Mauritanie: les dessous de l'incarcération de l'ex-président Mohamed ould Abdel Aziz

L'ancien président mauritanien Mohamed ould Abdel Aziz.

L'ancien président mauritanien Mohamed ould Abdel Aziz. . DR

Le 24/06/2021 à 17h38, mis à jour le 24/06/2021 à 17h39

Deux jours après le placement en détention préventive de l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, des questions fusent de toutes parts sur les motivations exactes de cet acte. Décryptage.

L’incarcération, mardi soir, 22 juin 2021, de l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, qui fait actuellement l’objet de poursuites pour corruption, détournement et dilapidation à grande échelle de biens publics, enrichissement illicite, blanchiment d’argent…, constitue une première en Mauritanie.

En quittant le pouvoir en juin 2019, non sans avoir longtemps manœuvré pour briguer un 3e mandat interdit par la Constitution mauritanienne, Mohamed Ould Abdel Aziz a cru assurer ses arrières en cédant son fauteuil présidentiel à son «ami de 40 ans», l’ex-général Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.

Sauf que l’état des lieux hérité par ce dernier, matérialisé par des caisses étatiques vides, contrastant avec la mise à nu progressive d’une fortune colossale détenue par Ould Abdel Aziz, a incité les nouvelles autorités à réagir.

Suite à l’enquête d’une commission parlementaire ad hoc sur ce que l’on appelle désormais la «décennie de la corruption», en référence aux deux mandats présidentiels successifs de Ould Abdel Aziz (2009-2019), la justice est saisie et de lourdes accusations sont retenues contre ce dernier. La commission parlementaire d’enquête organisera même des fuites sur les réseaux sociaux en vue de mettre en exergue une partie des nombreux biens détenus par Ould Abdel Aziz. A commencer par sa résidence familiale, bâtie sur des milliers de mètres carrés au cœur de Nouakchott, et comprenant un complexe de plusieurs villas de luxe, en passant par des dépôts regorgeant de centaines de voitures utilitaires flambant neuf (pick-up, camions, tracteurs, bulldozers…), sans parler de nombreux comptes bancaires bien garnis, ainsi que des centaines de biens immobiliers (terrains nus, immeubles, villas), tous enregistrés sous des prête-noms…

Ainsi, quand il est face aux médias qu’il invite régulièrement, Mohamed Ould Abdel Aziz reconnaît lui-même l’immensité de sa fortune, sans jamais en justifier l’origine, tout en niant avoir pris le moindre sou dans les caisses de l’Etat mauritanien. Pourtant, c’est un secret de polichinelle que la majeure partie de ses biens provient des dessous de table versés soit par les Libyens pour se faire remettre Abdallah Senoussi, la «boîte noire» de Mouammar Kadhafi, soit par la Emiratis et les Saoudiens pour envoyer des soldats mauritaniens combattre au Yémen, ou encore ceux versés par l’Algérie pour donner des coups de pouce sporadiques à sa diplomatie anti-marocaine…

C’est pourquoi face aux juges et autres enquêteurs du pôle financier anticorruption de la police judiciaire, il refuse catégoriquement de parler de l’origine de ses milliards, arguant que la Constitution mauritanienne lui garantit l’immunité en tant qu’ancien président de la République.

C’est cette stratégie de défense qui lui a valu un placement sous contrôle judiciaire, qui le condamne à se présenter, plusieurs fois par semaine, à la Direction générale de la sûreté nationale pour signer un document attestant qu’il respecte l’interdiction de quitter son domicile à laquelle il est astreint depuis le 12 mars dernier.

Or, ces derniers jours, Mohamed Ould Abdel Aziz a pris l’habitude de faire à pieds la demi-douzaine de kilomètres qui séparent son domicile et le siège de la DGSN pour aller pointer, créant à chaque sortie un véritable buzz sur la voie publique, où les concerts de klaxons des automobilistes qui le croisent se mêlent au brouhaha des badauds qui l’accompagnent, lançant parfois des slogans de soutien ou des insultes. La police a fini par sévir pour l’acculer à se déplacer vers la DGSN dans l’une de ses nombreuses voitures, comme il le faisait durant les premiers jours de son interrogatoire. C’est son refus de se soumettre à cette dernière injonction, et donc au pointage, qui a été avancé par le juge d’instruction pour motiver son incarcération surprise.

