Le Coronavirus en passe de gripper les économies africaines

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Le 11/02/2020 à 15h59, mis à jour le 11/02/2020 à 16h28

Les Africains ne sont pas encore officiellement touchés par le coronavirus, mais les faibles économies du continent en souffrent déjà. L’épidémie pourrait les gripper, compte tenu de leur dépendance vis-à-vis de la Chine qui est devenue le premier partenaire économique et financier de l'Afrique.

Quand la Chine éternue, c’est l’Afrique qui s’enrhume.

Si l’épidémie du coronavirus qui a fait plus de 1016 morts, 42.500 cas de contamination et une trentaine de pays touchés,

n’est pas contenue rapidement, les conséquences sur les échanges et les économies africaines seront catastrophiques. Le continent est devenu dépendante de la seconde économie mondiale. La Chine, qui pèse 19% du PIB mondial, est le premier importateur de nombreuses matières premières africaines. En conséquence, quand son économie s’enroue, celle du continent se grippe.

Tous les secteurs risquent d’être touchés. C’est le cas notamment du pétrole, du transport aérien, des matières premières, etc. Au-delà, ce sont les échanges économiques entre la Chine et l’Afrique qui risquent de prendre un sérieux coup, notamment en matière d’investissements et d’échanges commerciaux.

L’économie chinoise, dont la croissance devrait s’établir autour de 6%, sa plus faible performance depuis 30 ans, pourrait perdre 1,2 point de croissance annuelle, selon l’agence Standard & Poor’s, si le transport et les loisirs chutaient de 10%, ce qui est le cas actuellement.

Selon Caixin, le coronavirus a coûté près de 130 milliards d’euros de pertes à l’ensemble des services (restauration, tourisme, divertissement, etc.) lors de la première semaine des vacances du nouvel an lunaire chinois. C’est dire que l’impact du coronavirus sera important sur l’économie chinoise.

L’onde de choc de cette épidémie a atteint les économies africaines et, si l’épidémie n’est pas circonscrite rapidement, les conséquences seront néfastes pour certains pays.

Transport aérien & tourisme

Au niveau du transport aérien, les neuf compagnies aériennes africaines qui effectuaient des liaisons directes avec la Chine les ont toutes suspendues à l’exception d’Ethiopian Airlines, qui a tout de même très fortement réduit la fréquence entre son hub de la Bole à Addis-Abeba et la Chine.

L’impact sera globalement faible pour Royal Air Maroc et Air Algérie dont les lignes lancées plus récemment sont exploitées en faible rotation.

Toutefois, l’impact sera sensiblement ressenti par la compagnie aérienne éthiopienne, qui est de loin la première compagnie africaine la plus présente sur le marché chinois où elle dessert cinq villes en raison de 4 vols quotidiens en moyenne sur cette destination.

Elle jouait un rôle central dans l’acheminement des ressortissants d’Afrique subsaharienne de et vers la Chine. La réduction des vols pèsera certainement sur les résultats de la compagnie si jamais l’épidémie n’est pas circonscrite rapidement. Le géant du ciel africain est passé de quatre à moins d’un vol quotidien, ce qui impactera d’autant ses affaires sur ce marché chinois prometteur et dynamique.

Par ailleurs, à cause de l’épidémie, le nombre de touristes issus de l’Empire du milieu visitant l’Afrique, en croissance rapide au cours de ces dernières années, va connaître un coup d’arrêt du fait de la suspension des liaisons. Certaines destinations touristiques, notamment au niveau de l’Afrique de l’Est: Maurice, Kenya, Afrique du Sud, etc., vont en pâtir.

En 2018, plus d'un million de Chinois ont visité l'Afrique. Le Maroc en a accueili 130.000.

Pétrole

Premier importateur de pétrole et second consommateur de l’or noir au monde derrière les Etats-Unis, le ralentissement de l’économie chinoise à cause du coronavirus aura des impacts négatifs sur les cours du baril de pétrole. Depuis l’annonce de l’épidémie, les cours indices de référence du marché pétrolier, le WTI américain de Texas et le Brent de la Mer du Nord, ont perdu respectivement 15% et 20% par rapport à leurs pics le 8 janvier. Ils caressent les courbes de leur plus bas niveau depuis le début du mois de janvier 2019.

En effet, n’étant pas bien orienté depuis des mois, à cause notamment de la situation structurelle du marché marqué par un excédent de production consécutif à la production pétrolière américaine et de la baisse de la demande à cause du ralentissement de l’économie mondiale, les cours du pétrole ont été encore plombés par l’épidémie qui a ralenti l’activité de la seconde économie mondiale.

Pesant 19% du PIB de la planète, et étant l’une des plus dynamiques du monde, l’économie chinoise en ralentissement ne pouvait qu’impacter négativement le marché de l’or noir.

Du coup, les producteurs de l’or noir s’inquiètent. Le Comité technique de l’Opep a recommandé de réduire provisoirement de 600.000 barils par jour (bpj) la production de pétrole de l’organisation.

Il reste que le coronavirus n’est qu’un symptôme qui vient conformer le diagnostic connu. Pour quelques années encore, le risque qui va peser sur le cours du baril de pétrole n’est pas un déficit d’offre, mais un défaut de demande.

