Au lendemain du sommet de l’Alliance des Etats du Sahel (AES, Mali, Niger et Burkina), le 6 juillet, où la rupture avec la Cedeao a été confirmée et la création de la Confédération de l’AES annoncée, celui de la Cedeao a tenté de ramener les pays sahéliens dans le giron de l’organisation régionale. La médiation a été confiée aux présidents Bassirou Diomaye Faye du Sénégal et Faure Gnassingbé du Togo.
Mais cette mission de réconciliation sera ardue, pour ne pas dire impossible. Les propos du président nigérien Abdourahamane Tiani, ne laissent aucun doute sur les intentions des chefs d’Etats de l’AES qui «ont irrévocablement tourné le dos à la Cedeao». Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Mali, confirme ce choix: «Nos chefs d’Etat ont été très clairs à Niamey en indiquant que le retrait des trois pays de la Cedeao est irrévocable et a été fait sans délai. A partir de cet instant, nous devons cesser de regarder dans le rétroviseur.»
La rigidité de cette position risque de compliquer davantage la lutte contre le terrorisme, fléau chronique au Sahel, en réduisant la collaboration dans le renseignement entre les pays de cette région africaine.
En clair, pour les dirigeants des pays de l’AES le divorce est consommé. Toutefois, cela ne signifie aucunement une rupture totale des relations entre les deux entités. Le Mali reste «ouvert à un travail avec nos voisins et d’autres organisations avec lesquelles nous partageons cet espace», a expliqué Abdoulaye Diop.
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Il reste à présent de s’inquiéter des conséquences de cette séparation. A ce titre, la sortie d’Omar Aliew Touré, président de la commission de la Cedeao, donne une idée sur d’éventuelles conséquences de cette séparation. Il a souligné que «le retrait du Niger, du Mali et du Burkina Faso affectera les conditions de voyage et d’immigration des citoyens de ces trois pays», expliquant qu’«ils auront désormais à mener des démarches en vue de l’obtention d’un visa avant de voyager dans la sous-région. De plus, ils ne pourront plus résider ou créer des entreprises librement dans le cadre des facilités de la Cedeao et seront soumis à diverses lois nationales.» C’est la conséquence la plus redoutée par les ressortissants des trois pays sahéliens. Et pour cause, ils sont des centaines de milliers de Burkinabè et de Maliens vivant dans les pays de la Cedeao, notamment en Côte d’Ivoire.
Fin de la libre circulation?
Sur ce sujet sensible, aucune mesure concrète n’est encore annoncée d’un côté comme de l’autre. D’aucuns pensent qu’en cas de divorce, les pays de Cedeao n’appliqueront pas de visa aux pays de l’AES, même si on ne peut exclure des «cas par cas». D’autant plus que les trois pays sahéliens sont membres de l’Union économique et monétaire ouest-africain (Uemoa), un espace qui regroupe les 8 pays de la région ayant le franc CFA comme monnaie commune -Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Cap-Vert, Guinée Bissau, Niger, Mali et Burkian Faso - et qui leur offre la libre circulation et d’établissement.
Mais la crainte est bien réelle. En cas de séparation, les pays de l’AES militent pour conserver cet avantage, estimant que la réintroduction de visas équivaudrait à «un chantage aux populations», selon Abdoulaye Diop. C’est l’une des principales raisons qui expliquent qu’une partie des citoyens des pays sahéliens sont opposés au départ de leurs pays de la Cedeao.
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Au niveau économique, le retrait des pays de l’AES de la Cedeao devrait de facto se traduire par l’arrêt de la libre circulation des biens et services entre les deux ensembles. Sur ce point aussi, les deux parties peuvent négocier des accords qui permettraient de s’accorder des avantages mutuels en maintenant les accords de libre circulation.
En clair, en ce qui concerne la libre circulation des biens et des personnes, du fait que les pays de l’AES sont membres de l’Uemoa, les actions qui pourront être prises au niveau de la Cedeao à leur encontre auront peu d’impact, sachant que les pays sahéliens ont des relations plus poussées avec les pays francophones de la Cedeao qui sont aussi membres de l’Uemoa.
Par contre, une fois la séparation actée, les trois pays seront obligés de créer de nouveaux passeports et de nouvelles cartes d’identité différents de ceux estampillés Cedeao. Ce qui ôterait de nombreux avantages et privilèges aux ressortissants de ces pays au sein de l’espace ouest-africain.
Des investissements en péril
Pire, la sortie des pays de l’AES de la Cedeao pourrait se traduire sur le plan économique par la suspension des projets et programmes mis en place par la Commission de l’Organisation dans ces pays enclavés. Ces projets sont chiffrés actuellement à quelque 500 millions de dollars. De même, cette sortie mettra fin à la coopération entre ces pays et les institutions financières et de développement de la Cedeao: la Banque ouest-africaine de développement (Boad) et la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (Bidc). Ce qui aura des impacts négatifs sur les économies de ces trois pays.
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De même, une sortie de la Cedeao produira ses effets auprès des investisseurs étrangers et ceux de la région qui seront peu enclins à investir dans les trois pays et encore moins à leur accorder des prêts. D’ailleurs, après les annonces de sortie des pays de l’AES de la Cedeao, les emprunts lancés par ces pays au niveau de l’Uemoa n’ont pas connu d’accueils favorables. Cela explique certainement que l’une des premières mesures annoncées lors du sommet du samedi 6 juillet 2024 des dirigeants de l’AES, est la création d’une Banque d’investissement et d’un Fonds de stabilisation pour le Sahel.
Une chose est sûre, la sortie des trois pays de l’AES n’aura que des impacts économiques négatifs pour la région ouest-africaine, jusqu’à présent la mieux intégrée du continent.
Conséquence et en attendant que la sortie des trois pays de l’AES soit définitivement actée, la médiation reste privilégiée. Ainsi, Bassirou Diomaye Faye et Faure Gnassingbé ont été mandatés pour arrondir les angles et essayer de ramener les trois pays dans le giron de la Cedeao. Pour rappel, aux yeux de la Cedeao, le départ de ces pays ne sera effectif qu’une année après leur demande de retrait, soit le 28 janvier 2025.
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D’ici là, pour éviter les conséquences négatives de cette séparation, tout sera fait pour le retour des trois pays au seins de la Cedeao. Seulement, un retour rapide parait difficile et ne pourra se faire que si la Cédéao abandonne son volet politique sur la gouvernance démocratique, ce qui constituerait un inquiétant recul.
Faute de quoi, il faudra tabler sur un retour à moyen ou long terme. La confédération envisagée par des pays enclavés et à faibles économies fait déjà face à de nombreuses difficultés surtout énergétique qui touche principalement le Mali et le Burkina Faso. Une rupture non négociée avec la Cedeao pourrait compliquer encore plus la situation économique de ces pays et les fragiliser davantage.
L’aggravation de la crise dans ces pays pourrait faciliter leur déstabilisation. Le renversement d’un des trois régimes pourrait ainsi remettre en cause la Confédération à trois et l’avenir de l’AES.
Enfin, certains observateurs estiment que les deux ensembles ne sont pas incompatibles. Les pays de l’AES pourraient continuer à s’intégrer davantage dans le cadre de la Confédération tout en restant membres de la Cedeao. Un schéma à ne pas écarter du fait que les trois pays, très affectés par le terrorisme, ont actuellement des priorités différentes de celles des autres pays de la Cedeao.