Pourquoi les banques françaises et britanniques se désengagent-elles de l’Afrique?

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Le 25/04/2022 à 17h35, mis à jour le 25/04/2022 à 22h00

Les grands groupes bancaires français et britanniques poursuivent leur désengagement de l'Afrique. Dernière en date, Standard Chartered Bank vient d’annoncer son départ de sept pays africains et d’autres sont en négociations pour céder leurs filiales. Pourquoi ces départs?

La physionomie du secteur bancaire africain ne cesse de se modifier. A côté de l’émergence de grands groupes bancaires panafricains, on note aussi le désengagement croissant des grands groupes bancaires européens en Afrique. Crédit Agricole, BPCE, BNP Paribas, Barclays, Standard Chartered Bank, Crédit Suisse… Tous ces géants du secteur bancaire européen se désengagent du continent. Une tendance enclenchée à la fin des année 1990 et qui s'est accélérée ces dernières années.

Ce sont les grandes banques françaises qui ont amorcé le mouvement, avant que les anglaises ne leur emboitent le pas.

Crédit Agricole: un désengagement en Afrique subsaharienne et peut-être bientôt du Maroc

C’est à la fin des années 2000 que le Crédit Agricole a décidé de se désengager de l’Afrique pour se recentrer sur l’Europe et alléger son bilan. Cette décision s’est traduite par la cession en 2008 des participations détenues dans plusieurs banques de détail. Cinq pays étaient concernés: Congo, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon et Sénégal. Ce désengagement a profité au groupe bancaire marocain Attijariwafa bank, qui a ainsi acquis ce réseau et boosté son développement en Afrique.

Le Crédit Agricole s’est, par la suite, désengagé de l’Afrique du Sud, ne gardant que ses filiales égyptienne et algérienne. Mais le groupe semble vouloir céder ces dernières. En effet, selon plusieurs médias marocains, le Crédit Agricole est en discussion avec le groupe Holmarcom pour la cession de sa participation dans sa filiale marocaine Crédit du Maroc. «Ces discussions sont à un stade préliminaire sans aucune certitude sur leur aboutissement», prévenait le groupe Holmarcom. En cas de réussite de cette opération, l’acquisition de 78,70% des actions de Crédit du Maroc permettra à Holmarcom de redevenir une institution de bancassurance.

Le groupe mutualiste BPCE a suivi

Alors que le groupe mutualiste Banque Populaire et Caisse d’Epargne (BPCE) annonçait en 2014 son intention d’accentuer sa présence en Afrique centrale ou de l’Ouest, BPCE International, la holding qui pilote les participations à l’international du groupe, a annoncé en 2017 conduire «une revue stratégique de la banque de détail à l’international» dans le cadre d’un vaste mouvement stratégique de recentrage de ses activités sur le marché européen.

C’est dans cette optique que BPCE a cédé à la Banque Centrale Populaire (BCP) ses filiales BICEC du Cameroun, BMOI de Madagascar, BCI du Congo et BTK de la Tunisie. Notons qu'il avait cédé auparavant la Banque des Mascareignes (Maurice) au groupe marocain. BPCE détient une participation de 4,05% dans le groupe BCP.

BNP Paribas poursuit son désengagement de l’Afrique

BNP Paribas, la plus grande banque européenne en termes d'actifs, se désengage aussi de l’Afrique. Après avoir cédé sa filiale mauritanienne en 2010 et celle de Madagascar en 2011, BNP Paribas a accéléré son désengagement en 2019 en cédant ses filiales des Comores, du Gabon, de la Tunisie, du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée. Le groupe a ainsi réduit sa voilure africaine à des présences au Maroc, au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont aussi sur la liste des filiales à céder. Selon Africa Business+, BNP Paribas a engagé une opération de cession de 54,11% du capital de sa filiale sénégalaise BICIS. De même, le groupe cherche à céder sa filiale ivoirienne BICICI. Le mandat de la cession de ces participations a été confié à Rothschild & Co.

Le premier groupe bancaire français conserve néanmoins une solide présence au Maroc à travers la BMCI qu’elle continue de développer. Et tout en se désengageant de la banque de détail, le groupe affirme continuer de «s’engager auprès des clients de la banque d’entreprises et de la banque d’investissement» en Afrique.

Barclays met fin à presque un siècle de présence africaine

Barclays, un des «big five» britanniques, a cédé le jeudi 21 avril 63 millions d’actions du groupe bancaire sud-africains Absa Bank, soit l’équivalent de 7,4% du capital de ce dernier. Le groupe britannique se retrouve donc avec une participation de 7,4%, laquelle sera cédée en décembre prochain, mettant fin à 97 ans de présence de Barclays en Afrique.