Cette situation sera lourde de conséquences pour de nombreux pays africains producteurs de pétrole, dont les économies ont été déjà fragilisées par la chute des cours du baril en 2014. C’est le cas de l’Algérie, l’Angola, le Gabon, le Congo, le Tchad, etc. L’impact sera plus difficile a absorbé du fait que nombre de ces pays sont des partenaires économiques de premier plan de la Chine dont l’économie tourne en ralenti.

Echanges commerciaux

La suspension des vols commerciaux, et surtout la forte diminution des navires de commerce dans les ports chinois, à cause du coronavirus, réduisent considérablement les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine.

Or, la Chine est devenue depuis quelques années le premier partenaire commercial du continent africain. En 2018, les échanges commerciaux entre la Chine et le continent ont atteint 204,2 milliards de dollars, en augmentation de 19,7% par rapport à leur niveau de 2017. Ce qui positionne la Chine très loin devant les autres économies développées.

La Chine est aussi le premier partenaire commercial de nombreux pays du continent dont l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Ethiopie, etc.

Ainsi, l’Algérie, dont la Chine est le premier partenaire commercial, a vu les échanges chuter de 40% depuis le début de l’année, par rapport à la même période de l’année derrière.

Du coup, les opérateurs économiques craignent une stagnation de leurs affaires. D’ailleurs, Mohamed Hassani, président de la Fédération algérienne d’import-export, du commerce international et de l’investissement, a annoncé, dans les médias algériens, que 11.000 commerçants sont menacés de faillite, estimant que le virus a occasionné des pertes conséquentes chez les petits commerçants qui ne peuvent plus s’approvisionner en Chine et qui risquent de rapidement tomber en rupture de stock.

A l’instar des commerçants algériens, ce sont tous les commerçants africains qui ont fait du Made in China leur business qui vont se retrouver dans des situations délicates.

Faute d’approvisionnements, certains pourront être condamnés à mettre la clé sous le paillasson en attendant que l’épidémie soit circonscrite. Ainsi, vu la forte présence du «Made in China» un peu partout en Afrique, ce sont plusieurs milliers de commerçants qui seront affectés par les conséquences économiques de cette épidémie. De même, la situation, si elle perdure, pourrait aussi toucher de plein fouet les commerçants chinois implantés un peu partout dans les «marchés chinois africains»: Casablanca, Dakar, Abidjan,…

Secteurs du bâtiment et des travaux publics

Derrière presque la moitié des grands projets d’infrastructures (ports, aéroports, barrages, routes, autoroutes, chemins de fer,…) en cours de réalisation au niveau du continent africain, il y a directement la main chinoise.

En effet, les Chinois étant devenus les bras financiers des projets d’infrastructures du continent, ils imposent par la même occasion aux pays africains les entreprises chinoises pour l’exécution des travaux. Ces entreprises arrivent bien évidemment avec leur main-d’œuvre chinoise, mieux formée et plus rigoureuse.

Seul problème, une partie de la main-d’œuvre chinoise qui était rentrée pour les vacances du nouvel an chinois a du mal à revenir sur le continent. En effet, toutes les compagnies africaines, à l’exception d’Ethiopian, ont suspendu leurs vols à destination de la Chine, imitant ainsi les compagnies aériennes européennes et américaines. Du coup, plusieurs chantiers seront à l’arrêt.

De même, certains pays, comme le Gabon, ont déjà pris des mesures pour faire face à l’arrivée de passagers en provenance de la Chine. Ce qui risque de poser des problèmes de main-d’œuvre pour certains chantiers en cours d’exécution. Ainsi, au Gabon, on redoute quelques impacts sur certains secteurs comme le pétrole, le bois, les mines, etc.

Les entreprises chinoises touchées de plein fouet

Par ailleurs, les entreprises chinoises qui se sont implantées en Afrique au cours de ces dernières années, et qui se chiffrent à plus de 30.000 actuellement, se retrouve dans des situations délicates. Outre les stigmatisations qui éloignent certains clients potentiels, ces entreprises pourraient souffrir de problèmes d’approvisionnement en matière première et pièces détachées en provenance de la Chine.

Du coup, de nombreuses entreprises chinoises implantées en Afrique risquent de se retrouver rapidement en rupture de stocks et de perdre du coup une partie de leur clientèle. Et si la situation perdure, les conséquences seront catastrophiques.

De même, les investissements de certains acteurs chinois en Afrique pourraient se réduire considérablement à cause de la conjoncture qui prévaut en Chine.

Par ailleurs, au cas où l’épidémie persisterait durant des mois, cela pourrait entraîner des faillites de plusieurs entreprises chinoises et pousser les autorités de la seconde puissance économique mondiale à se recentrer sur la remise à flots de leur économie, ce qui pourrait porter un coup aux économies africaines qui pâtiront de moins d’aides et d’investissements chinois.

Enfin, l’autre impact pourrait être l’inflation. La Chine étant au centre de la chaîne de valeur de la production mondiale pour de nombreux produits –smartphone, automobile, etc.-, le ralentissement et l’arrêt de nombreuses entreprises implantées en Chine pourraient entraîner une pression sur les prix de nombreux produits et grever le pouvoir d’achat des populations africaines.

Par Moussa Diop
Le 11/02/2020 à 15h59, mis à jour le 11/02/2020 à 16h28