Afrique de l’Ouest: 2020, l'année de tous les dangers politiques

Les présidents Alpha Condé et Alassane Outtara.

Les présidents Alpha Condé et Alassane Outtara. . DR

Le 15/08/2020 à 11h26, mis à jour le 17/08/2020 à 08h02

Une poussée de fièvre violente, dont certains symptômes relèvent déjà du quotidien, a saisi des pays d'Afrique de l'Ouest, comme à Conakry, à Abidjan et à Bamako, sur les bords du fleuve Djoliba (nom traditionnel du Niger).

Par dessus la pandémie de Covid-19, avec ses dizaines de milliers de contaminations, sa pression inhabituelle sur des systèmes sanitaires presque inexistants, ses conséquences inévitables sur le plan de la santé, de l’économie et du social, qui est venue se greffer à une donne sécuritaire volatile depuis plusieurs années, l’Afrique de l’Ouest fait face à une autre épidémie, qui dessine à l'horizon des troubles socio-politiques inévitables.

En Côte d’Ivoire, la tension monte sur les bords de la lagune Ébrié, et les échauffourées à caractère communautaire notées en fin de semaine dernière prouvent que cela peut exploser à tout moment.

Analysant la géopolitique de la gouvernance en Afrique de l’Ouest, le professeur Lô Gourmo Abdoul, enseignant en France, avocat inscrit au barreau de Mauritanie, et vice-président de l’Union des forces de progrès (UFP, opposition), parle «d’une crise exacerbée à la fois pour des raisons générales, partagées par tous et spécifiques à chacun.»

«L’affaissement de l’Etat, voire la tendance accélérée à sa faillite, peut être considéré comme une cause commune à la crise. Partout, la mauvaise gouvernance a été érigée en règle de gestion des affaires publiques par les régimes en place, avec comme conséquences le développement des pires pratiques étatiques: corruption généralisée, ethnicisme, intolérance, discrimination de toute sorte… sur fond de marasme économique et social (développement du chômage des jeunes, de la délinquance…) qui font le lit des groupes terroristes prétendument islamistes», continue le juriste.

Résultat des courses de cette gestion erratique du bien commun: «une expansion du cercle de l’insécurité, prenant la forme d’une pandémie qui met directement en cause l’avenir des Etats, à l’image du Mali, alors que d’autres pays suivent la même trajectoire vers l’abîme (Burkina Faso et Niger)». Le professeur Lô déplore également «une absence totale de leadership politique» et relève «des enjeux politiciens qui aveuglent aussi bien ceux qui exercent le pouvoir, que les opposants, plus préoccupés par l’occupation du fauteuil présidentiel que par le sort des populations».

Guinée et Côte d’Ivoire: les agendas électoraux de tous les dangers

Des présidentielles sont prévues en Guinée et en Côte d’Ivoire, respectivement les 18 et 31 octobre 2020. Ce sont des échéances à haut risque, dans le contexte d’une sous-région dont les leaders sont frappés par l’épidémie de fièvre du troisième mandat, source de tous les problèmes.

Cela, bien au-delà d’une simple lecture juridique littérale, cette tendance pourrait provoquer une secousse tellurique dans certains pays, laissant craindre un effet domino chez les voisins. Une configuration effrayante qui retient l’attention de nombreux analystes.

A Conakry comme à Abidjan, l’enjeu porte sur le contrôle du pouvoir, qui passe toujours par des élections potentiellement périlleuses. Lors de ces consultations, est à chaque fois évoquée la question du respect des dispositions constitutionnelles. Une exigence liée à la limitation du nombre des mandats, que les occupants du fauteuil présidentiel arrivent régulièrement à contourner par des arguments juridiques, parfois valables à la lettre, mais en totale contradiction avec l’esprit des lois fondamentales, dont l’objectif est toujours de garantir une gouvernance transparente, en alternance, incompatible avec le pouvoir à vie.

En Guinée, pays aux immenses richesses naturelles, martyrisé par différents régimes de dictature et maintenu dans la pauvreté économique et sociale, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un groupement civique mis sur pied par l’opposition et une grande partie de la société civile, a initié une série de manifestations depuis le 14 octobre 2019.

Des actions réprimées par des forces de l’ordre avec des tirs à balles réelles. Près de 200 citoyens du pays ont été massacrés par les Forces de défense de sécurité (FDS), depuis l’arrivée au pouvoir du président Alpha Condé en 2010.

Dans le même temps, l’opposition a systématiquement dénoncé «la fraude» à chacune des élections (présidentielle, législatives et municipales). Un drame devant lequel le vieux dictateur reste impassible. Preuve de sa détermination à rester au pouvoir, il a jeté, comme un vulgaire torchon, la Constitution sur la base de laquelle il a été élu de manière fortement contestée en 2010 et réélu en 2015.