Barclays International a entamé son aventure africaine en 1925, suite à la fusion de Colonial Bank, Anglo Egyptian Bank et National Bank of South Africa. La banque était présente dans 12 pays africains, notamment dans les anciennes colonies britanniques (Nigeria, Kenya, Tanzanie, Egypte, Afrique du Sud…). Aujourd'hui, elle s’est désengagée du segment de la banque de détail de tous ces pays pour se recentrer sur les marchés nord-américains et britannique.

Standard Chartered Bank se retire de 7 marchés africains

Standard Chartered Bank a annoncé, dans un communiqué publié le 14 avril, son retrait de 7 pays africains. En détail, le groupe britannique envisage des cessions totales de ses actifs dans 5 pays -Angola, Cameroun, Gambie, Sierra Leone et Zimbabwe- et des cessions partielles en Côte d’Ivoire et en Tanzanie. Pour le moment, ni le calendrier de la cession, ni l’identité des acquéreurs potentiels ne sont connus.

«Nous nous concentrons sur les opportunités de croissance les plus importantes tout en simplifiant nos activités. Nous restons enthousiasmés par un certain nombre d’opportunités que nous voyons dans la région Afrique du Nord-Moyen-Orient, comme l’illustrent nos nouveaux marchés, mais nous restons disciplinés dans notre évaluation des domaines dans lesquels nous pouvons fournir des rendements considérablement améliorés pour les actionnaires», a expliqué Bill Winters, directeur général du groupe.

Crédit Suisse se retire de la gestion de fortune dans 9 pays

Dans un autre segment, celui de la gestion de fortune, Crédit Suisse a annoncé préparer sa sortie de pas moins de 9 marchés africains sur son activité de banque privé. Il s’agit du Botswana, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Nigeria, du Kenya, de la Tanzanie, de Maurice, des Seychelles et de la Zambie. Il a signé un accord avec Barclays afin que les patrimoines des ses clients africains fortunés soient gérés depuis Londres, avançant le caractère «non stratégique» de ces marchés. Les actifs sous gestion se chiffreraient à hauteur de 2,5 milliards de dollars. Néanmoins, la banque helvétique conserve son activité en Afrique du Sud.

Pourquoi ces départs

Plusieurs facteurs sont avancés pour justifier ces départs des grandes banques européennes d’Afrique. D’abord, toutes les banques avancent l’argument du recentrage de leurs activités sur les marchés européens, américains et asiatiques, qui répondent aux conditions souhaitées en termes de développement et de maitrise des risques. La montée du coût du risque consécutive à la détérioration des portefeuilles dans le sillage du ralentissement des économies africaines a freiné l’expansion des banques européennes sur le continent. A ce titre, dans beaucoup de pays africains, les coefficients d’exploitation de leurs filiales restent élevés, très souvent supérieurs à 60%. Ce qui réduit leur rentabilité.

Ensuite, il y a l’impact de la concurrence accrue au niveau du secteur bancaire africain au cours des 20 dernières années grâce au développement des groupes bancaires panafricains: Attijariwafa bank, BCP et Bank of Africa du Maroc, Coris Bank du Burkina Faso, BGFI du Gabon, Ecobank et Oragroup du Togo, UBA, Guaranty Trust Bank et First Bank du Nigeria, Standard Bank et First Rand Group d’Afrique du Sud, BSIC de la Libye, Afriland First Bank du Cameroun, NSIA Banque de la Côte d’Ivoire... Nombre de ces banques ont entamé leur processus d’internationalisation à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Certaines de ces banques, notamment les marocaines, sont devenues de véritables concurrentes pour les groupes français en Afrique francophone.

Ces désengagements s'expliquent aussi par des marges de manœuvre limitées au niveau de la gestion de certaines filiales, surtout quand la majorité du capital est détenue par les Etats africains et des opérateurs locaux influents. Et les relations tendues entre Paris et certaines capitales africaines pour diverses raisons (biens mal acquis, soutiens politiques, etc.) pèsent aussi sur les banques françaises présentes en Afrique.

Par ailleurs, si le taux de bancarisation est faible en Afrique et présente un fort potentiel, les populations africaines semblent avoir trouvé la parade avec le mobile banking, qui réduit l’attrait des banques.

Enfin, il faut aussi souligner que les banques françaises et anglaises perdent du terrain avec l’arrivée sur le continent de nouveaux partenaires chinois, turcs, russes, etc., dont les entreprises gagnent de plus en plus de parts de marché, au détriments des groupes européens, et sont souvent accompagnées par leurs partenaires financiers dans les pays africains.

Par Moussa Diop
Le 25/04/2022 à 17h35, mis à jour le 25/04/2022 à 22h00