Cette manifestation est «historique» car cela fait «plus de 20-25 ans que ce n’était pas arrivé», souligne Martin Ziguélé, 68 ans, président d’un des principaux partis d’opposition, écharpe de député en bandoulière et bracelets aux couleurs centrafricaines.
«Un 3ème mandat» du président Touadéra aux élections de décembre 2025 est «anticonstitutionnel», insiste le chef de file du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) devant la foule à l’issue du rassemblement organisé par le «Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution (BRDC) de mars 2016» sur une des principales artères de Bangui, la capitale.
M. Ziguélé dénonce aussi le marasme social: «Pas d’eau, pas d’électricité, et maintenant le prix de l’essence» qui flambe.
Les visages perlent dans la forte chaleur, sous des pancartes de fortune en carton «Non au troisième mandat», «Halte à la tyrannie».
Le rassemblement a démarré timidement vers 7H00. Certains médias avaient annoncé son interdiction ou souligné les risques encourus par les protestataires, et des organisations politiques ou syndicales proches du pouvoir avaient appelé la population à ne pas se mobiliser.
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Les réseaux sociaux ont véhiculé de fausses informations, certains comptes affirmant que le coordinateur du BRDC avait été arrêté «en flagrant délit de distribution des grenades aux enfants de la rue».
«Suicide»
«On veut faire taire la population», s’indigne Sam, 39 ans, au chômage et sans affiliation politique. Mais «je préfère mourir ici que d’attendre chez moi qu’on m’arrête», dit-il en assurant que les chefs de quartiers sont chargés de dénoncer les opposants. «On peut être résilient mais là on va au suicide», ajoute-t-il en dénonçant le manque de travail et la flambée des prix.
Pour Bruno, 48 ans, chef d’entreprise sans affiliation politique, «l’Etat doit prendre acte que ça ne va pas». «Tout ici fait défaut, l’eau, l’électricité, la santé», dit-il.
Francis, 54 ans, administrateur civil, lui coupe la parole pour dénoncer l’insécurité persistante, «les braquages à Bangui, les prises d’otage en province».
Pour Crespin Mboli Goumba, président du parti de l’opposition PATRIE, la manifestation n’est que «le début d’une longue suite», «une sorte de revue de troupes pour que le peuple sorte de sa peur pour réclamer ses droits».
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«Je retrouve le peuple centrafricain de 1979, celui qui a renversé l’empire de Jean-Bedel Bokassa», se réjouit Martin Ziguélé en se félicitant de la mobilisation des jeunes.
La manifestation, encadrée par un important dispositif de policiers et gendarmes, soutenu par la mission de maintien de la paix de l’ONU (Minusca), s’est dispersée sans incident. Elle avait été dans un premier temps interdite par le ministère de l’Intérieur, puis autorisée par le président Touadéra.
Dimanche, lors d’un discours marquant le 9e anniversaire de son investiture, le chef de l’Etat a assuré être «sensible aux préoccupations d’une partie de l’opposition démocratique […] qui sollicite un dialogue politique» tout en fustigeant le ton des requêtes et leurs «menaces à peine voilées».
Le dialogue est un préalable pour le BRDC pour participer aux élections municipale prévues en août puis aux législatives et présidentielle de décembre. «Nous voulons des élections inclusives et transparentes», insiste Martin Ziguélé.
Ce pays d’Afrique centrale, un des plus pauvres au monde, meurtri par une succession de crises depuis son indépendance de la France en 1960 peine à se relever des troubles survenus lors des élections présidentielles de décembre 2020, quand des éléments de la Coalition des Patriotes pour le Changement avait marché sur Bangui pour renverser le pouvoir.