Suivant une démarche grossière, le Professeur ne s’est pas embrassé de fioritures et encore moins d’arguments juridiques. Il a sorti de son chapeau une nouvelle loi fondamentale, taillée sur mesure pour pouvoir se représenter le 18 octobre 2020, à 82 ans. Une tranche d’âge qui devrait être consacrée à une retraite paisible, après plusieurs dizaines d’années de lutte et 10 ans d’exercice de la charge suprême.

Voisine, la Côte d’Ivoire renoue progressivement avec les démons des années de braises, faute d’une véritable réconciliation nationale après la rébellion de 2002 et la crise post-électorale de 2011. Alassane Dramane Ouatara a élu en 2010 et installé dans la douleur grâce à l’intervention de l’ONU et de la force française (Licorne), après une grave crise sécuritaire qui a fait plus de 3000 morts, avec des prolongations devant la justice pénale internationale pour Laurent Gbagbo, chef de l’Etat sortant cette année-là. Aujourd’hui, le président en exercice a finalement décidé de franchir le Rubicon.

Il a répondu oui aux multiples sollicitations des responsables, cadres et militants du Rassemblement des houphoueitistes pour la démocratie et la paix (RHDP), en se portant candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre prochain. Le décès, le 8 juillet dernier, de l’ancien Premier ministre, Amadou Gon Coulibali (AGC) et précédemment investi par la mouvance présidentielle, en est la raison avancée.

La panne du renouvellement

Cette candidature à un troisième mandat est déjà à l’origine de manifestations violentes à Abidjan, Daoukro… Une spirale de violence qui risque de se prolonger pendant plusieurs semaines, mois, ou plus encore. Une élection présidentielle à laquelle est également candidat Aimé Henry Konan Bédié, leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI/RDA), ancien président de la République (1993/1999).

Cependant, l’ex-président Laurent Gbagbo, sous le coup d’une condamnation par la justice ivoirienne, est écarté du scrutin, malgré son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) après 8 années de détention provisoire. Tandis que Guillaume Kigbafori Soro, qui a occupé 2 fois le fauteuil de Premier ministre, sous les régimes Gbagbo et Ouatara, ex-président de l’Assemblée nationale, et qui fût chef de la rébellion de septembre 2002, est hors de course pour les mêmes raisons.

Face à la contestation de la candidature du président Alassane Ouatara, un éditorial du quotidien gouvernemental «Fraternité Matin», le vendredi 14 août, invite ses compatriotes «à se départir des passions qui peuvent être meurtrières et envisager la situation avec un peu de discernement et de responsabilités». C’est que la ville de Daoukoro (fief d’Henry Konan Bédié, dans le centre du pays, appelé le V Baoulé) est secouée par des affrontements inter-communautaires, «un sentier très dangereux pour la cohésion nationale». En définitive, le journal estime qu’il faut s’en remettre à un éventuel arrêt du Conseil constitutionnel, qui aura à statuer en cas de recours contre la candidature du président en exercice.

Cette institution traîne comme un boulet une image désastreuse: sa décision contestée ayant a été à l’origine de la crise de décembre 2010 à Avril 2011, et ses plus de 3000 morts. Le magistrat, Paul Yao N’Dre, qui a ravalé son arrêt plus tard, en investissant Alassane Ouatara, le 5 mai 2011, dira «avoir été possédé par le diable, comme tous les ivoiriens» au moment de la proclamation de la victoire de Laurent Gbagbo.

Pour rappel, la scène politique ivoirienne est dominée depuis 1993 par 3 figures historiques: Alassane Dramane Ouatara, Laurent Gbagbo et Henry Konan Bédié. Des acteurs aux alliances volatiles. Parlant de ces hommes politiques, les Ivoiriens, férus d’humour, mettent en garde leurs compatriotes «tu meurs pour un de ces 3, tu es bête. Le premier aurait pu tuer le deuxième, mais ne l’a pas fait. Le deuxième aurait pu tuer le premier au Golf hôtel, mais il ne l’a pas fait. Le troisième s’est allié au premier pour enlever le deuxième, et aujourd’hui, il veut s’associer au deuxième pour faire tomber le pouvoir du premier. Sans oublier qu’en 1999, les 2 premiers se sont alliés pour enlever le troisième».

Ce tableau des cas de la Guinée et de la Côte d’Ivoire montre clairement que cette partie de l’Afrique, qui a pourtant connu quelques alternances sans guerre (au Bénin, au Ghana et au Sénégal), est frappée par un virus qui s’ajoute à celui du Covid-19. Et cette pathologie rend extrêmement compliquée toute opération chirurgicale visant à séparer un chef d’Etat de son fauteuil. D’où cette boutade récente d’un analyste de l’évolution géopolitique du continent, qui colle parfaitement à la réalité.

