«Bandits»: le Rwanda ferme des milliers d’églises évangéliques

Le 22/12/2025 à 06h57

Trois fois par semaine, la Grace Room Ministry faisait salle comble dans le plus grand stade couvert de Kigali, fort de 10.000 places. Puis en mai, elle a été fermée, à l’instar de milliers d’autres églises évangéliques au Rwanda.

Depuis 2018, de nouvelles règles sont appliquées aux églises rwandaises en matière de sécurité, de transparence financière et de qualification des pasteurs.

Une réglementation prise sous la férule du président Paul Kagame, qui n’a jamais masqué sa tiédeur vis-à-vis des lieux de culte évangéliques ayant fleuri ces dernières décennies au Rwanda, comme ailleurs en Afrique.

Mais contrairement à de nombreux pays du continent où ces établissements - souvent critiqués pour la faiblesse doctrinale et la cupidité de leurs pasteurs - prospèrent sans contrôle, jusqu’à 10.000 églises rwandaises ont été fermées ces dernières années, estime la presse du pays.

«Si cela ne tenait qu’à moi, je ne rouvrirais même pas une seule église», affirmait fin novembre Paul Kagame, qui dirige d’une main de fer le Rwanda depuis qu’il a renversé en juillet 1994 le régime extrémiste hutu, instigateur du génocide qui a fait plus de 800.000 morts parmi la minorité tutsi et les hutu modérés.

«Face à tous les défis de développement auxquels nous sommes confrontés, (...) quel est le rôle de ces églises? Fournissent-elles des emplois?», s’interrogeait-il encore lors d’une conférence de presse retransmise en direct. Et de trancher: «Beaucoup ne font que voler... Certaines églises ne sont qu’une tanière de bandits.»

«Mépris»

Derrière de telles déclarations pointe le refus du chef de l’Etat rwandais de tout contre-pouvoir, estime l’analyste politique Louis Gitinywa, ce que confirme une source gouvernementale rwandaise sous couvert d’anonymat.

«Le FPR (le Front patriotique rwandais, le parti aux affaires, qu’il dirige, NDLR) s’irrite quand une organisation ou un individu gagne en influence», observe Louis Gitinywa. Derrière la récente charge télévisée du président Kagame, «le message est: le FPR n’a pas de concurrent en terme d’ascendant» sur la population, poursuit-il.

Paul Kagame voit aussi en l’Église un vestige colonial. «Vous avez été trompés par les colonisateurs et vous continuez à vous laisser tromper», assénait-il fin novembre.

Environ 93% des Rwandais se déclarent chrétiens, selon le recensement de 2024.

Le traumatisme du génocide de 1994, durant lequel des massacres ont été perpétrés jusqu’à l’intérieur d’églises, a favorisé l’essor de nouvelles structures religieuses, particulièrement ciblées par les autorités.

Beaucoup de fidèles doivent désormais effectuer de longs trajets pour trouver un lieu de prière.

«Le mépris et le dégoût ouverts du président pour les églises, et les organisations religieuses en général, annoncent des temps difficiles», commente un responsable d’église de Kigali, qui requiert l’anonymat par crainte de représailles.

Les réglementations de 2018 sont exigeantes : les églises doivent soumettre des plans d’action annuels indiquant comment elles s’alignent sur les « valeurs nationales » et toutes les donations doivent transiter par des comptes enregistrés. Ses pasteurs doivent être diplômés en théologie.

Depuis mars 2025, les églises sont aussi tenues d’apporter 1.000 signatures de fidèles, «presque impossibles» à obtenir pour de petites structures, remarque le pasteur Sam Rugira, dont les deux lieux de culte ont été fermés en 2024 pour non-respect des règles de sécurité incendie.

«Brigands»

La critique des églises évangéliques - et de leurs excès - n’est toutefois pas isolée en Afrique. L’ex-président kényan Uhuru Kenyatta avait en 2017 dénoncé «les brigands qui utilisent la religion pour voler les Kényans».

Le Kenya a lui-même expérimenté le pire de ces lieux de culte une fois qu’ils deviennent hors de contrôle. En 2023, environ 450 personnes, sous l’emprise d’un ancien chauffeur de taxi devenu pasteur autoproclamé, ont jeûné à mort pour «rencontrer Jésus» avant la fin du monde prévue cette année-là. Leurs restes ont été exhumés dans une forêt.

Malgré le traumatisme au sein de la population, le Kenya, dont le président William Ruto est un chrétien évangélique, n’a pris aucune mesure pour encadrer ces églises, que les autorités considèrent comme d’importantes réserves d’électeurs.

Au Rwanda, la fermeture du Grace Room Ministry a peut-être causé la plus grande surprise. Sa pasteure, Julienne Kabanda, attirait des foules immenses à la BK Arena, un écrin sportif flambant neuf de Kigali.

Les autorités affirment avoir révoqué la licence de l’église car celle-ci avait «à plusieurs reprises omis de soumettre ses rapports annuels d’activité et financiers». L’AFP n’a pas pu joindre Juliette Kabanda pour un commentaire.

Enseignant en science politique à l’Université nationale du Rwanda, Ismael Buchanan affirme reconnaître que «la religion et la foi ont joué un rôle clé dans la guérison des Rwandais des blessures émotionnelles et psychologiques après le génocide».

«Mais il n’a pas de sens d’avoir une église tous les deux kilomètres à la place d’hôpitaux et d’écoles», constate-t-il. «Le Rwanda n’est pas un État religieux comme le Vatican ou l’Arabie saoudite.»

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 22/12/2025 à 06h57