Mauritanie: énorme controverse autour d'un projet de réécriture de l'histoire

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Le 02/08/2017 à 13h00, mis à jour le 02/08/2017 à 14h02

Un projet de réécriture de l'histoire de la Mauritanie, dans le cadre de la révision constitutionnelle qui sera soumise à référendum le 5 août courant, suscite une énorme controverse. En tentant de le justifier, le maire de la cité minière de Zouerate a créé une polémique et indigné la population.

Parmi les idées phares du projet de révision constitutionnelle, qui sera soumis à l’approbation des Mauritaniens dans le cadre du référendum du 5 août prochain, figurent en bonne place le changement des symboles nationaux (hymne et drapeau) et une réécriture de l’histoire du pays visant à redonner toute sa gloire à la résistance contre la pénétration coloniale.

S’exprimant vendredi dernier à l’occasion d’un meeting organisé dans la ville de Zouerate (nord-est), en présence du président Mohamed Ould Abdel Aziz, le maire de cette cité minière, Cheikh Ould Baye, par ailleurs président de l’Association des maires de Mauritanie (AMM), a jeté un énorme pavé dans la mare en tentant de justifier la révision de l'hymne national désirée par le chef de l'Etat.

Cet homme, officier à la retraite, ex-patron de la délégation nationale à la surveillance maritime, considéré comme un des piliers du cercle des intimes du président Mohamed Ould Abdel, a soutenu devant une immense foule de la cité ouvrière que l’actuel hymne national de la Mauritanie était une inspiration du colonisateur français et un chant entonné par des goumiers (supplétifs de l’armée coloniale) en 1924.

L’édile de Zouerate, cité par la presse locale, a notamment affirmé que «l’hymne national a été élaboré par un homme qui collaborait avec le colonisateur et chanté par un petit groupe de personnes».

Ces propos ont été accueillis avec une vive indignation de la part d'une bonne partie des Mauritaniens et particulièrement ceux de la région du Trarza (sud-ouest).

Ces derniers rappellent que l’hymne national est l’œuvre de l’érudit Baba Ould Cheikh Sidya, dont la notoriété dépasse largement les frontières de la Mauritanie. «Traiter cet homme, qui a marqué l’Islam, l’histoire et l’humanité, de collaborateur de la colonisation choque le sentiment des Mauritaniens et de l’humanité entière», ont crié les participants à une manifestation organisée ce week-end.

Ce vif débat provoque la réaction de nombreux autres Mauritaniens à l’image de Sneiba Ould Kory, journaliste membre de la rédaction de l’hebdomadaire «Le Calame», qui s’insurge contre "les hommes qui nous dirigent actuellement et ne font qu'énoncer des contre-vérités. Des allégations sans fondement historique. Prétendre que notre drapeau et notre hymne national ont été conçus par le colonisateur relève d’une manœuvre dont le seul objectif est de diviser le peuple". 

Partant, "il est tout à fait normal que tous les Mauritaniens dotés de sens patriotique s’indignent et rejettent la version fausse de notre histoire qu’ils veulent servir au peuple, laquelle se limite à une infime partie du pays», poursuit-il.

Le même analyste relève «les discours incohérents du chef de l’Etat, qui saute régulièrement du coq à l’âne, promettant des infrastructures alors qu’il devrait défendre le bien-fondé d’un projet de révision constitutionnelle. Que dire de cette promesse d’une usine de décorticage de riz à Néma (à l'est du pays), zone dans laquelle on ne produit pas une seule graine de cette céréale pour le moment. Par ailleurs, comment comprendre l’engagement de permettre aux populations de Zouerate d’étancher leur soif à partir de l’eau tirée du fleuve Sénégal, situé à un peu moins de 1.000 kilomètres?».

Pour Moussa Ould Hamed, ex-DG de l’Agence gouvernementale d’informations (AMI) «ceux qui président actuellement aux destinées de la Mauritanie sont en train de cuisiner une histoire qui se limite au nord du pays et zappe les contributions de toutes les autres régions de notre mémoire collective».

Bref, l'initiative du président de réécrire l'histoire de la Mauritanie selon sa propre vision risque de saper l'unité nationale déjà très fragile.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 02/08/2017 à 13h00, mis à jour le 02/08/2017 à 14h02