Sous une image où figurent les présidents Paul Biya (Cameroun), Denis Sassou- NGuesso (Congo Brazzaville), Teodoro Obiang NGuema MBasogo (Guinée Equatoriale) et Idriss Deby Itno (Tchad), dont les règnes cumulés frisent les 160 ans de pouvoir, est placée cette légende parfaitement adaptée au contexte «les présidents à vie de l’Afrique Centrale souhaitent bon vent aux stagiaires de l’Afrique de l’Ouest».

Cette évolution donne toute sa pertinence à la réflexion du vieux sage malien, Amadou Hampaté Bâ: «Le pouvoir est comme de l’alcool. Après un premier verre, on est joyeux comme un agneau. Au second, c’est comme si on avait mangé du lion». Alors, à qui le tour après Condé et Ouatara? Le président Macky Sall? Difficile de trouver une réponse tout de suite, car l’horizon de la fin de son mandat est encore lointain, malgré le débat autour de la question.

Cependant, on peut rappeler que les électeurs sénégalais, pays avec une trajectoire politique particulière, ponctuée par des alternances, ont définitivement tranché la question du troisième mandat dans les urnes, réduisant considérablement les risques de ce genre d’agression contre la démocratie.

Mali: IBK sous la pression de l’imam Dicko et de la rue

Dans cette Afrique de l’Ouest en proie à de graves convulsions, le cas du Mali est particulièrement préoccupant. La partie nord de cet Etat central, frontalier à 7 pays, a été occupée par des groupuscules terroristes pendant 10 mois, entre mars 2012 et janvier 2013. Ils ont été chassés par une intervention militaire de la France, ancienne puissance coloniale, grâce à l’opération Serval qui s’est durablement incrustée dans le paysage militaire et sécuritaire sous régional, en prenant le nom de Barkhane.

Cependant, malgré cette présence militaire de plus en plus pesante, les métastases du djihadisme ont gagné du terrain vers le Centre du Mali, et des pays comme le Burkina Faso et le Niger. La boucle du fleuve du même nom, en territoire malien, peuplée de Peuls et Dogons notamment, est devenue une zone de non-droit et de totale insécurité. Le quotidien en est fait d’attaques djihadistes, suivies des répliques d’une armée rarement à son avantage, sous forme de tueries collectives visant les populations civiles. Les affrontements inter-communautaires viennent compléter le tableau d’un véritable chaos sécuritaire.

C’est sur ce contexte que vient se greffer une nouvelle crise politique. Sous la houlette de l’intransigeant imam Mahmoud Dicko, ex-allié du pouvoir, qui fédère l’opposition regroupée au sein du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Ce collectif exige la démission du président Ibrahim Boubacar Keita (dit IBK), pourtant réélu en 2018. Une médiation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), matérialisée par le déplacement à Bamako des chefs d’Etat, Mahamadou Issoufou (Niger, président en exercice), Alassane Ouatara (Côte d’Ivoire), Macky Sall (Sénégal) et le ghanéen Nana Akufo Ado, n’a pas obtenu de résultat tangible.

L’imam Dicko et ses alliés demandent le départ d’un IBK discrédité par une gouvernance immonde. Son fils Karim Keita, dont les frasques sont abondamment commentées sur les réseaux sociaux, cristallise son rejet par l’opinion. L’organisation sous régionale considère «le changement anticonstitutionnel comme une ligne rouge» et recommande une solution négociée, après une manifestation qui a fait 11 morts, fin juillet.

Missionnaire spécial de la Cédéao, l’ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan «continue le travail sur le terrain, en mettant à contribution l’influent Chérif Bouyé Haïdara, de Nioro», une ville proche de la frontière avec la Mauritanie, signale une source bien au fait du traitement des affaires du palais de la colline de Koulouba.

Dans ce contexte de blocage des négociations, certains analystes s’interrogent sur le jusqu’au-boutisme du chef de la contestation, l’imam Mahmoud Dicko, un religieux derrière lequel toute l’opposition s’est mise en rang serré, et dont les interlocuteurs reconnaissent la finesse d’esprit, alors que son agenda politique reste encore mystérieux.

Analysant la situation malienne, Moussa ould Mohamed Amar, ancien DG de l’Agence mauritanienne d’information (AMI, organe du gouvernement) et habitué des forums de réflexion sur la sécurité dans le Sahel, estime que «la crise profonde et multiforme dans laquelle se débat le Mali ne trouvera pas de solution miracle juste par l’effet de la chute du pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keita. Dans ce pays, l’armée a été complètement déstructurée par le coup d’Etat du capitaine-devenu-général, Amadou Haya Sanogo, et n’a jamais encore été reconstituée, malgré quelques tentatives timides.

Il y a également de nombreux autres problèmes de fond, mais il faut avant tout poser le bon diagnostic: celui de l’urgence de la défense nationale et du sécuritaire, qui garantit l’existence d’un Etat, avant de s’attaquer au reste».

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 15/08/2020 à 11h26, mis à jour le 17/08/2020 à 08h02