Du Maroc à l’Egypte en passant par la Mauritanie, l’Algérie et la Libye, les condamnations des propos du gouvernement français se multiplient. En Afrique subsaharienne où les dirigeants dépendent de l’aide publique française, les officiels optent pour une politique de l’autruche, alors que la société civile et les religieux fustigent une démarche anti-islamique contreproductive.
Ce sont sans doute les officiels marocains qui ont été les premiers à réagir par un communiqué du ministère des Affaires étrangères qui condamne "vigoureusement" la poursuite de la publication des caricatures outrageuses à l'Islam et au prophète Mohammed.
Il dénonce "ces actes qui reflètent l’immaturité de leurs auteurs, et réaffirme que la liberté des uns s’arrête là où commencent la liberté et les croyances des autres". En réalité cette immaturité ne concerne pas seulement "les auteurs", mais surtout le chef de l’Etat français qui a osé dire que la France ne renoncera pas aux caricatures sur le prophète de l’islam dont la nature insultante, provocatrice et empreinte de haine n’est plus à prouver.
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Le communiqué du ministère des Affaires étrangères rappelle en outre que "La liberté d’expression ne saurait, sous aucun motif, justifier la provocation insultante et l’offense injurieuse de la religion musulmane qui compte plus de deux milliards de fidèles dans le monde".
En Egypte, l’imam d’Al Azhar qui est à la tête du Conseil des sages musulmans, une institution basée à Abou Dhabi, annonce des poursuites contre Charlie Hebdo et "quiconque offense l’islam". Ainsi, un comité de juristes internationaux sera constitué pour ester en justice contre ces personnes qui détournent les valeurs universelles de liberté d’expression pour insulter la foi et la conviction de deux milliards de personnes.
Le conseil des sages musulmans, faut-il le rappeler, regroupe des dignitaires musulmans de divers pays.
"La liberté d'expression (...) doit respecter les droits d'autrui et ne devrait pas permettre d'utiliser les religions dans les marchés de la politique ou dans la propagande électorale", affirme encore le conseil.
En Algérie, la réaction est venue d’un organe dépendant directement de la présidence, en l’occurrence le Haut Conseil islamique. Celui-ci dénonce "une campagne enragée" contre le Prophète, dans un communiqué rendu public lundi 26 octobre et mis en ligne sur la page officielle de la présidence.
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"Nous sommes surpris et dénonçons l’apparition d’une catégorie qui dévie des valeurs de l’humanité et de la raison" et qui, "prétextant la liberté d’expression, porte atteinte à l’Islam et à son Prophète" et "se moque des symboles religieux que les lois internationales obligent à protéger, étant des valeurs communes à tous les peuples et toutes les religions", écrit le HCI.
Selon le HCI algérien, ces attaques ne sont rien d’autre qu’"une atteinte à toute l’humanité", surtout "quand elles émanent d’un responsable qui se considère comme le garant des valeurs de fraternité, de liberté et d’égalité". Ici, allusion est clairement faite à Emmanuel Macron qui a publié un tweet en plusieurs langues, dimanche 25 octobre, trahissant une puérile défiance en affirmant que "Rien ne nous fera reculer, jamais".
En Mauritanie, c’est le ministère des Affaires étrangères qui exprime le mécontentement du gouvernement vis-à-vis des caricatures du Prophète, dans un communiqué diffusé lundi 26 octobre.
Ainsi, la Mauritanie dénonce la persistance des "attaques orchestrées contre les sentiments des musulmans" et dit "suivre avec beaucoup de peine ces attaques qui n’ont aucun rapport avec la liberté d’expression". Selon la diplomatie mauritanienne, il s’agit d’un "acharnement qui attise la haine et le racisme".
Ailleurs en Afrique, il n’y a pas eu de réactions officielles, ce n’est pas étonnant vu qu’en 2015, beaucoup de dirigeants d’Afrique subsaharienne avaient marché aux côtés de François Hollande avec des pancartes "Je suis Charlie" dans leur cortège. Ils sont restés fidèles à cette ligne, faisant fi de leur opinion publique majoritairement outrée par l’attitude irrévérencieuse des autorités françaises face à l’islam. Mais, société civile, religieux et même les politiques non affiliés au pouvoir réagissent.
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Au Sénégal par exemple, le leader de l’opposition Ousmane Sonko ne mâche pas ses mots. Dans une déclaration sur sa page Facebook, il affirme que "les actes que pose le gouvernement français ne nous rassurent pas quant à l'objectif affiché et unique de contrer le terrorisme".
"Loi contre les "séparatismes", menaces à la liberté des femmes qui choisissent de porter le voile, fermeture des lieux de vente du halal, interdiction de la polygamie, soutien aux caricatures de la figure sacrée du prophète Mohammed (PSL)... Veut-on lutter contre le terrorisme ou contre les valeurs de l’Islam?", s’interroge-t-il.
Et d’ajouter: "la France nous parle de ses valeurs à elle, de son mode de vie, mais n’hésite pas à piétiner les valeurs et les modes de vie des autres: pressions et lobbying agressif sur les pays à forte majorité croyante (musulmans et chrétiens) pour imposer l'homosexualité particulièrement".
"Le président Macron devrait comprendre que nous pouvons tous, toutes obédiences confondues, gagner la guerre contre les extrémismes, qui ne sont pas qu’islamistes, mais la guerre contre l’Islam est une guerre perdue d’avance pour ceux qui comptent s'y engager", conclut-il.
En tout cas, beaucoup estiment que les propos d’Emmanuel Macron ne sont guidés que par le populisme pour chasser sur les terres du Front national. Certains n’ont pas hésité à lui rappeler l’attitude plus responsable de feu Jacques Chirac qui disait en 2006, quand Charlie Hebdo publiait les caricatures pour la première fois, que "Tout ce qui peut blesser la conviction d’autrui, en particulier les convictions religieuses, doit être évité. La liberté d’expression doit s’exercer dans un esprit de responsabilité. Je condamne toutes les provocations".