Petit-à-petit les putschistes nigériens arrivent à leurs fins, faire admettre leur coup d’Etat à tous, en dépit de la quasi-unanimité des condamnations. La rencontre entre le chef de la junte nigérienne, le général Abderahamane Tiani, et la délégation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), sous la conduite de l’ancien président nigérian Abdulsalami Abubakar, le samedi 19 août, venue négocier une sortie de crise, a débouché sur un refus catégorique du nouvel homme fort du Niger.
Ce dernier a d’ailleurs profité de l’occasion pour annoncer aux Nigériens l’engagement de la junte pour une transition de trois ans. Une annonce faite avant même le départ de la délégation de la CEDEAO de Niamey et qui tranche avec celle du négociateur de la CEDEAO qui annonçait que la rencontre a permis de «trouver une clé pour poursuivre les pourparlers jusqu’au dénouement de cette difficile affaire».
Des paroles diplomatiques qui tranchent avec la réalité. Désormais, la seule chose qui pourrait, peut-être, remettre l’ancien président Mohamed Bazoum sur son fauteuil est l’intervention militaire. Les dirigeants de la CEDEAO sont décidés, depuis février 2022, à mettre fin aux coups d’Etat. Et pour mettre d’avantage la pression sur les putschistes, l’organisation régionale a annoncé que «le jour J» d’une potentielle intervention militaire «a été fixé» et que «les moindres détails de l’intervention» soignés.
Seulement, l’intervention est incertaine du fait de plusieurs facteurs. Avant tout, cette intervention de la CEDEAO est loin de faire l’unanimité au sein de cette organisation régionale qui a surtout une vocation économique. En effet, en dehors du Mali et du Burkina Faso qui sont opposés à toute intervention, auxquels on peut ajouter la Guinée, même si celle-ci s’est montrée discrète, d’autres pays de la région sont aussi opposés à cette intervention.
La Guinée-Bissau et le Togo, dirigés par d’anciens militaires ne sont pas aussi chauds pour l’intervention. Quant au Cap-Vert, les autorités ont clairement affirmé leur opposition à toute intervention. Le Tchad, qui ne fait pas parti de la CEDEAO, mais voisin du Niger et qui dispose des soldats les mieux aguerris, ne participera pas à cette éventuelle intervention.
Au total, en plus du Niger, ce sont au moins six pays qui sont opposés à toute intervention militaire sur les quinze qui composent la CEDEAO. Et sur les huit pays restant, il n’y a que cinq qui sont réellement partants: Nigeria, Côte d’Ivoire, Sénégal, Ghana et Bénin. Deux de ces pays (Nigeria et Bénin) sont frontaliers du Niger.
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En outre, les populations de la région sont opposées à une intervention militaire de la CEDEAO au Niger. C’est notamment le cas au Nigeria, dont le président est le fer de lance de la manière foret, lui qui a fait de la lutte contre les coups d’Etat un point focal de sa présidence de l’organisation régionale. Les Nigérians sont globalement opposés, particulièrement les populations du nord du pays, frontalières du Niger. Une région déjà très affectée par les sanctions économiques imposées par la CEDEAO au Niger et la fermeture de la frontière avec ce pays.
Ensuite, il y a fort à parier que sans la complicité des militaires nigériens, la réussite d’une telle opération sera très compliquée. N’omettons pas que la garde présidentielle, qui a déposé le président Bazoum, est l’une des formations les mieux entrainées et les mieux équipées de l’armée nigérienne.
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Sachant que l’armée nigérienne, forte de 30.000 hommes et équipée avec le soutien des Occidentaux au cours de ces dernières années, constitue un obstacle difficile à franchir pour les armées ouest-africaines qui seront essentiellement composées de soldats nigérians, accompagnées d’ivoiriens et de sénégalais, et qui seront certainement beaucoup moins nombreux que les soldats nigériens et qui connaissent mieux le terrain.
C’est dire que ces forces ouest-africaines auront du mal à déloger les membres de la junte et exfiltrer le président Mohamed Bazoum pour le remettre sur son fauteuil et ce d’autant plus que la résidence du président se trouve à l’intérieur du camp de la garde présidentielle qui se trouve au cœur de Niamey. Et si elles arrivent, il faudra s’attendre à de nombreux morts et des dommages collatéraux importants. Dans un tel contexte, il est difficile de croire que les forces de la CEDEAO puissent déloger les militaires et faire sortir le président déchu sain et sauf.
