Change: pourquoi le dirham ne chutera pas, contrairement à la livre égyptienne ou au naira

DR

Le 19/01/2018 à 14h37

L'Egypte et le Nigeria, qui faisaient face à une pénurie de devises en 2016, avaient laissé flotter leur monnaie. Il s'en est suivie une sévère dépréciation de la livre et du naira. Le Maroc n'est pas dans ce cas et les autorités ont choisi la prudence.

C’est de lundi 15 janvier que le Maroc a mis en œuvre la première étape de la réforme de son régime de change. L’inquiétude est générale, alors que le risque d’une baisse existe, mais la probabilité d’une dépréciation similaire à celle de l’Egypte et du Nigeria en 2016 est faible.

"Les clients marocains résidant à l’étranger (MRE) m’appellent depuis l’Europe pour me demander si la valeur de leur épargne détenue en dirhams va subitement se déprécier par rapport à l’euro ou au dollar", explique ce directeur d’une agence de la Banque populaire à Casablanca. Ce ne sera pas le cas pour plusieurs raisons.

Un fixing quotien et une variation limitée à +-2,5%

La première est qu'un cours de référence est déterminé quotidiennement par une séance de fixing et que les banques sont tenues d’opérer avec une marge de plus ou moins 2,5% par rapport à ce cours. Cela signifie que si le fixing est de 10 dirhams pour un euro, le cours plancher (le minimum autorisé) est de 9,7500 et le cours plafond (le maximum autorisé) de 10,2500. 

Evolution réelle du cours du dirhams depuis le lundi 15 et simulation

Date Valeur fixing Cours Achat Cours vente
12/01/18 11,197 10,9171 11,4769
15/01/18 11,303 11,0204 11,5856
16/01/18 11,293 11,0107 11,5753
17/01/18 11,288 11,0058 11,5702
Simulation 1 10 9,7500 10,2500
Simulation 2 11 10,7250 11,2750

Et en principe, les transactions se font dans un intervalle encore plus restreint, les bornes minimale et maximale n’étant jamais atteintes. On a pu le constater sur le terrain. Même si la loi de l’offre et de la demande prévaut, la variation du dirham est infinitésimale et ne dépasse pas l'ancienne limite de 0,3%. En effet, auparavant, les banques pouvaient céder ou acheter les devises suivant un intervalle beaucoup plus petit et qui se limitait à plus ou moins 0,3% du cours de référence de la Banque centrale. 

Il convient de noter que la Central Bank of Egypt (CBE) et la Central Bank of Nigeria (CBN) n’avaient pas imposé de telles limites. C’est ce qui a mené à une chute vertigineuse de la valeur de la livre et du naira dès l’instauration du système de change flottant. Aussi, la livre égyptienne s’était-elle dépréciée de 40% en une matinée, le 3 octobre, en passant de 8,88 à 14 livres pour un dollar. De même, au Nigeria, le 20 juin 2016, on était passé d’un dollar s’échangeant à 197 nairas à une valeur de 267 nairas pour le même dollar, soit une dépréciation de 33%. La Banque centrale avait alors maintenu le taux de change à ce niveau pour éviter une nouvelle chute du naira.

Pénurie de devises en Egypte et au Nigeria

D'autre part, les contextes n’ont rien de semblable. Au moment de l’instauration d’un système de change flottant, l'Egypte comme le Nigeria souffraient d'une pénurie de devises. Ces mesures avaient presque été imposées par le contexte et par les partenaires financiers, notamment le FMI dans le cas égyptien.

Le Fonds monétaire international avait clairement signifié au gouvernement d’Abdelfattah Al-Sissi que s’il ne prenait pas une série de mesures impopulaires, parmi lesquelles la flottabilité, il n’allait pas recevoir les 12 milliards de dollars qui lui avaient été promis. Or à ce moment précis, l’Egypte ne parvenait plus à importer correctement vivres et médicaments faute de devises. Les réserves de change égyptiennes avaient reculé de 25 milliards de dollars. Ainsi, même si la Banque centrale affichait un taux de change officiel de 8,88 livres pour un dollar, elle n’était pas en mesure de satisfaire la demande des acteurs économiques, puisque ses réserves s’étaient pratiquement taries.

Un marché noir plus dynamique que le marché officiel

Ainsi, les importateurs se rabattaient sur le marché noir, payant jusqu’à 14 livres pour un dollar. Les transactions sur le marché noir étaient tellement importantes qu'il avait supplanté le marché officiel. C’est pourquoi quand la flottabilité a été instaurée, le taux de change du marché noir s’est imposé de facto.

C’est ce qui s'est passé au Nigeria en juin 2016. La chute des cours du pétrole et les attaques des rebelles sur les installations pétrolières avaient sensiblement réduit les revenus extérieurs nigérians. Du coup, il fallait dévaluer, ce qui fut fait.

On est très loin d’un tel schéma au Maroc. Au cours des dernières années, "jamais aucune banque n’a demandé à un client importateur ayant sollicité des devises de patienter parce qu’elle ne pouvait pas les lui fournir", explique cet agent d’une salle de marché. De plus, le marché noir n’existe qu'à hauteur de sommes dérisoires à l’échelle de l’économie marocaine. Par conséquent, l’assouplissement du système de change marocain, qui s'apparente plus à un système semi-flottant encadré, n’est pas de nature à impacter le taux de change de façon brusque. Les corrections qui s'opéreront feront le plus grand bien à l'économie, notamment en renforçant la compétitivité ou en orientant positivement le taux d'intérêt. 

La prudence a "sauvé" le dirham

Toutefois, il y a bien eu une reculade salvatrice de la part des autorités marocaines. En effet, au début, il était plutôt question de mettre en place un système flottant qui laisseraient l’offre et la demande fixer librement le cours du dirham, tout en autorisant une système de change libre. Quelles que soient les différences avec l’Egypte et le Nigéria, l'impact aurait été incontrôlable. En effet, le marché de change ne concerne pas seulement les agents impliqués dans le commerce international et les investisseurs. A côté d’eux, il y a les spéculateurs et les arbitragistes, lequels, quand ils entrent dans la danse, fixent quasiment les règles.

En tout cas, la prudence des autorités marocaines est payante, puisque le taux de change, qui s'est hissé à 11,303 dirhams pour un euro lundi, est redescendu mercredi à 11,288, ce qui le rapproche de son niveau d’avant l’entrée en vigueur de la mesure à 11,197.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 19/01/2018 à 14h37