Dans cette interview publiée par l'hebdomadaire français Jeune Afrique, l'ex-président mauritanien tire sur toute la classe politique de son pays, majorité et opposition. Du fait d’un contexte politico-judiciaire très particulier, cette sortie suscite des torrents de commentaires et de multiples réactions.
L'entretien est réalisé au moment où la justice vient de recevoir un rapport de 800 pages établi par une Commission d’enquête parlementaire (CEP), un document mettant en évidence de graves faits de gouvernance portant sur l’attribution de plus de 100 marchés publics dans les domaines de l’énergie, des infrastructures, la gestion des entreprises publiques…
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Après une enquête préliminaire de plusieurs mois, menée par la Direction de la Police spécialisée dans la répression des infractions à caractère économique et financier, au cours de laquelle l’ancien président refusa de parler, s’abritant derrière son «immunité» d'ex-chef d'Etat prévue par l’article 93 de la constitution, le parquet anti corruption a renvoyé la procédure devant un collège de juges d’instruction.
Une information visant Mohamed Abdel Aziz et 12 autres personnalités, anciens premiers ministres, ex-ministres proches familiaux, est ouverte depuis le 12 mars 2021.
Tout ce beau monde mis en examen pour un chapelet d’infractions «enrichissement illicite, recel de produits du crime, entrave au fonctionnement de la justice, blanchiment…». Ils sont placés sous contrôle judiciaire avec des fortes contraintes restreignant les déplacements et d’autres attributs relevant de la liberté individuelle.
Vers un énorme déballage devant le prétoire
Dans cet entretien avec «Jeune Afrique», Mohamed ould Abdel Aziz est resté le même. Il s'est comporté comme un détenteur de la vérité, qui ne doute de rien, multipliant les attaques contre toute la classe politique, même s’il écarte toute idée de «différent personnel» avec l’actuel locataire du Palais Ocre, Mohamed Cheikh El Ghazouani, compagnon dans la vie active d’officier et ami de 40 ans. Il insiste particulièrement sur le «désaccord politique» au sujet du contrôle de l’Union pour la République (UPR/principal parti de la majorité) qui constitue la véritable toile de fond de ses déboires judiciaires.
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Il affirme avoir «consolidé le système démocratique» et créé une armée en mesure de protéger le territoire national, contre les attaques des groupuscules terroristes qui écument l’espace sahélo-saharien depuis plusieurs dizaines d’années, après les coups sanglants de la période 2005-2011.
Dans cette offensive médiatique en rapport avec le dossier pendant devant la justice, l’ancien chef de l’Etat formule des accusations précises contre les députés à l’origine du rapport l’incriminant. Il affirme qu'"à la veille du vote pour la mise en place de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP), ils ont donné aux députés 300 millions d’anciennes ouguiyas (soit plus de 800.000 dollars) pour qu’ils approuvent la création de celle-ci".
Il ajoute qu'il s'agit d'"un véritable gaspillage des ressources publiques au moment où les populations en ont le plus besoin". Toujours selon lui, le gouvernement de Ghazouani a "fermé toutes les boutiques de distribution du programme alimentaire EMEL (qu'il avait lancé, Ndlr), subventionné par l’Etat afin de permettre au plus démunis de s’approvisionner avec une réduction de 40% sur les prix des produits de première nécessité". Efin, "ils ont augmenté les indemnités des députés d’un demi-milliard en 2 ans. On engraisse les plus riches et on tourne le dos aux misérables. Une situation choquante devant laquelle l’opposition reste de marbre", déplore Aziz.
Commentant cette sortie, un opposant, Le Pr Lô Gourmo, vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP), parle d’un homme «sûr de lui et dominateur, arrogant, hors du réel et imbu de sa personne jusqu’à la caricature. La technique est toujours la même : asséner les pires contre-vérités, nier les évidences et s’évertuer constamment à vilipender, insulter et diffamer, sur fond de menaces à peine voilées contre tout le monde, en jouant en permanence sur le registre de la victimisation».
Mais au-delà d’une réaction purement médiatique, le Pr Lô interpelle le Parlement devant des accusations d’une extrême gravité "qui doivent avoir pour conséquence une dissolution de l’institution si les faits sont avérés ou valoir des poursuites à l’ancien président de la République, dans le cas où ces attaques viseraient simplement à salir l’image de l’Assemblée nationale".
La sortie médiatique de l’ancien président intervient quelques jours après l’annonce de son arrivée avec armes et bagages au sein du parti «Ribat», formation dirigée par le Dr Saad Louleid, un transfuge de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), célèbre organisation dirigée par Biram Dah Abeid.
Quand son nouvel allié fut le maître absolu en Mauritanie, le Dr Saad ould Louleid a été emprisonné en compagnie du leader de l’IRA en 2014.
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Parallèlement à ce retour sur la scène politique nationale, Mohamed ould Abdel Aziz semble déterminé à donner une dimension internationale à l’affaire pendante devant la justice mauritanienne. Il a saisi l’Union Africaine (UA) et la Ligue Arabe, avec l’objectif «d’attirer l’attention de ces organisations sur le traitement qui lui est réservé», après les bons et loyaux services rendus à la Mauritanie, au continent africain et au monde arabe.
Du point strictement judiciaire, ces développements politiques et médiatiques récents sont notés alors qu’on annonce la comparution sur le fond de Mohamed ould Abdel Aziz et ses compagnons à partir de la semaine prochaine. Cette étape est capitale dans l’information judiciaire.
Pour rappel, plus de 4,5 milliards de MRU en argent liquide, biens meubles et immeubles, ont été saisis sur les individus placés sous contrôle judiciaire dans le traitement de ce dossier, symbolique de la gouvernance erratique qui caractérise la gestion des affaires publiques en Mauritanie depuis 43 ans.