Du coup, pour de nombreux observateurs, pour réussir, la force ouest-africaine devra d’abord bénéficier du soutien d’une large frange de l’armée nigérienne, notamment de tous ceux qui ne sont pas favorables au coup d’Etat dont des éléments de la garde nationale nigérienne.
Ensuite, il faut que les forces ouest-africaines puissent bénéficier du soutien de l’armée française forte de 1.500 hommes lourdement armés installés au Niger dont une partie se trouve dans la capitale.
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Seulement, un soutien français viendra conforter ceux qui prétendent que c’est Paris qui pousse les pays francophones -Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin…- à intervenir militairement pour remettre son allié sur son fauteuil. «La CEDEAO s’apprête à agresser le Niger en mettant sur pied une armée d’occupation en collaboration avec une armée étrangère», a expliqué le général Abdourahamane Tiani. Et même un tel scénario ne garantit pas que l’ancien président s’en sorte indemne. A quoi servirait alors cette intervention en cas de disparition du président Bazoum?
Sans compter qu’une intervention risque d’aggraver une situation déjà compliquée au niveau de la région en accroissant le sentiment anti-français.
En attendant cette hypothétique intervention, le Niger a déployé ses troupes à la frontière avec le Bénin et le Nigeria, les deux pays avec lesquels il a des frontières communes et d’où devraient passer les forces ouest-africaines en cas d’intervention.
Les putschistes ont déclaré que «toute agression ou tentative d’agression contre l’Etat du Niger verra une riposte immédiate et sans préavis des Forces de défense et de sécurité nigériennes sur un de ses membres, à l’exception des pays amis suspendus».
En clair, en cas d’intervention, le Niger compte riposter en attaquant un des pays membres de la CEDEAO, à l’exception du Mali et du Burkina Faso. Autant dire que l’intervention risque d’entrainer des guerres entre le Niger et ses deux voisins, le Nigeria et le Bénin.
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En outre, beaucoup d’observateurs craignent que cette intervention n’entraine un embrasement régional. En effet, le Mali et le Burkina Faso, les principaux soutiens de la junte, ne comptent pas rester à l’écart en cas d’intervention. Les deux pays qui ont très tôt manifesté leur soutien ferme aux putschistes de Niamey auraient déployé des avions militaires au Niger, d’après plusieurs sources, pour défendre le nouveau pouvoir nigérien contre une intervention possible de la CEDEAO. Ainsi, au moment où les chefs d’état-major des pays de la CEDEAO se réunissaient à Accra, au Ghana, les officiers d’état-major burkinabè et maliens étaient à Niamey en vue de «peaufiner le plan de riposte» en cas d’intervention militaire. Le soutien de ces deux armées à la junte nigérienne pourrait faire déborder l’intervention vers d’autres pays.
Par ailleurs, les dirigeants maliens et burkinabè ont déjà averti qu’ils quitteraient la CEDEAO en cas d’intervention militaire au Niger. Autre conséquence, cette intervention risque d’affaiblir l’organisation régionale en l’amputant de certains de ses membres.
De même, beaucoup d’observateurs craignent qu’une intervention au Niger ne fasse l’affaire des terroristes qui essaiment dans le Sahel et accroître ainsi l’instabilité régionale. Et ils n’ont pas tort. En effet, il est admis que c’est suite à l’intervention occidentale en Libye pour éliminer Kadhafi que les rebelles touaregs, qui faisaient partie des forces du guide libyen, sont rentrés au Mali, avec l’aval de la France de Nicolas Sarkozy, pour envahir le nord du Mali et lancer une nouvelle rébellion qui fera le lit des djihadistes qui sèment le désordre au Sahel.
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Et une éventuelle intervention risque d’avoir des conséquences beaucoup plus néfastes. Il y a d’abord le risque d’affaiblir et de diviser l’armée nigérienne et donc ouvrir la voie à de nouvelles tentatives de rébellion au moment où au nord du Mali et au sud de l’Algérie les communautés touaregs font part de leurs velléités indépendantistes.
