La pandémie du coronavirus coûtera cher aux économies africaines. Suite, entre autres, aux confinements, à la baisse de la demande mondiale en matières premières (pétrole, minerais), au ralentissement des échanges commerciaux, à l’arrêt des investissements directs étrangers, et à la chute des transferts de la diaspora, rares sont les économies du continent qui échapperont à la récession en 2020.
Sur les 5 premières économies africaines –Nigeria, Afrique du Sud, Egypte, Algérie et Maroc- seule l’Egypte devrait afficher une croissance autour de 2%, alors que le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Algérie et le Maroc devraient entrer en récession avec des taux de croissance en contraction de respectivement -8,9%, -8,2%, -6,4% et -6,3%, selon les dernières estimations des Banques centrales. Avec une récession d’au moins de -8,2% attendue pour 2020 par la Banque centrale sud-africaine, le pays arc-en-ciel devrait enregistrer sa pire récession depuis la «Grande dépression» de 1930, lorsque la production avait chuté de -6,2%.
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Face à cette situation, tous les pays ont lancé des plans de riposte afin d’atténuer les effets de la pandémie et relancer leurs économies.
Et dans ce cadre, les Banques centrales des Etats africains, comme c'est le cas dans les pays développés, jouent un rôle primordial.
Dans leurs interventions pour atténuer les impacts de la crise et relancer des économies en crise, elles recourent à une palette d’instruments monétaires et financiers pour stimuler la demande globale, accroître la production, soutenir la reprise de la croissance économique et de réduire le chômage.
Globalement, les cinq plus grandes banques commerciales des cinq premières puissances économiques du continent ont fait appel aux mêmes instruments: baisse des taux directeurs, baisse des réserves obligatoires et garanties de crédits.
La manipulation du taux directeur est l’instrument le plus utilisé. Il vise à permettre aux banques de se refinancer pour moins cher auprès des banques centrales dans le but d’injecter davantage de liquidités dans l’économie en permettant aux entreprises et aux ménages de se financer dans de meilleures conditions.
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Et à ce jeu, c’est Bank Al-Maghrib, la Banque centrale marocaine, qui a été la plus audacieuse en matière de politique de soutien au secteur financier et à l’économie marocaine qui devrait entrer en récession à cause de l’impact du Covid-19 sur certains secteurs stratégiques, dont le tourisme.
Face à cette situation, Bank Al-Maghrib a dès le début de la crise, et en dépit d’un taux directeur parmi les plus bas du continent, grâce notamment à un taux d’inflation structurellement bas, a baissé, à deux reprises sont taux directeur ramenant celui-ci de 2,25% à 2% en mars avant d’accentuer cette baisse en juin dernier pour le ramener à 1,5%, dans le sillage de l’aggravation des conséquences de la pandémie du Covid-19 sur l’économie marocaine.
La Banque centrale marocaine affiche actuellement le taux directeur le plus bas au nouveau des 5 pays les plus puissants économiquement du continent. Le gouverneur de la Banque centrale marocaine, Abdellatif Jouahri, a clairement fait comprendre que l’institution veillerait à la transmission de ses décisions à l’économie réelle et favoriserait, dans le cadre de ses opérations de refinancement, les banques qui déploient le plus d’efforts dans ce sens.
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Au Nigeria, la baisse de la demande mondiale de pétrole, principal produit d’exportation du pays (environ 90% de recettes d’exportation) a entraîné une chute des réserves en devises du pays et une contraction du PIB.
Pays | Taux de croissance 2020e | Taux directeur fin 2019 | Taux directeur actuel | Taux de RMO fin 2019 | Taux de RMO actuel |
Nigeria | -8,90% | 14,50% | 11,50%% | 27,50% | 27,50% |
Afrique du Sud | -8,90% | 6,25% | 3,50% | x | x |
Egypte | 2% | 12,75% | 9,25% | 10,25% | 10,25% |
Algérie | -6,40% | 4% | 3% | 10% | 3% |
Maroc | -6,30% | 2,25% | 1,50% | 2% | 0% |
Central Bank of Nigeria, la Banque centrale du Nigeria, a multiplié les initiatives. L’institution a abaissé son taux directeur à deux reprises. Après une baisse de 100 points de base (pbs) qui avait ramené le taux de 13,5% à 12,5%, elle a initié une nouvelle baisse de 100 pbs pour réduire celui-ci de 12,5% à 11,5% et ce dans le but de stimuler l‘économie en permettant aux entreprises de bénéficier des crédits à des taux relativement plus bas, financer les investissements et stimuler la croissance afin d’atténuer le niveau d’inflation.
Le taux directeur de la Banque centrale nigériane reste toutefois élevé à cause d'un niveau d’inflation à deux chiffres. Une hausse des prix liée à la dépréciation de la monnaie locale consécutive à la chute des réserves en devises et à la volonté des autorités de mettre fin aux subventions sur le carburant a impacté négativement le pouvoir d’achat des consommateurs.
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South African Reserve Bank (SARB), la Banque centrale sud-africaine, a mis en œuvre des politiques volontaristes. Ainsi, l’institution du pays le plus touché par la pandémie a réduit son taux directeur 5 fois depuis le début de l’année faisant passer celui-ci de 6,25% à 3,5% et ce dans l’espoir de soulager les entreprises et les consommateurs.
