«Les observateurs auront du mal à voir dans le nouvel accord de coopération en matière de sécurité autre chose qu’une alliance anti-éthiopienne», estime Andrew Smith, analyste de la société d’intelligence économique Verisk Maplecroft.
Qu’est-ce qui a mené à cet accord?
Les relations historiquement houleuses entre la Somalie et l’Éthiopie se sont encore dégradées depuis l’annonce le 1er janvier de la signature d’un protocole d’accord entre Addis Abeba et la région séparatiste somalienne du Somaliland - un accord dénoncé par Mogadiscio comme une «agression» contre sa souveraineté.
Le texte prévoit la location pour 50 ans à l’Ethiopie, immense pays enclavé, de 20 km de côtes du Somaliland, qui a unilatéralement proclamé son indépendance en 1991.
Depuis, Mogadiscio a intensifié ses relations avec Le Caire, rival de l’Ethiopie qui s’oppose notamment au mégabarrage hydroélectrique (GERD) qu’Addis Abeba a construit sur le Nil.
Parallèlement, les relations entre l’Éthiopie et l’Érythrée se sont encore détériorées récemment, malgré le soutien d’Asmara aux forces gouvernementales éthiopiennes dans le conflit avec les rebelles du Tigré en 2020-2022.
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Les forces érythréennes ont été accusées d’atrocités lors du conflit.
A l’issue d’une rencontre sans précédent, l’Erythrée, l’Ethiopie et la Somalie se sont jeudi dernier engagées à renforcer leurs relations pour améliorer la stabilité régionale.
«L’histoire se répète alors que la Corne de l’Afrique se divise une fois de plus en zones opposées, avec différents partisans extérieurs», a déclaré Omar Mahmood, analyste principal de l’Afrique de l’Est pour le groupe de réflexion International Crisis Group.
Risque-t-on un embrasement régional?
M. Smith a décrit l’accord comme un «revirement attendu, mais non moins remarquable, dans les relations régionales».
Les premières années de mandat du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed ont été marquées par une amélioration des relations entre l’Ethiopie, l’Érythrée et la Somalie, note-t-il. «Donc (pour la Somalie), troquer Addis contre le plus grand rival régional de l’Éthiopie, le Caire, est tout un renversement».
«Cet accord tente en réalité de fermer la porte aux ambitions maritimes de l’Éthiopie», explique-t-il.
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«Bien que l’accord soit encore une posture régionale, on ne sait pas exactement où va l’Éthiopie dans sa quête d’accès à la mer», ajoute M. Smith.
«Il s’agit d’une démonstration de posture diplomatique plutôt que d’une confrontation militaire», a renchéri M. Mahmood. «Mais les soupçons sont forts et la communication faible. Cela augmente le risque de dégénérer en une sorte de confrontation si on la laisse s’envenimer et s’intensifier davantage».
Quelle a été la réaction de l’Ethiopie?
Addis Abeba est restée discrète sur l’accord conclu à Asmara, la capitale érythréenne. Les demandes de réactions de l’AFP auprès des porte-parole du gouvernement sont restées sans réponse.
«La nouvelle alliance contrariera l’Éthiopie mais ne la surprendra pas», pour M. Smith.
Lors d’un point presse jeudi, le porte-parole du ministère éthiopien des Affaires étrangères, Nebiat Getachew, a décrit les relations entre Addis Abeba et Asmara comme «pacifiques».
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Abiy Ahmed, lauréat en 2019 du prix Nobel de la paix en particulier pour son «initiative déterminée pour régler le conflit frontalier avec l’Érythrée», a averti le mois dernier que l’Ethiopie «humilierait quiconque ose nous menacer», sans citer de pays.
Addis Abeba a également accusé des acteurs anonymes de chercher à «déstabiliser la région» après que l’Égypte a envoyé du matériel militaire en Somalie après la conclusion d’un accord de coopération militaire.
Autres répercussions?
M. Smith estime que l’accord d’Asmara jette «davantage d’incertitude» sur l’avenir de la mission de l’Union africaine contre les islamistes shebab en Somalie.
Une nouvelle mission, baptisée «mission de soutien et de stabilisation de l’Union africaine en Somalie» (AUSSOM), doit prendre le relais d’une autre mission, l’Atmis (mission africaine de transition en Somalie), à partir de janvier 2025.
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«Le déploiement potentiel de troupes égyptiennes, et désormais érythréennes, signifie qu’il est de plus en plus probable que la Somalie fasse pression pour le retrait de l’Éthiopie à la fin de l’année, mais la question clé reste de savoir si elle partira réellement», a déclaré M. Smith.
Pour M. Mahmood, l’accord complique également les efforts de médiation de la Turquie dans le conflit entre l’Éthiopie et la Somalie.
«Pour Mogadiscio, cette décision vise probablement à renforcer leur position pour modifier les calculs d’Addis concernant le protocole d’accord», explique-t-il. Pour l’Ethiopie en revanche, ajoute-t-il, «cela pourrait avoir l’effet inverse, et la braquer à mesure qu’elle se retrouve encerclée de pays unis dans leur opposition à ses objectifs régionaux».