Ensuite, en affaiblissant l’armée nigérienne à travers la destruction de ses ressources humaines et matérielles, la question qui se pose est de savoir qui va combattre les djihadistes à leur place? Si actuellement le Niger est moins impacté par les attaques djihadistes que le Mali et le Burkina, la situation pourrait s’inverser et accroître l’instabilité au niveau de la région.
En outre, qui prendra en charge le coût de cette intervention militaire qui sera longue et coûteuse. En effet, vaincre l’armée loyale à la junte et stabiliser le pays nécessitera plusieurs mois, voire beaucoup plus, pour mieux sécuriser les institutions qui auraient été remises sur place, en cas d’une hypothétique réussite de l’opération.
Certainement que les pays occidentaux soutiendront l’intervention. Mais c’est surtout la France qui a d’importants intérêts au Niger qui devrait mettre la main à la poche, En effet, l’uranium nigérien est exploité par le français Orano (ex-Areva) et sert à faire fonctionner les centrales nucléaires françaises qui fournissent plus de 75% de l’électricité consommée en France.
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La France avait dès le début du putsch averti qu’elle répliquera à toute atteinte contre ses ressortissants et intérêts au Niger dont les installations du groupe Orano, présent depuis près de 50 ans dans le pays et qui possède trois mines. L’uranium du Niger représente environ 20% des importations françaises. Donc Paris a tout à craindre du maintien de la junte militaire nigérienne au pouvoir et ce d’autant plus que celle-ci a déjà dénoncé les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense, un prélude à la fin de la présence militaire française au Niger.
Ainsi, après le Mali (2022) et le Burkina Faso (2023), c’est au tour du Niger, pièce maîtresse de la stratégie militaire tricolore dans la région. Pire, la junte a aussi dénoncé le dernier contrat signé en mai 2023 entre Orano et l’Etat nigérien dirigé par Bazoum.
Enfin, la position américaine n’est pas favorable à une intervention militaire ouest-africaine. Contrairement aux Français, les Etats-Unis jouent la carte de «real politik». Considérant qu’il sera difficile de retirer les militaires du pouvoir sans effusion du sang, ils évitent d’avoir une ligne dure à l’égard du régime. L’Oncle Sam est plus intéressé par le maintien de ses deux bases de drones, implantées à Niamey et à Agadez pour surveiller le Sahel. Les Américains comptent aussi 1.100 soldats au Niger, ce qui en fait la seconde présence militaire américaine au niveau du continent, après Djibouti.
Washington craint donc, qu’en soutenant une intervention militaire, l’échec ne se retourne contre ses intérêts. Or, Washington souhaite garder son dispositif militaire au Niger, un départ de ce pays et donc du Sahel, pouvant permettre au groupe Wagner, et donc à la Russie, de combler le vide. Ainsi, tout en continuant à demander la libération du président Mohamed Bazoum et le respect de l’ordre constitutionnel, les Américains restent en retrait d’une éventuelle intervention militaire.
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D’ailleurs, c’est en pleine crise politique au Niger que les Etats-Unis ont confirmé la nomination de leur nouvelle ambassadrice Kathleen Fitzgibon L’arrivée de cette dernière à Niamey confirme la position souple des Américains vis-à-vis des putschistes, contrairement aux Français.
De même, ils ont déjà commencé à chercher des alternatives pour transférer leurs bases de drones dans un autre pays de la région au cas où la junte nigérienne demanderait le départ des troupes étrangères, comme c’est le cas du Mali. Et dans cette optique, au niveau du Sahel, les choix ne sont pas nombreux. Il n’y a actuellement que le Tchad et la Mauritanie qui pourraient offrir des alternatives.
En conclusion, l’intervention militaire des pays de la CEDEAO rendue désormais inévitable par la posture de la junte nigérienne suite à la déclaration de son président Abdourahamane Tiani faisant état d’une transition politique de trois ans pour mieux acter le non-retour à l’ordre constitutionnel, est plus qu’incertaine sur le plan pratique. Ses conséquences devraient faire réfléchir les dirigeants de la CEDEAO dont certains n’ont pas hésité à bafouer leur propre Constitution pour rester au pouvoir.