Mauritanie: OLAM jette l'ancre au port de Nouakchott dans des conditions troubles

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Le 12/11/2018 à 14h55, mis à jour le 12/11/2018 à 14h59

Le gouvernement mauritanien a attribué un terminal à conteneurs à une mystérieuse entreprise appelée "Arise-Mauritanie SA" dans le Port autonome de Nouakchott (PANPA) pour une période de 30 ans, suivant une procédure sans appel d'offres, qui suscite de multiples interrogations.

Le gouvernement mauritanien a décidé de donner une concession pour un terminal à conteneurs à une entreprise dénommée «Arise-Mauritanie SA» sur 30 années, dans le port de Nouakchott. Cette affaire, évoquée depuis plusieurs mois dans les salons de la capitale mauritanienne, auparavant sans éléments concrets de référence, devient désormais une certitude.

Le document établi à l’issue de la rencontre annonce «l’attribution d’une concession portant sur le financement, la construction et l’exploitation d’un terminal à conteneurs et d’une jetée pétrolière au Port de Nouakchott sur une durée de 30 ans à compter de la date de mise en exploitation des infrastructures, à la société Arise-Mauritanie SA, désignée dans le contrat par le terme concessionnaire».

Derrière l’entité «Arise-Mauritanie SA» inconnue du grand public, on retrouve la multinationale «OLAM» géant mondial de l’agro-business. Il s’agit d’une société de droit singapourien, spécialisée dans le négoce et le courtage des denrées, créée en 1989, dont le chiffre d’affaires annuel dépasse actuellement les 20 milliards de dollars. 

Bien que basé à Singapour, les activités de ce groupe, fondé au Nigeria en 1989, sont basées en Afrique. OLAM est aujourd'hui l'un des principaux fournisseurs de fêves et de produits à base de cacao, café, coton, riz, etc.

Cette nouvelle attribution est le résultat d’une réunion du Comité interministériel pour le développement du Partenariat Public-Privé (PPP) en Mauritanie, tenue le 05 octobre 2018, sous la conduite de Yahya ould Hademine, alors Premier ministre, et devenu depuis le dernier changement de gouvernement, chargé de mission auprès de la présidence, avec le rang de ministre d'Etat. 

Le comité interministériel à l’origine du contrat «est un organe de décision, de validation et d’orientation du cadre institutionnel et de pilotage des PPP en Mauritanie», souligne t-on auprès des autorités. 

Un contrat «bénéfique»

A travers cette démarche «l’Etat souhaite améliorer et développer le port de Nouakchott, en vue de capter une partie des volumes de marchandises pour le Mali (notamment le fuel, le bitume, les conteneurs et autres marchandises) qui transitent actuellement par d’autres ports régionaux, et entend confier au secteur privé la réalisation des investissements requis et la gestion du port (ensemble du projet)», selon les documents oficiels de l'Etat.

Cependant, au-delà de l’ambition légitime, visant à capter une partie des marchandises et denrées en transit pour le Mali, pays de l’hinterland relié à la Mauritanie par 2.000 kilomètres de frontières, l’objectif apparait comme un énorme défi.

Actuellement, Dakar et Abidjan, qui se trouvent à peu près à égale distance par rapport à Bamako, en partant de Nouakchott, sont les principaux ports par lesquels transite le trafic de marchandises vers le Mali. Ces 2 places disposent d’un indéniable avantage comparatif sur le plan des installations.

Il faut également noter que d’autres entités portuaires de la sous-région servent de points de transit aux opérateurs maliens: Conakry, Lomé, Cotonou,etc. 

C'est dire que l'objectif fondamental cité ne peut, à lui seul, justifier un tel projet. Il est toutefois vrai qu'une telle infrastructure facilitera l'accostage de grand porte-conteneurs et de pétroliers à Nouakchott.

Présentant la nouvelle concession sur sa page Facebook, le ministre de l’Economie et des finances, Moctar ould Diay, affirme que le contrat prévoit «un investissement de 390 millions de dollars. Par ailleurs, la société payera au port 50 dollars pour chaque conteneur de 20 pieds, et 75 dollars pour un conteneur de 40 pieds. Deux dollars pour chaque mètre cube d’hydrocarbure débarqué, soit 550 millions de dollars par an. L’affaire va également générer 750 emplois pendant la durée des travaux et 500 emplois permanents, au-delà de la réalisation des infrastructures prévues par les termes contractuels».

Mais en dépit de l’enthousiasme de Ould Diay et des impacts positifs que pourrait générer une telle infrastructure, pour l’opinion publique, de nombreuses zones d’ombre subsistent au sujet de ce nouveau projet.

La première question, basique dans ce domaine, porte sur l’absence d’un appel d’offres international ouvrant la voie à la concurrence pour attribuer ce terminal. 

Une autre interrogation concerne le profil de la société partenaire, laquelle, malgré son statut de grosse multinationale dans l'agroalimentaire et le négoce, n’a pas d'expériences dans le domaine des concessions portuaires, en dehors d’une attribution récente et également controversée au Gabon.

Enfin, sur le plan politique, le nouveau contrat est révélé à quelques mois d’une élection présidentielle à laquelle ne devrait pas se présenter le président Mohamed ould Abdel Aziz, pour cause de limitation constitutionnelle des mandats.

La précipitation qui a eu lieu dans la signature d'un tel contrat, engageant la Mauritanie sur 30 ans suscite des interrogations. D'ailleurs, commentant cette concession portuaire après lecture de ce contrat, une source avertie relève que celui-ci «laisse toute latitude à l’investisseur pour conduire les opérations à sa convenance, car les termes sont vagues et mal définis»... 

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 12/11/2018 à 14h55, mis à jour le 12/11/2018 à 14h59