Dette. Covid-19: l’Afrique risque de ne pas se relever de sitôt

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Le 03/08/2020 à 16h16, mis à jour le 04/08/2020 à 15h38

Pour faire face au Covid-19, les pays africains s’endettent de manières inquiétantes auprès des bailleurs de fonds. Une situation qui pose la question de la soutenabilité de la dette continentale et qui va constituer un goulot d’étranglement pour les Etats au moment des remboursements.

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale qui critiquaient il y a quelques mois l’endettement des pays africains et en faisaient porter une partie de responsabilité à la Banque africaine de développement, taxée de largesse en matière d’octroi de crédits, ouvrent leurs robinets en grand.

Et même les Etats qui avaient décidé de se passer du FMI, et donc de ses exigences, ont profité de cette ouverture des guichets de l’institution de Bretton Woods, devenue elle-même subitement moins regardante sur les conditions et les thérapies à mettre en place dans les pays bénéficiaires.

Il s’agit de prêts décaissés rapidement, dans le cadre de l’Instrument de financement rapide (IFR) du FMI, et qui visent essentiellement à limiter les impacts à court terme de la pandémie sur les économies. En effet, la crise économique induite par les mesures restrictives a ralenti l’activité partotu. Selon l’Union africaine, l’impact du Covid-19 pourrait faire perdre à l’Afrique jusqu’à 500 milliards de dollars. Et pour la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), le continent a besoin d’au moins 100 milliards de dollars pour faire face à la pandémie et financer la sécurité sociale, ainsi que de 100 autres milliards pour la relance économique.

Du coup, les pays africains qui voient chuter leurs recettes d’exportation, notamment de pétrole et de matières premières, sont obligés de recourir à l’endettement.

Dans ce cadre, le FMI joue un rôle central et a multiplié les prêts, certains colossaux, à de nombreux Etats.

C’est le Nigeria qui a ouvert le bal auprès de l’institution. En avril dernier, la première puissance économique du continent a obtenu un prêt de 3,4 milliards de dollars du FMI. Le prêt décaissé dans la cadre de l’instrument de financement rapide (IFR) du FMI était alors le plus gros montant accordé par le FMI à un pays africain. Dépendant de la rente pétrolière, le Nigéria est particulièrement touché par le ralentissement de l’économie mondiale et des exportations d’or noir.

Mais c’est l’Egypte, qui a bénéficié de l’aide la plus importante auprès du FMI, sur le continent, suite à un accord portant sur le versement d’une aide d’urgence de 5,2 milliards de dollars. En contrepartie, le pays des pharaons est appelé à entreprendre des réformes économiques durant l’année en cours.

Un montant qui va peser sur les comptes d’un pays déjà très endetté. En effet, le ratio de la dette publique qui devrait baisser à 86,2% du PIB en juin 2020, contre 90,4% en juin 2019, après avoir atteint 108% en juin 2017, va connaître un nouvel envol cette année à cause du Covid-19. Outre le FMI, l’Egypte a multiplié les emprunts auprès d’autres bailleurs multilatéraux et privés.

Dans la même logique, l’Afrique du Sud a obtenu le 27 juillet dernier un appui de 4,3 milliards de dollars du Fonds, toujours pour faire face aux effets négatifs du Covid-19 sur son économie. Une somme qui représente 100% de la quote-part du pays au sein du FMI.

C’est la première fois en 26 ans que la nation arc-en-ciel, l’économie la plus diversifiée d’Afrique, sollicité une aide du FMI, après s’être refusé toutes ces dernières années à le faire au nom de la souveraineté économique. Avec une dette publique financée à 90% par des créanciers locaux et un marché financier pesant 5 fois la taille de l’économie sud-africaine, le recours au FMI a été longtemps jugé humiliant.

Mais la pandémie est venue aggraver une situation économique difficile depuis une décennie, qui a provoqué la fragilité des grandes entreprises publiques, un chômage élevé, une hausse de la pauvreté et des inégalités, etc.

Et si le FMI semble mettre de côté ses principales conditions, il n’en demeure pas moins que l’institution garde ses principes. Elle a ainsi demandé à l’Afrique du Sud de renforcer urgemment ses fondamentaux économiques, d’assurer la viabilité de la dette en assurant un assainissement budgétaire, de contrôle de l’inflation par la Banque centrale, etc.

