Construction automobile: l'Afrique du sud et le Maroc comme locomotives

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Le 07/08/2016 à 13h21, mis à jour le 07/08/2016 à 14h23

Les constructeurs automobiles s’intéressent de plus en plus au marché africain. L’Afrique du Sud et le Maroc sont aujourd’hui les fers de lance de cette industrie. Si ces deux pays ont trouvé les formules pour le développement de cette industrie, d’autres cherchent leur voie.

Avec une population de plus de 1,1 milliard d’habitants et un taux de motorisation en forte progression de 27% sur la période 2007-2013, soit 6 points de plus que la moyenne mondiale, l’Afrique intéresse de plus en plus les constructeurs automobiles mondiaux (Renault, PSA Volkswagen, Mercédès, Ford, Toyota, Hyundai, etc.) qui ont écoulé plus de 1,8 million d’unités sur le continent en 2015. Avec un taux d’équipement globalement très faible, à l’instar de l’Ethiopie (2 voitures pour 1000 habitants), l’Afrique, qui ne représente que 2% des ventes d’automobiles mondiales, constitue un potentiel que les constructeurs mondiaux ne souhaitent pas rater.

Toutefois, en dépit des indicateurs favorables, nombre d’entre eux restent prudents pour investir dans des unités industrielles sur le continent. L'environnements, l’étroitesse et la structuration de certains marchés ne favorisent pas l’implantation des géants de l’automobile mondiale dans de nombreux pays.

Toutefois, certains pays, grâce à des stratégies sectorielles bien étudiées et une tradition industrielle arrivent à attirer de plus en plus de constructeurs à la recherche des coûts plus bas et donc plus de compétitivité, mais aussi pour pénétrer des marchés d’Afrique et Moyen-Orient qui sont parmi les plus dynamiques actuellement.

Dans ce registre, deux pays s’illustrent. L’Afrique du Sud, le plus gros marché du continent, et le Maroc, grâce à une stratégie bien ficelée, ont su mettre en place des stratégies qui leur ont permis d’être attractifs pour attirer les constructeurs automobiles. Les deux pays assurent autour de 90% de la production automobile africaine.

Afrique du Sud: forte présence des grands constructeurs

Une unité de montage automobile.

L’Afrique du Sud est de loin le premier marché automobile du continent, aussi bien en termes de ventes de véhicules neufs que de production d’automobiles. Plus de 400.000 véhicules sont vendus annuellement sur le marché sud-africain, soit plus du tiers des ventes de voitures neuves sur le continent.

Conséquence, le pays a su attirer tous les grands constructeurs mondiaux (Ford, General Motors, BMW, Volkswagen, FAW, Renault, Man, DAF Trucks, Isuzu, Mercédès Benz, Toyota, Nissan, Tata, etc.) qui y ont implanté des unités industrielles pour répondre à une demande du marché local, régional et même au delà. La présence de ces acteurs a contribué au développement d’un écosystème couvrant presque toutes les filières du secteur.

Si le pays a pu attirer autant de constructeurs, c’est grâce à l’application du Plan de développement de l’industrie automobile (MIDP) en 1995 visant à accroître la production locale au détriment des importations. Celle-ci a boosté la production qui est passée de 388.442 véhicules en 1995 à 532.545 unités en 2011 et 611.000 unités en 2014. La production porte sur des véhicules industriels, véhicules légers, véhicule individuel et des bus.

Seulement le MIDP a semblé avoir atteint ses limites au cours de ces dernières années avec à la clé une montée des importations de véhicules.

Face à cette situation, le pays a adopté le Programme de développement de la production automobile (APDP) avec comme objectif la production de 1,2 million de véhicules à l’horizon 2020. Dans ce cadre, le droit sur les importations de véhicules a été augmenté de 25% afin de freiner celles-ci. En plus, l’APDP offre un remboursement de 20% sur les investissements en outils de production et introduit des incitations à la production avec une réduction des coûts pour les constructeurs qui produisent plus de 50.000 unités par an.

Ce nouveau plan a eu un impact positif car, presque tous les constructeurs présents sur le marché ont investi dans l’augmentation de leurs capacités de production et d’autres acteurs se sont implantés sur le marché.

Le secteur automobile sud-africain bénéficie des coûts d’énergie relativement peu élevés, une bonne infrastructure et une main d’œuvre compétente.

Le pays produit actuellement près de 700 000 véhicules, soit environ 65% de la production automobile africaine, dont environ 40% est destiné au marché intérieur. Les exportations de véhicules et de pièces détachés dépassent actuellement les 12 milliards d’euros.

Enfin, le secteur de la construction automobile et pièces de voitures pèse 30% de la production manufacturières d’Afrique du Sud, pèse environ 6% du produit national brut (PNB) et 12% des exportations des produits manufacturés.

