Comment Emmanuel Macron a aggravé le malaise franco-africain

Le président français Emmanuel Macron et son homologue congolais Félix Tshisekedi lors d'une conférence de presse à Kinshasa, le 4 mars 2023.. AFP or licensors

Le 15/03/2023 à 16h42

ChroniqueDe tous les présidents de la Cinquième République française, Emmanuel Macron semble être le plus englué dans une tenace incompréhension de l’Afrique. Son incurable défaut d’humilité et ses familiarités indécentes répandent le sentiment anti-français plus vitre que la propagande russe.

Au-delà de la crise entre le Maroc et la France, créée et entretenue à coups de rumeurs, de désinformation et d’allégations, Macron a contribué, par des attitudes inédites, à exacerber les tensions entre la France et d’autres pays africains. Nous ne parlerons pas ici du Maroc ni du Maghreb, mais ce sont les mêmes ressorts mentaux, dans les rouages de l’État français, qui façonnent les liens et les approches.

Malgré ses annonces de vouloir prendre ses distances avec l’esprit de la «Françafrique», Macron s’y est maintenu. La Françafrique est un terme opaque, mettant sur le même plan un pays et un continent. Il combine astucieusement la défense coriace et intraitable des intérêts français avec un incorrigible réflexe d’asséner des leçons de «vertu politique» aux leaders africains. Tout cela, bien entendu, en fonction des intérêts bien compris de l’Hexagone.

Une comparaison édifiante

Par comparaison relative, mais signifiante, la Grande-Bretagne, qui avait un empire colonial autrement plus étendu que celui de la France, ne fait pas vivre dans la terminologie géopolitique des formules comme «BritishAfrica» ou «BritishAsia». La décolonisation britannique s’est faite sans trop de heurts ni de conflictualité.

Aujourd’hui, le Commonwealth (à la fois un état d’esprit et une libre association) regroupe, sous sa forme moderne, 56 États à la souveraineté respectée. Son objectif est la prospérité partagée, la promotion de valeurs comme l’égalité, la non-discrimination et la primauté du droit, le tout sans interventionnisme ni dispense de leçons par l’ex-puissance coloniale.

Il faudrait aussi rappeler que l’acceptation de l’autre est tellement enracinée dans la culture britannique qu’un débat comme celui du «voile» -qui hystérise les Français d’une manière hallucinante- est inconcevable en Grande-Bretagne.

Ce n’est pas demain que les hôtesses d’Air France auront le choix de porter un uniforme avec voile comme celles de British Airways! La tolérance n’est plus aujourd’hui une valeur consensuelle en France, pays qui s’enfonce dans la haine, le rejet et l’exclusion.

Pérenniser la prépondérance française

La décolonisation a été ressentie en France comme un arrachement et à la limite comme une spoliation! Ce qui est inouï! Les luttes pour l’indépendance ont dérivé parfois vers de véritables tragédies des deux côtés. Il fallait bien trouver un substitut à ce qui était considéré comme de bénéfiques «possessions»… mais perdues. Le colonialisme tout court a été remplacé par son expression soft: la «Françafrique».

Cette expression malmène l’identité et la souveraineté africaines. Elle cache des situations de crise, de tensions et d’interventionnisme, sur fond de réseaux d’influence, de lobbies politique, économique et militaire destinés principalement à pérenniser la prépondérance française.

Malgré les dénégations, la «Françafrique» tient à consacrer une mise sous tutelle continue. Les Africains ne supportent plus ces attitudes malsaines.

On ne s’attardera pas sur le discours paternaliste de François Mitterrand, lors de la 16ème conférence des chefs d’État d’Afrique et de France en 1990 à la Baule. Malgré le lyrisme feint de ses déclarations pour dénoncer les scories néo-coloniales, Mitterrand a surtout montré le visage d’un hautain et caricatural père Fouettard. Il en a irrité les leaders africains de l’époque, qui le lui ont bien fait comprendre.

On a également en mémoire le dérapage «françafricain» de Nicolas Sarkozy qui a estimé, en juillet 2007, dans son fameux discours de Dakar, écrit par son conseiller Henri Guaino, que «l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire».

Suite au tollé, 42 ambassadeurs français ont été sollicités par le Quai d’Orsay pour donner leur avis sur la politique africaine de la France. Leurs avis rapportés par le journal Le Monde, en avril 2008, ont souligné la «dégradation de l’image de la France» sur le continent. «La France n’étant plus la référence unique ni même primordiale en Afrique et les Français ont du mal à l’admettre». Ils ont aussi constaté que les Français ignorent que les Africains s’intègrent dans la mondialisation «plus vite qu’on ne le croit». Ces constats lucides ont été faits par la France officielle… mais rien n’a changé depuis.

Macron n’a rien retenu des déconvenues de ses prédécesseurs

Emmanuel Macron n’a rien retenu des déconvenues de ses prédécesseurs. Il a, au contraire, introduit du nouveau pour servir du vieux. Ses manières, trop condescendantes et indécemment familières, apportent un cinglant démenti à ses propos.

En novembre 2017, lors d’une visite à Ouagadougou, au Burkina Faso, Emmanuel Macron s’adressait aux étudiants, en présence du président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré (2015-2022). Amphithéâtre bondé, chaleur torride, débat animé et rencontre assez longue… Le président burkinabé a décidé de quitter momentanément la tribune.

Nonobstant les thématiques du débat, Emmanuel Macron voyant le chef d’État burkinabé quitter les lieux, pour un moment, a lancé dans un éclat de rire «Du coup il est parti réparer la climatisation !». Cet épisode illustre bien un état d’esprit consternant. Une offense à la dignité de la fonction présidentielle -des deux pays au demeurant. Autant on peut dénoncer sur le plan des idées les discours de Mitterrand et Sarkozy, autant cette attitude désinvolte et ce ton de dérision sont méchamment blessants et attestent d’un sentiment de supériorité indéboulonnable à l’égard des Africains.

Lors de sa récente visite en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), le 5 mars 2023, Emmanuel Macron a de nouveau rechuté avec une phrase dite sur le même ton indélicat devant le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi : «Depuis 1994, ce n’est pas la faute de la France, pardon de le dire dans des termes aussi crus, que vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative, de votre pays».

La pensée macronienne convoque, ici, le paradoxe éternel: «Qui est apparu en premier : l’œuf ou la poule?» Qui a charcuté l’Afrique en traçant, à la règle, sur des cartes, des frontières artificielles -divisant et déchirant les populations et les territoires ? Des aberrations et absurdités territoriales, véritables bombes à retardement, à l’origine des drames de l’Afrique aujourd’hui.

Et en 2023… un président français vient la conscience tranquille donner des leçons de gouvernance militaire et sécuritaire! Le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi a répondu: «Regardez-nous autrement, en nous considérant comme des partenaires et non avec un regard paternaliste».

À l’instar des autres chefs d’État africains, le président congolais ne semble pas convaincu par le prétendu abandon de la «Françafrique». La France réalise jour après jour que son recul et son impopularité en Afrique ont préparé le terrain, sur les plans diplomatique, économique, financier et même celui de la coopération militaire, pour des puissances qui n’ont pas d’antécédents coloniaux ou impérialistes sur le continent. Il n’est pas très juste de parler de sentiment anti-français, mais de sentiment anti-président français ou anti-gouvernement français. C’est à ce niveau que la France doit œuvrer avant que ce qui ne cible aujourd’hui que Macron et ses incurables défauts d’humilité ne se propage comme un virus pour contaminer tout ce qui se rapporte à la France.

Par Jalal Drissi
Le 15/03/2023 à 16h42