-conformes aux statuts de la Bcéao et au Traité fondateur de l’UMOA ne peuvent être exécutoires légalement à l’encontre d’un Etat membre».

Aujourd’hui, la seule décision qui pourrait amener la Bcéao à refuser ou fermer ses guichets à un Etat membre, au regard de ses textes, est «l’exclusion d’un Etat membre» ou «le retrait d’un Etat membre de l’Union» à sa demande, décisions relevant toutes de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement.

«Au demeurant, le gouvernement malien, à travers son ministre de l’Economie et des Finances, est en droit d’exiger de la Direction nationale de la Bcéao, installée sur son territoire, d’ouvrir ses guichets et d’exécuter toutes les opérations présentées par ses clients notamment la Direction nationale du trésor et de la comptabilité publique (DNTCP) et les banques, en fonction des heures de vacation réglementées par le siège de la Bcéao», poursuit notre expert.

>>> Vidéo. Goodluck Jonathan à Bamako: la Cédéao continue de mettre la pression sur les autorités maliennes

Mieux, il faut que le Mali soit d’accord sur les mesures prises à son encontre par la Conférence des chefs d’Etat pour que ces dernières soient valables. Car, faut-il le rappeler,

les décisions de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, dénommées «Actes de la conférence» sont prises à l’unanimité des membres.

Toutes décisions contraires à l’unanimité des membres seraient illégales par rapport aux «actes de la Conférence» et par ailleurs, infondées du point de vue légal.

Au-delà du caractère illégal d’éventuelles sanctions contre le Mali, des mesures similaires constitueraient un dangereux précédent pour la stabilité des économies de la région, car elles créeraient irrémédiablement une rupture de confiance chez les opérateurs économiques et les investisseurs tant nationaux qu’étrangers. Il suffirait qu’une série de manifestations populaires rendent le pays ingouvernable et qu’à la suite de cela s’opère un nécessaire changement de régime pour que l’on risque des sanctions de la part de l’UMOA ou de la Bcéao. Ni la Guinée-Bissau ni la Côte d’Ivoire ni le Sénégal ni aucun autre pays n’est en sécurité économique et financière.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 06/01/2022 à 12h45, mis à jour le 06/01/2022 à 12h47