Maroc: l’écosystème comme fer de lance du hub de l’industrie automobile

A l’instar de l’Afrique du Sud, le Maroc a également une tradition dans la construction automobile avec la SOMACA (Société marocaine de construction automobile), créée en 1959 à l’initiative du gouvernement marocain avec l’assistance technique de Fiat et de la Société franco-italienne Simca. Outre cette implantation historique, le Royaume a attiré plusieurs fournisseurs d’automobiles sur son territoire au cours de ces 20 dernières années. Ainsi, le développement des filières (câblage, systèmes intérieurs, batteries, emboutissage, sièges, équipements moteurs, équipements électroniques, tôlerie, plasturgie et peintures) a contribué à l’attrait du Maroc auprès des constructeurs automobiles.

Toutefois, c’est l’implantation de Renault à Tanger qui a changé la donne et fait rentrer le Maroc dans le cercle des pays producteurs de véhicules et renforcé l’implantation de nombreux fournisseurs automobiles. Ainsi, on dénombre pas moins de 170 sites de productions dans le secteur automobile au Maroc : Leoni, Lear, Yazaki (câblage), Delphi, Denzo, Takata (système de sécurité), Sumitomo (verre et électronique), etc. Ce sont ces fournisseurs de toute la chaîne de valeur de la construction automobile qui gravitent autour d’un donneur d’ordre d’un même secteur qui font la singularité de l’offre Maroc.

En 2015, la production a progressé de 26% pour atteindre 229.000 unités par Renault-Nissan et 59.028 unités par Somaca, détenue désormais à hauteur de 80% par Renault, soit une production globale de 288 028 unités, représentant 26% de la production du continent. Le site de Tanger a un potentiel de production de 340.000 véhicules qui pourrait monter à 400.000 véhicules. En 2015, 90% de cette production a été exportée dont 45% vers trois pays: France, Espagne et Turquie. L’Egypte aussi constitue un gros client de la production automobile marocaine. Des modèles produits au Maroc ont été exportés en Arabie Saoudite, Tunisie, Brésil, Inde, Colombie, Roumanie et Argentine.

Renault fabrique quatre modèle au Maroc -Sandero, Dokker, Logan et Lodgy- et emploie environ 10.000 collaborateurs.

Après le succès de Renault, c’est autour du second constructeur français d’annoncer son arrivée au Maroc. Le groupe PSA (Peugeot Citroën) a annoncé le 19 juin dernier l’implantation d’une usine de 200 000 véhicules à destination du continent africain à Kenitra, au Maroc, tablant sur une augmentation des ventes de voitures neuves 5 à 8 millions d’ici 2025, ce dans la zone Afrique Moyen-Orient. PSA devrait produire 90.000 véhicules par an à partir de 2019.

Ainsi, à l’horizon 2023, le pays devrait produire plus de 600.000 véhicules sous la férule de ces deux constricteurs. Grâce au développement d’un écosystème autour du constructeur Renault Tanger, le taux d’intégration a atteint 35% et le Royaume cible un taux d’intégration de 65% à l’horizon 2023. Pour sa part, bénéficiant de cet écosystème déjà en place, le groupe PSA table sur un taux d’intégration ambitieux de 60% dès le démarrage en 2019 pour un objectif à terme de 80%.

Pour atteindre ces objectifs, plusieurs écosystèmes ont été lancés dans le cadre du Plan d’accélération industrielle 2014-2020 : câblage, moteur et transmission, etc.

Grâce au développement de ces écosystèmes, plusieurs constructeurs automobiles sont aujourd’hui intéressés par une implantation au Maroc et ce d’autant plus que le pays dispose des infrastructures logistiques solides: autoroutes, zones industrielles, port Tanger Med, etc. En plus des incitations accordés aux constructeurs, le Maroc dispose d’une main-d’œuvre qualifiée, d’un environnement des affaires favorable, d’une proximité géographique avec les grands marchés et d’une stabilité politique.

Le secteur automobile est devenu le premier secteur exportateur du Maroc. Il a enregistré une hausse de 22,7% en 2015 pour atteindre environ 50 milliards de dirhams, soit environ 4,5 milliards d’euros, soit 22,7% des exportions marocaines. Le secteur emploie plus de 90.000 personnes et compte doubler ses emplois pour atteindre 150.000 collaborateurs et 100.000 milliards de dirhams d’exportations.

L’Egypte: un marché de moins en moins attractif

L’Egypte auquel le Maroc a pris la seconde place de constructeur automobile du continent st actuellement le troisième plus gros fabricant d’automobile du continent grâce à l’assemblage de plusieurs marques. Ils sont attirés par un marché important de 90 millions d’habitants qui est faiblement équipé avec un taux de motorisation de 35 véhicules pour 1000 habitants. Le marché de véhicules neufs a atteint 211.000 unités, soit le troisième le plus important du continent après l’Afrique du sud et l’Algérie.

C’est dire que le pays a du potentiel. Et c'est aussi ce qui explique la présence de plusieurs géants de l’automobiles assemblant en Egypte, dont BMW, General Motors, JAC, PSA, Daewoo, Jeep, Suzuki, Nissan, Fiat Chrysler, Opel, Ford, etc. En tout, on y recense 17 unités d’assemblage de voitures pour une capacité globale de 300.000 voitures et bus par an. Le pays compte également plus de 300 fournisseurs de composants automobiles qui alimentent ces constructeurs. Toutefois, la production reste très en deçà des capacités installées.

