Algérie: la dissolution d’une association phare du Hirak confirmée, la répression contre les médias, partis politiques et ONG s’intensifie

Le président Abdelmadjid Tebboune et le chef d'Etat-major Saïd Chengriha.

Le 24/02/2023 à 12h09

La répression qui cible associations, partis politiques et médias se poursuit en Algérie où le régime politico-militaire vient de confirmer la dissolution de l’association phare du Hirak, le Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) et du Mouvement démocratique et social (MDS). En Algérie, plus aucune voix discordante n’est tolérée.

Le régime politico-militaire algérien poursuit sa répression implacable contre toutes les formes de dissidence. Partis politiques, Organisations non gouvernementale (ONG) indépendantes et médias sont dans le collimateur des autorités. Interdiction pure et simple, suspension d’activité et emprisonnement se multiplient en Algérie où le régime est décidé à réprimer toutes les voix discordantes. Et pour cela, un seul levier suffit désormais, celui de l’instrumentalisation de la justice.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative en Algérie a confirmé la dissolution du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), l’une des associations phares du Hirak algérien. La haute juridiction confirme ainsi la dissolution annoncée par un tribunal administratif en octobre 2021. Le timing de cette annonce qui intervient au lendemain du 4e anniversaire du déclenchement du Mouvement populaire pacifique visant à changer le système politico-militaire qui gouverne l’Algérie, illustre la volonté des autorités à mettre fin à toute contestation populaire pacifique en Algérie.

«Ce verdict ne va pas nous affaiblir, n’effacera pas les 28 ans d’existence, de résistance et de lutte pour la citoyenneté, la liberté et la démocratie » avait déjà réagi le RAJ en octobre 2021.

Cette décision a été critiquée par Amnesty International. L’Organisation de défense des droits humains a estimé que «la dissolution de cette association porte un coup dur au droit à la liberté d’association, garanti par la Constitution », expliquant que «la décision de dissoudre une association peut être prise uniquement lorsqu’il existe une menace claire et imminente pour, par exemple, la sécurité nationale ou l’ordre public et doit être utilisée comme un dernier recours».

Pour les autorités, le RAJ agit en violation de la loi régissant les associations et en contradiction avec les objectifs énumérés dans ses statuts. Des accusations rejetées par l’ONG dont plusieurs membres ont fait l’objet de poursuites judiciaires et certains ont été incarcérés.

Outre RAJ, le Conseil d’Etat a également suspendu le Mouvement démocratique et social (MDS), un parti de gauche laïque engagé lui aussi dans les manifestations du Hirak. Les locaux du parti ont été fermés.

Ces suspensions connaissent une nouvelle ampleur depuis un peu plus d’une année. Ainsi, le 2 janvier 2022, les autorités algériennes ont suspendu le Parti socialiste des travailleurs (PST), le contraignant à cesser toutes ses activités et à fermer ses locaux. Les autorités ont demandé le même jour la suspension du l’Union pour le changement et le progrès (UCP). Toutefois, le Conseil d’Etat avait rejeté la demande du ministère de l’Intérieur en attendant le jugement sur le fond de l’affaires concernant le parti et qui est relatif à l’organisation de son congrès. Et en dépit du rejet du Conseil d’Etat, les autorités ont décidé de maintenir la demande de suspension du parti.

Les partis politiques ne sont les seuls concernés. Les ONG indépendantes aussi sont ciblées par les autorités. En janvier dernier, la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), la principale organisation de droits humains en Algérie, a été dissoute, payant son engagement pour la démocratie, les libertés et les droits humains. «Comme (pour) d’autres organisation, la question de la conformité avec la loi sur les association a toujours fait l’obéit de blocage et d’instrumentalisation de la part des pouvoirs publics», a souligné la LADDH dans son communiqué.

La répression touche aussi les médias indépendants qui refusent d’obéir à la ligne éditoriale édictée par les autorités. Ainsi, le patron de presse Ihsane El Kadi, directeur de la station algérienne Radio M et du site d’information Maghreb Emergent, est détenu depuis le 29 décembre accusé d’«activité susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’Etat et sa stabilité». Depuis, le siège de l’agence Interface Médias qui édite Radio M et Maghreb Emergent est mis sous scellés et le matériel saisi.

Plus récemment, le 19 février, c’est le siège du bureau d’Alger de Berbère Télévision qui a été fermé.

Bref, cette répression est une dérive autoritaire fortement dénoncée aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. Ainsi, réagissant à la fermeture du bureau de Berbère Télévision, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie souligne que « cette atteinte de trop à la liberté d’expression et d’information du citoyen, démontre une fois de plus, la vision et l’aversion des tenants du pouvoir à tout ce qui échappe à leur contrôle. Cette répression des voix dissonantes doit interpeller tous ceux qui, épris de liberté, veulent une Algérie apaisée où règnera le droit».

Ainsi, face à cette situation alarmante, la rapporteure spéciale de l’ONU, dans une déclaration tenue le mercredi 22 février, appelle l’Algérie à cesser la répression contre le mouvement des droits humains. L’experte de l’ONU, Mary Lawlor, s’est déclarée préoccupée par la répression croissante contre la société civile par les autorités algériennes, à la suite de la dissolution de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et du Rassemblement actions jeunesse (RAJ), deux des plus importantes associations de droits humaines en Algérie.

«La décision, de dissoudre ces deux associations des droits humaines si respectées démontre une répression alarmante des organisations de la société civile et porte gravement atteinte à l’espace dont disposent les défenseurs des droits de l’hommes pour s’associer, s’exprimer librement, et mener à bien leurs activités légitimes en matière de droits humains», a-t-elle souligné.

Par ailleurs, «nous partageons de vives inquiétudes concernant de nombreuses dispositions de la loi algériennes sur les associations, qui sont en contradiction avec le droit international des droits de l’homme», a-t-elle ajouté.

Même durant les 20 ans de règne sans partage du président déchu, Abdelaziz Bouteflika, jamais pareilles mesures répressives n’avaient été prises. Et pourtant...

Par Karim Zeidane
Le 24/02/2023 à 12h09