Vidéo. Sénégal-Mauritanie: au bord de l’incident diplomatique suite aux propos d'un animateur de 2Stv

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Le 04/02/2017 à 16h45, mis à jour le 04/02/2017 à 17h09

VidéoDans un communiqué datant de fin janvier, le secrétaire d’Etat à la Communication, également porte-parole du gouvernement a menacé de retirer la licence de la chaîne de télé 2Stv, suite au propos d’un animateur qui demande aux anti-esclavagistes d’arrêter de se plaindre et de prendre les armes.

Entre la Mauritanie et le Sénégal, on sauve les apparences mais les deux gouvernements se regardent en chiens de faïence. Il aura fallu la sortie d’un chroniqueur et animateur de l’émission Senegaal ca kanam (le Sénégal en avant) sur la chaîne 2Stv pour que Nouakchott sorte de ses gonds.

Mamadou Sy Tounkara de la 2Stv, intellectuel au verbe virulent et célèbre animateur a l’habitude de malmener ses invités.

Quand il invite un imam et lui demande de citer le passage qui interdit la pratique de l’intérêt dans le Coran, si ce dernier n'y parvient pas, il ne faut pas s’étonner que Tounkara le lui récite. S’il a sur son plateau un éminent professeur d’économie, il est encore capable de lui parler avec une aisance déconcertante du modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson sur le commerce international.

Alors, le 20 janvier, c’est donc ce trublion de la télé sénégalaise qui en tant que chroniqueur de l’émission Le Grand Rendez-vous sur 2Stv s’adresse à un militant anti-esclavagiste mauritanien et lui tient à peu près ce langage: "En Afrique du Sud ils ont pris les armes pour faire cesser l’apartheid. Arrêtez de pleurinicher et prenez les armes, vous êtes 1 million". L’invité n’est pas n’importe qui. Il s’agit d’Ahmadou Vall Messaoudi, ancien gouverneur, auteur d’un livre sur l’esclavage et opposant notoire. Le simple fait que 2Stv lui offre une tribune était suffisant pour que Mohamed Ould Abdel Aziz manifeste son ire vis-à-vis de la chaîne.

Macky Sall a sans doute été pris de court. Car, le contexte veut que le plus petit incident puisse exacerber la tension entre les deux pays.

Gambie: Nouakchott tient des propos alarmistes contre Dakar

Une semaine après la diffusion de l’émission, le 26 janvier, les gardes-côtes mauritaniens tirent à balles réelles sur les pêcheurs sénégalais et en blessent trois, l’un au cou et les deux autres au postérieur. Ils ont même été admis à l’hôpital régional de Saint-Louis. Cet incident qui n’a pas fait l’objet de condamnation par Dakar est loin d’être le fait du hasard. Les gardes-côtes ont certainement reçu l’ordre de faire usage de leurs armes contre ces simples pêcheurs à la pirogue.

Au contraire d’une condamnation, le 27 janvier, le gouvernement sénégalais, sans doute pour faire plaisir à Ould Abdel Aziz a menacé 2Stv de lui retirer sa licence à travers un communiqué.

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Evidemment, Tounkara ne mange pas de ce pain-là et les menaces ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. A son tour, l’animateur a envoyé une réponse cinglante au porte-parole du gouvernement. "Vos menaces de fermer la 2Stv sont ridicules", lui dit-il. Avant d’ajouter que : "Au Sénégal, seules deux entités peuvent parler ainsi: une cour de justice et le Conseil national de régulation de l’audiovisuelle (CNRA). Vous n’êtes ni l’un ni l’autre. Le pouvoir exécutif auquel vous appartenez n’est pas un juge chez nous".

Et plus loin, il l’accuse de ridiculiser toutes les institutions sénégalaises y compris la Constitution, la justice et le CNRA en voulant se substituer à elles. "Vous ridiculisez le Sénégal qui, jadis, était du côté des faibles et des opprimés, de la Guinée-Bissau à la Palestine, de l’Afrique du Sud à l’Angola. Cela nous avait octroyé un énorme crédit international. C’était du temps où nous avions des hommes et femmes d’Etat formés et préparés pour cela".

Quoi qu'il en soit, les deux pays n'en sont pas à leur premier incident et ils n'en sont certainement pas à leur dernier. Parmi toutes les choses qui les divisent, l'esclavage et les 70.000 réfugiés chassés de la Mauritanie en 1989 et campés au nord du Sénégal sont les deux sujets les plus sensibles. La question est de savoir jusqu'où Dakar est prêt à aller pour faire plaisir à Nouakchott. 

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 04/02/2017 à 16h45, mis à jour le 04/02/2017 à 17h09