Après quelques années difficiles dans le sillage du «Printemps arabe», la production a repris en 2014. Reste que le secteur connaît actuellement des difficultés. Outre la concurrence des véhicules importés du Maroc, bénéficiant d’une entrée libre dans le cadre des accords de libre-échange, le pays souffre aussi de la hausse des salaires qui impacte sur la compétitivité de la destination et surtout d’une crise de devises consécutive à la conjoncture économique difficile. De même, les perspectives de la fin des droits d’importations sur les véhicules en 2019 (droit d’importation de 0% en 2019 contre 40% en 2014) n’encouragent pas la production locale. D’ailleurs, Dailmer, par exemple a décidé de déménager son unité vers l’Algérie où la croissance des ventes est jugée plus prometteuse.

Nigéria: un très modeste assembleur

Avec ces 180 millions d’habitants, le Nigéria, première économie africaine, a du mal à attirer les constructeurs automobiles alors qu’il consacre près de 3,5 milliards de dollars à l’importation de véhicules. Le pays importe annuellement environ 400.000 véhicules dont plus de 300.000 de véhicules d’occasion. 

Face à cette situation, le pays a le potentiel pour devenir une plaque tournante de l’industrie automobile en Afrique, et a mis en place en 2013 un Plan national de développement de l’industrie automobile (NAIDP) qui vise à décourager les importations de véhicules et à encourager la production locale. Ainsi, le gouvernement a imposé des taxes prohibitives à l’import atteignant depuis juillet 2014 quasiment 70% du prix d’achat d’une voiture neuve.

Conséquence, les importations de véhicules neuves ont chuté pour se situer à seulement 52.000 unités en 2014, soit deux fois moins que le marché marocain qui est 5 fois moins peuplé.

Cette politique a commencé timidement à produire ses effets. Dès 2015, plusieurs constructeurs ont lancé des chaînes d’assemblage dans le pays. Toutefois, il s’agit plus d’une volonté de marquer une présence dans ce pays que d’y produire réellement plus de véhicules, comme en attestent les capacités de production installées. Ainsi, Renault-Nissan a mis en service sa première chaîne de production dans le pays en 2015. Dans le même sillage, PSA, après avoir stoppé sa production au Nigéria en 2006, a redémarré son unité d’assemblage de Peugeot 301 et 508 avec toutefois des ambitions modestes en tablant sur 400 unités assemblées pour sa première année et 3600 unités par an à terme.

Honda également a inauguré en juillet 2015 sa première unité africaine dans le pays avec une capacité installée de 1000 voitures par an. L’allemand Volkswagen aussi a réactivé le site d’assemblage de sa marque Passat. Kia et Tata aussi envisagent de s’installer sur ce marché suite à la nouvelle politique automobile

Seulement, avec des capacités modestes, la production locale demeure faible avec 10.000 véhicules assemblés sur le marché nigérian en 2015. L’objectif de l’Etat est d’atteindre 180 000 unités par an à l’horizon 2020.

Cette faiblesse s’explique par plusieurs facteurs : prédominance du marché de l’occasion, manque de main-d’œuvre qualifiée, absence d’un écosystème de fournisseurs et d’assembleurs domestiques, défaut de pièces détachées et de composants, difficultés d’approvisionnement du fait des défaillance de la chaîne logistique, etc. A ces facteurs s’ajoutent d’autres dont l’insécurité, le climat des affaires peu favorable, les fluctuation de la monnaie locale, etc.

A défaut d’attirer des constructeurs étrangers, le pays peut compter sur la production locale. Ainsi, Innoson Vehicule manufacturing (IVM) qui faisait de l’import et du montage de véhicules dont les 4x4 et des camions depuis les années 1970 a produit le premier véhicule «véhicule 100% made in Nigeria» en 2012. Seul le châssis et le moteur sont importés. En ayant comme stratégie de vendre des véhicules neufs au prix de l’occasion, cette unité d’une capacité de 4000 véhicules par an (de marque IVM) entend contribuer au développement de l’industrie automobile nigériane.

Autres marchés en développement

A côté des trois grands constructeurs du continent, d’autres pays se lancent également dans l’industrie automobile dont l’Algérie, l’Egypte, le Kenya, le Ghana, etc.

L’Algérie, le second marché du continent en termes de ventes automobiles, reste tout de même un nain avec seulement 25.000 unités produites localement en 2015 grâce à l’implantation de Renault (plus de 20.000 exemplaires du modèle Symbol) et des Mercédès grâce à une unité industrielle de Dailmer qui assemble des poids lourds, des 4x4, etc.

Ayant des difficultés pour attirer les constructeurs et non de simples assembleurs, Alger, pour accroître la production automobile locale, oblige désormais les anciens concessionnaires à produire localement à partir de janvier 2017. Hyundai, PSA, Volkswagen et d’autres constructeurs sont annoncés mais trainent les pieds du fait des lois qui obligent que la majorité du capital soit détenue par des algériens et de l’absence d’un écosystème de fournisseurs locaux.

Par Moussa Diop
Le 07/08/2016 à 13h21, mis à jour le 07/08/2016 à 14h23