Selon le gouverneur de la SARB, Lesetja Kganyago, «la Banque centrale avait réagi de manière flexible, rapide et agressive à la crise provoquée par la Covid-19, en réduisant le taux de rachat de 275 points de base pendant le confinement».
De même, la Banque centrale d’Egypte a réduit son taux directeur de 12,75% le 17 mars à 9,75%, soit une baisse de 300 points de base, puis de 50 pbs à 9,25%, le 27 septembre, injectant pour cette dernière décision 15 milliards de livres égyptiennes (1,3 milliard de dollars) pour soutenir le financement de l’économie.
Enfin, la Banque d’Algérie a également abaissé son taux directeur de 25 points de base (0,25%) le 15 mars à 3,25%, puis de 25 pbs le 29 avril pour ramener le taux directeur à 3%.
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L’autre instrument monétaire qui a été le plus utilisé par les Banques centrales des plus grandes économies africaines est la manipulation du taux de la réserve monétaire obligatoire.
Et à ce titre également, Bank Al-Maghrib a été de loin la Banque centrale la plus audacieuse. En effet, après avoir ramené le taux de la réserve monétaire obligatoire à 2%, elle a décidé le 16 juin dernier de libérer intégralement le compte de la réserve au profit des banques en ramenant ce taux à 0%, ce qui a permis une injection permanente d’environ 12 milliards de dirhams dans le circuit bancaire.
Dans le même sillage, la Banque d’Algérie a baissé le taux de la réserve obligatoire de 10% à 8% en mars, puis de 8% à 6% en avril, et enfin de 6% à 3% en septembre, libérant ainsi des montants additionnels de ressources financières.
Toutefois, plus qu’une mesure de soutien au financement, ces baisses ont surtout été mises en place pour permettre au pays de faire face à une crise de liquidité aiguë qui touche le pays depuis plusieurs mois dans le sillage de la crise financière que traverse le pays et qui a poussé les banques commerciales à geler une partie de leurs crédits aux entreprises et aux investissements.
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Alors que les autres Banques centrales manoeuvrent pour injecter de la liquidité dans le système financier et desserrer ainsi l’étau autour des banques, à l’opposé de Bank Al-Maghrib qui a libéré toute la réserve obligatoire, la CNB (Central Bank of Nigeria, la Banque centrale du Nigeria) est restée passive, arc-boutée sur son objectif fondamental de limiter la masse monétaire et de maîtriser l’inflation.
Ainsi, le taux de la réserve obligatoire est resté figé à 27,5%, c’est-à-dire que les banques ont l’obligation de conserver 27,5% des dépôts de leurs clients à la CBN à un taux d’intérêt nul. Or, en baissant ce taux, la Banque centrale aurait permis au secteur bancaire de disposer de davantage de ressources au profit des entreprises et des particuliers et aux banques de générer des marges, ce qui aurait contribué à leur résilience. Du coup, les mesures peu accommodantes ont «puni» le secteur bancaire éprouvé par la crise sanitaire, selon Fitch Ratings.
La Banque centrale égyptienne également a maintenu son ratio des réserves obligatoires à 14,0%.
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Par ailleurs, la Banque centrale marocaine a renforcé le programme de refinancement spécifique en faveur de très petites et moyennes entreprises (TPME), offert la possibilité aux banques de recourir à l’ensemble des instruments de refinancement disponibles dans ses comptes et élargi les titres que les banques peuvent lui fournir en contrepartie (collatéral) des refinancements.
Bank Al-Maghrib a également mis en place des mesures d’accompagnement spécifiques aux profits des banques au niveau des règles prudentielles, des exigences en fonds propres et de provisionnement des créances dans le but de soutenir le financement des entreprises et des ménages.
Dans le même sillage, et consciente du rôle stratégique du secteur du tourisme, la Banque centrale d’Egypte a aussi annoncé le 24 mars l’octroie aux établissements touristiques des prêts de deux ans avec un délai de grâce de 6 mois, en vue de leur permettre de faire face au paiement des salaires, des crédits aux fournisseurs et aux travaux d’entretien des activités touristiques, un secteur qui pèse indirectement 9,7% de l’emploi total et représentait 9,3% du PIB en 2019.
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De même, la banque a pris, le 7 avril, une mesure visant à soutenir le secteur financier en accordant 100 milliards de livres égyptiennes, soit 6,3 milliards de dollars, aux banques sous forme de garanties de prêts pour aider les entreprises du secteur manufacturier à relever les défis économiques imposés par le Covid-19.
Pour sa part, en plus des mesures relatives au taux directeur et au ratio de la réserve monétaire obligatoire, la Banque d’Algérie a aussi allégé certaines dispositions prudentielles applicables aux banques et établissements financiers en ramenant le coefficient de liquidité à 60%. Elle a augmenté les seuils de refinancement des titres publics négociables qu’elle accepte comme collatéral éligible aux opérations de politique monétaire, et ce dans le but de permettre aux banques d’augmenter leur capacité de refinancement auprès d’elle.
Bref, les Banques centrales africaines ont opté pour des stratégies de relance économique misant particulièrement sur la hausse des crédits. Toutefois, comme l’a souligné Oluwasegun Akinwale, chargé de recherche à la Nova Merchant Bank Ltd, «toute politique qui se concentre uniquement sur la stimulation de la croissance du crédit sans une réorganisation majeure des goulots d’étranglement structurants de l’économie aura peu d’effet sur l’offre de crédits moins chers pour stimuler la production».