Le recours à l’endettement concerne presque tous les pays du continent. Le Maroc a décidé en avril dernier de procéder au tirage de toutes les ressources disponibles dans le cadre de l’accord en vigueur au titre de la ligne de précaution et de liquidité (LPL), d’environ 3 milliards de dollars, soit l’équivalent de 240% de la quote-part du pays, ce qui représente environ 3% du PIB du pays. La LPL permet au Maroc de maintenir ses réserves officielles pour atténuer les tensions sur sa balance des paiements. Le pays compte aussi recourir au marché international des capitaux pour se financer.

Le Ghana, qui avait lui aussi décidé de se passer des concours du FMI, a été obligé de recourir à nouveau aux prêts de l’institution. Il a obtenu 1 milliard de dollars. C’est également le cas du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de l’Ethiopie, du Kenya, etc.

Reste que les pays africains ne sont pas les seuls à solliciter les prêts du FMI. Environ 80 pays du monde ont demandé le soutien de l’institution, qui a débloqué 83,4 milliards de dollars de prêts, dont moins de 20 milliards de dollars pour le continent africain.

Seulement, pour les pays africains, le risque est le surendettement. Bien avant la crise sanitaire, plusieurs pays africains avaient un taux d’endettement s’approchant et même dépassant la barre des 100%, donc au-delà du seuil de 70% fixé par le FMI aux pays émergents.

C’est le cas du Mozambique dont le ratio dette/PIB a explosé et devrait atteindre 130% en 2020, contre 100% en 2018. L’Angola, le Cap-Vert, le Congo, Djibouti… ont un ratio qui dépasse 100%. Et ces ratios vont exploser davantage au terme de cette année, à cause du coronavirus, qui a aggravé les déficits budgétaires poussant à recourir à l’endettement extérieur.

Et les colossales dettes contractées auprès du FMI viennent s’ajouter à celles accordées par la Banque Mondiale, la Banque africaines de développement (BAD), les dettes bilatérales, notamment de la Chine, et de plus en plus des créanciers privés.

Les dettes contractées auprès des créanciers privés ont connu une explosion au cours de ces dernières années et pèsent désormais plus de 40% de la dette extérieure publique totale des Etats d’Afrique subsaharienne.

En 2020, le montant des émissions obligataires africains a atteint plus de 100 milliards de dollars. Et ces créances sont détenues par une multitude d’investisseurs, principalement privés.

Conséquence, le niveau élevé de la dette pose le problème de soutenabilité de celle-ci pour de nombreux pays africains. Les remboursements du service de la dette dans les années à venir vont peser lourdement sur les budgets des Etats et constituer de véritables goulots d’étranglement pour de nombreux pays du continent. D’autant que les financements obtenus dans le cadre du Covid-19 servent presque uniquement à financer des dépenses sanitaires et sociales, et sont donc non productifs.

C’est pour cela que de nombreux pays africains avaient sollicité l’effacement de leur dette, auprès des Etats créanciers et des institutions financières multilatérales. Finalement, un moratoire sur la dette a été accordé à beaucoup d’entre eux, mais pas réellement d’effacements importants de dettes.

Du coup, acculés, de nombreux pays négocient le rééchelonnement des paiements auprès de leurs bailleurs de fonds. C’est le cas de l’Angola qui subit de plein fouet la chute du cours du baril de pétrole. Une ressource qui contribue pour moitié à la création de son PIB et représente près de 90% de ses recettes d’exportation. Et l’Angola fait face à une dette colossale auprès de son principal bailleur de fonds qu’est la Chine. Outre celle-ci, le pays a contracté 3,7 milliards de dollars auprès du FMI en 2019. De plus, Sonagol, la compagnie pétrolière angolaise, avait emprunté 2,5 milliards de dollars à des banques. Mais, sachant qu’environ 40% de la dette publique africaine est privée, ces rééchelonnements ne seront pas faciles à négocier avec les banques privées, elles aussi touchées par la pandémie.

Bref, le niveau des dettes contractées par de nombreux pays du continent, notamment les plus petits d’entre eux, risque de constituer un véritable obstacle à leur développement. Le cas de l’Angola, premier producteur de pétrole africain, illustre cette situation. Le pays est aujourd’hui embourbé à cause de ses dettes colossales, dont les remboursements ne laissent aucune marge pour des investissements pourtant nécessaires à son développement. Ce au moment où tout le monde s’accorde à dire que les cours du baril resteront longtemps bas.

Par Moussa Diop
Le 03/08/2020 à 16h16, mis à jour le 04/08/2020 à 15h38