Mauritanie: un changement de bannière qui divise la population

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Le 06/08/2017 à 16h00, mis à jour le 06/08/2017 à 16h03

En ajoutant 2 lignes rouges sur la bannière nationale, le chef de l'Etat entend "magnifier" les actes de résistance contre la pénétration coloniale et rendre hommage au sang versé par les martyrs depuis l'indépendance. Mais il oublie certaines victimes et réveille un sentiment d'exclusion.

Bien que faiblement mobilisés, les Mauritaniens se sont rendus aux urnes samedi 5 août 2017, pour un scrutin référendaire visant l’adoption d’un projet de révision constitutionnelle et dont les résultats ne font pas de doute.

Celui-ci prévoit entre autres un changement des symboles nationaux, et notamment du drapeau, avec le rajout de 2 lignes rouges «représentant le sang versé par les martyrs qui ont résisté face à l’empire colonial» (France) en haut et en bas de la bannière nationale actuelle.

Toutefois, le symbole va plus loin. Jeudi dernier, le président Mohamed Ould Abdel Aziz, annonçait à l’occasion du méga meeting marquant la clôture de sa campagne que «ces amendements constitutionnels comportent deux composantes, dont la première est relative à l’amélioration du drapeau national, avec l’ajout de 2 bandes rouges à la mémoire du sang des martyrs. Dans ce cadre, je cite l’exemple des enfants du martyr, le colonel Mohamed Lemine Ould Ndiayane, des martyrs de Tourine, de El Ghalaouiya, de Lemgheity et de Hassi Sidi. Sans oublier les victimes de la douloureuse guerre de 1975, que nous sommes entrain de rechercher pour les prendre en charge».

Pour mémoire, le colonel Mohamed Lemine Ould Ndiayane est un ancien chef d’état-major de l’armée nationale. Il est mort dans la tourmente sanglante de la tentative de putsch du 8 juin 2003. Un acte dont les «loyalistes» et les «putschistes» de l’époque se renvoient la responsabilité. Saleh Ould Hanana et ses compagnons ayant rejeté avec force détails la paternité de ce crime devant une cour criminelle à l’occasion d’un long procès entre décembre 2004 et février 2005.

Les autres localités citées par Mohamed Ould Abdel Aziz renvoient aux théâtres de massacres de militaires mauritaniens par des groupuscules terroristes entre 2004 et 2011.

Parmi «les victimes de la guerre de 1975» contre le Polisario, figurent de nombreux officiers, sous-officiers et militaires de rang issus de la communauté noire.

En oubliant d’évoquer les martyrs originaires de la vallée du fleuve, le chef de l’Etat réveille le sentiment «d’exclusion» de la frange négro-africaine de la population.

Ce qui pousse «Kassataya», une radio de la diaspora, émettant sur la toile, à noter que dans ce discours de Ould Abdel Aziz, les militaires «victimes de la campagne gouvernementale contre les Négro-Africains, qui s’est intensifiée à la fin de l’année 1990 et début 1991, avec le massacre de 500 éléments qui travaillaient dans l’armée et dans l’administration» ont été oubliés.

Pourtant, Mohamed Ould Abdel Aziz a assisté à une prière aux morts organisée dans la ville de Kaédi (vallée du fleuve) le 25 mars 2009 pour honorer la mémoire de ces victimes et demander pardon au nom de la Nation. Mais, la plaie reste béante dans la mesure où les présumés auteurs de ces orgies sanguinaires restent officiellement couverts par l‘épais voile de l’anonymat. Le discours actuel prouve que "la démarche de mars 2009 ne découle pas de la conviction profonde d’une injustice commise à l’égard de ces victimes", soutient un analyste politique qui ajoute qu'à l’époque, on était en face «d’un régime putschiste en quête de reconnaissance nationale et internationale».

Au-delà de ces considérations, il faut s’interroger également sur le cas des victimes civiles de la guerre contre le Polisario et des attaques terroristes, car aucun autre pays sur la planète ne réserve l’hommage de la République aux seuls militaires.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 06/08/2017 à 16h00, mis à jour le 06/08/2017 à 16h03