Mauritanie: une coutume à la peau dure

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Le 04/11/2016 à 14h05, mis à jour le 04/11/2016 à 14h15

Le taux de prévalence de l’excision reste encore très élevé. Les résistances culturelles fortes et l’ignorance limitent les effets des campagnes visant à éradiquer cette pratique en Mauritanie. Enquête.

En Mauritanie, l’excision a encore de beaux jours devant elle. Traditionnellement répandue dans toutes les composantes ethniques et sociales de la Mauritanie, avec une prévalence faiblement variable suivant les ethnies et les régions, la pratique de l’excision recule certes, mais très lentement en Mauritanie.

Une réalité Illustrée par les chiffres relatifs à l’évolution du taux de prévalence du phénomène. Selon les rapports établis au cours de ces dernières années, ce taux est passé de 72% en 2007 à 66% en 2015. Une faible baisse de 8 points en 8 ans, comparativement aux campagnes lancées contre ce phénomène au cours de ces dernières années. Toutefois, rapporté au contexte social et culturel de la Mauritanie «ce progrès est très important», témoigne une ancienne exciseuse originaire du Guidimakha (sud-est).

«C’est dans cette zone fortement tournée vers l’immigration en France, qu’on recense le plus grand nombre de filles victimes de l’excision, comparativement au reste du pays», relève une militante du mouvement associatif féminin depuis une vingtaine d’années.

Dans cette nouvelle donne, les dames exciseuses rengainent progressivement les couteaux «maudits» ayant fait le martyr de plusieurs millions de jeunes et petites filles à travers la nuit des temps. Il faut noter que des ressortissantes de cette région ont été condamnées à des peines de prison en France pour avoir pratiqué des mutilations dans ce pays. 

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Du point de vue des dynamiques sociales sous-jacentes, ces statistiques attestent d’une évolution à un rythme lent. Mais celui-ci n’en traduit pas moins un changement des attitudes et des comportements qui ont longtemps perpétué les Mutilations génitales féminines (MGF), note un sociologue.

L’excision et l’islam

Cette lame de fond doit conduire au changement d’un comportement social né d’une imagerie populaire faussement religieuse et aboutir à terme à l’éradication des MGF qui constituent des violations flagrantes du droit à la santé des victimes.

Cette pratique culturelle ancestrale recule sous l’effet d’une évolution des mentalités qui permet de saisir progressivement les véritables enjeux de santé et de droits humains liés au sujet.

«Le chemin est certes encore long et parsemé d’obstacles, mais le but ultime des autorités et des partenaires au développement, à l’image du Fonds mondial pour la population (UNFPA ou FNUAP), est d’arriver à zéro Mutilation génitale féminine (MGF). Un objectif dont l’atteinte mettrait fin au supplice des pauvres petites filles mauritaniennes, victime d’une tradition millénaire figée dans la conception de la femme comme simple objet de désir et de plaisir, privée de tous les droits à l’épanouissement», souligne notre sociologue. 

Pour en arriver là, on note une forte mobilisation du gouvernement, des ONG, des leaders religieux et des partenaires techniques financiers au développement à l’image du FNUAP

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Cette mobilisation intègre une approche qui prend le phénomène de l’excision, et plus généralement des MGF, dans toutes ses dimensions : sanitaire, sociale, psychologique et même prétendument religieuse du fait que certains pensent que l’excision est une pratique recommandée par l’islam.

Ainsi, le gouvernement mauritanien, par le biais du ministère des Affaires sociales, de l’enfance et de la famille (MASEF), a mis au point un programme conjoint sur les MGF, avec l’assistance du Fonds mondial pour la population.

Un nouveau cadre juridique

Par ailleurs, dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), il a été demandé à l’Etat de créer un cadre judiciaire et juridique contre les MGF, notamment à travers une législation nationale criminalisant cette pratique. Ce qui a abouti à la création du Programme conjoint sur les mutilations génitales féminines (PCMGF).

La réalisation de celui-ci s’est traduite par la mise en œuvre d’une première feuille route pour la période 2011/2015 et l’ébauche d’une deuxième feuille de route, servant de tableau de bord pour l’intervalle 2016/2017.

Ainsi, «ces différentes actions en faveur de l’amélioration de l’environnement sanitaire et juridiques ont permis des avancées importantes vers l’adoption de l’avant-projet de loi contre les Violences basées sur le genre (VBG), y compris les Mutilations génitales féminines», explique à «le360 Afrique» Mme Lô, née Khadijettou Cheikh, chargée de programme au bureau pays du FNUAP.

Ce texte qui doit être conforme aux normes internationales grâce à l’appui du Système des Nations unies (SNU) et diverses autres organisations internationales, sera adopté dans les meilleurs délais.

Parallèlement aux perspectives d’aménagement du cadre juridique et judiciaire, les actions de plaidoyer et de sensibilisation se poursuivent.

Ainsi, au cours des dernières années, le ministère des Affaires sociales, de l’enfance et de la famille (MASEF) a bénéficié de l’appui du FNUAP, pour la réalisation de six (6) campagnes sectorielles contre les MGF.

Autant d’activités de nature à renforcer la tendance irréversible à l’abandon des pratiques néfastes à la santé des petites et des jeunes filles.

Les religieux dans le combat anti MGF

En plus de l’action des pouvoirs publics, organisations de la société civile, soutenue par l’appui technique et financier des partenaires au développement, les puissants leaders d’opinion que sont les religieux (uléma et érudits) ont adopté le combat contre le fléau.

Ils ont ainsi développé une stratégie (Islam et MGF) dont l’argumentaire a pulvérisé tous les tabous sur les MGF, ces pratiques traditionnelles abusivement assimilées à des recommandations religieuses.

Une mission de ces spécialistes des sciences de l’Islam s’est rendue dans les régions à forte prévalence du phénomène. Celle-ci a réalisé sept émissions au niveau des radios locales, deux émissions télévisées et des parutions dans la presse écrite.

Une démarche pédagogique dont l’objectif est d’amener les communautés à comprendre que ces pratiques dangereuses pour la santé ne sont pas une recommandation divine.

«L’ensemble de ces actions a permis le renforcement de la protection de 1608 filles âgées de 0 à 5 ans sur un total de 2761 filles reçues en consultation grâce à l’engagement communautaire pour l’abandon des MGF fait dans sept régions à haute prévalence du phénomène», selon des renseignements fournis par les différents rapports d’activités produits par le FNUAP.

Ces différents statistiques et faits témoignent «d’une tendance lourde à l’abandon des MGF» qui devrait être confirmée par une série d’actions d’évaluation projetées au cours de l’année 2016, et dont les résultats seront rendus publics très prochainement, explique notre source auprès de l’agence onusienne en charge des questions de santé et populations.

Par ailleurs, ce vaste mouvement bénéficie de l’appui des entreprises nationales et multinationales opérant au niveau local, dans le cadre de la matérialisation du concept de responsabilité sociétale.

Bref, la bataille contre les MGF est un combat de longue haleine qui demande la mobilisation de tous pour sauver des vies et des couples.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 04/11/2016 à 14h05, mis à jour le 04/11/2016 à 14h15