Mais il ne faut pas oublier que le même jour où il a été arrêté, Ould Abdel Aziz était l’invité de France 24, dans une émission où il a directement accusé le président mauritanien actuel de mener une cabale contre lui. Il affirme ainsi que Mohamed Ould Ghazouani a monté «une commission d’enquête parlementaire sans aucune légalité sur le plan juridique, créée par des gens qui lui sont proches, dont son propre beau-fils et d’autres députés de sa tribu et de sa région. On veut me faire croire qu’il reste à l’écart de mon dossier, alors qu’il s’y intéresse bien au quotidien» à travers son «ministre de la Justice».

Il a aussi brandi la menace de «mouiller» tous ceux qui ont servi sous sa présidence. «J’ai des dossiers que je peux étaler», car «on est en train d’ouvrir une boîte de Pandore» en s’attaquant à la corruption en Mauritanie, a-t-il affirmé.

Il accuse le pouvoir actuel d’échec dans tous les domaines et de s’acharner contre lui à travers un «règlement de compte» politique, juste pour détourner l’attention de l’opinion publique.

Il reste maintenant à savoir quel lien pourrait exister entre trois faits quasi concomitants qui se sont déroulés en moins de 24 heures, mardi et mercredi derniers, et dont le point d’orgue a été l’emprisonnement de l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. Mardi matin, ce dernier était l’invité de France 24 où l’émission n’a abordé que deux questions: la lutte antiterroriste au Sahel et les démêlés judiciaires de l’ex-président mauritanien avec la justice de son pays. Le même jour dans la soirée, Radio France internationale, dont Ould Abdel Aziz est un habitué, est le premier média à annoncer son arrestation, puis son incarcération préventive.

Le lendemain, mercredi, et juste après la fin du Conseil des ministres hebdomadaire, un jet privé, loué à une société allemande, atterrit à l’aéroport Oum Tounsi de Nouakchott. Quelques minutes plus tard, il décolle, avec à son bord le président mauritanien Mohamed Cheikh El Ghazouani qui se rend à Paris, dans le cadre d’une «visite spéciale», comme la qualifient certains médias mauritaniens, mais non annoncée officiellement.

Ce mano a mano médiatico-diplomatique entre les deux ex-amis, Ghazouani et Aziz, aurait été déclenché par un probable intérêt de la France pour ce dernier afin de lui faire jouer un certain rôle au Sahel.

Ould Abdel Aziz, très proche d’Emmanuel Macron qui a visité Nouakchott à deux reprises, aurait-il proposé aux Français de mettre à leur service son expérience de la lutte antiterroriste au Sahel, surtout après la disparition d’Idriss Déby, la décision d’arrêter l’opération «Barkhane» et l’instabilité politique qui sévit actuellement au Mali?

En tout cas, ce n’est pas un hasard que Ould Abdel Aziz a choisi France 24 et auparavant RFI, deux médias proches de l’Elysée et du Quai d’Orsay, pour ressortir le présumé rôle qu’il aurait joué ces dernières années dans la résolution de la crise malienne, sans parler de négociations avec des chefs de bandes terroristes.

Il a ainsi affirmé que le terrorisme importé au Sahel doit être combattu par les armes, alors que la négociation doit primer avec le terrorisme «ambiant» ou local. C’est donc sur ce palier que Ould Abdel Aziz veut s’ériger en «négociateur ou conseiller» au service de la France. Une tentative que Ghazouani est apparemment allé tuer dans l’œuf, en resserrant l’étau judiciaire sur Ould Abdel Aziz afin de montrer aux Français que la place de ce dernier n’est pas autour d’une table de négociations, mais dans la cellule d’une prison.

Par Mohammed Ould Boah
Le 24/06/2021 à 17h38, mis à jour le 24/06/2021 à 17h39