C’est certainement l’un des périples les plus longs d’un aussi haut rang diplomate américain en Afrique. La vice-présidente américaine, Kamala Harris, a séjourné du 26 mars au 2 avril, dans trois pays: Ghana, Tanzanie et Zambie.
Ce périple, intervenu un peu plus de 3 mois après le sommet Etats-Unis-Afrique de décembre 2022 à Washington au cours duquel le président Joe Biden avait plaidé pour un vaste partenariat avec l’Afrique, vise à donner les gages aux engagements pris par l’Amérique sur les plans diplomatique et économique.
Au niveau diplomatique, le séjour africain de la vice-présidente américaine confirme, si besoin en est, le retour américain en Afrique. A travers ces visites ponctuées de rencontres avec les dirigeants de ces pays, de visites de sites historiques et de rencontres avec la société civile, les dirigeants américains essayent de renforcer les liens diplomatiques avec le continent africain. Des liens qui ont été réduits à leur strict minimum durant la présidence Trump laissant la porte grandement ouverte à d’autres partenaires, notamment la Chine et la Russie qui ont occupé le terrain pour consolider leurs relations économiques mais aussi militaires avec l’Afrique.
La crise ukrainienne et plus précisément le refus de la majorité des pays africains à condamner l’invasion russe en mars 2022 à l’ONU a permis d’attirer l’attention des Occidentaux, et particulièrement des Etats-Unis, sur l’impact de leur retrait du continent au niveau diplomatique. Et depuis, les périples africains de hautes personnalités politiques et économiques américaines se sont multipliés.
Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, a multiplié les visites: Afrique du Sud, RD Congo, Rwanda. Janet Yellen, Secrétaire au Trésor s’est rendue au Sénégal, en Zambie et en Afrique du Sud, en fin Linda Thomas-Greefield, ambassadrice des Etats-Unis aux Nations Unis est allée au Ghana, au Mozambique et au Kenya.
Un premier constat s’impose: les Etats-Unis se concentrent essentiellement sur les pays anglophones. Si le Sénégal a fait partie des plans de visites des dirigeants américains, c’est en grande partie au fait que c’est le président sénégalais qui assurait la présidence de l’Union africaine. Quant à la RD Congo, la visite de Blinken dans ce pays visait surtout à aplanir les tensions avec le Rwanda.
Deuxième constat, le Ghana semble constituer un point nodal de la politique américaine en Afrique de l’ouest alors que la première puissance économique et démographique du continent, et l’un des plus importants partenaires économiques des Etats-Unis, le Nigeria, est globalement ignoré par ses visites de diplomates américains. En clair, pour les Américains, seule une poignée de pays africains comptent. C’est tout le contraire des Chinois et Russes qui multiplient les visites dans presque tous les pays du continent.
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Quoi qu’il en soit, le Ghana semble se satisfaire de l’intérêt que lui accordent les Etats-Unis. «La Chine est l’un des nombreux pays avec lesquels le Ghana est engagé. La relation entre l’Amérique et le Ghana est une relation qui a sa propre dynamique et qui n’a rien à voir avec un autre pays», a ainsi expliqué le président Nana Akufo-Ado. Toutefois, en ce qui concerne la Russie, et la présence des paramilitaires russes de Wagner, le président ghanéen rejoint les Américains. «Nous avons clairement exprimé nos inquiétudes (…) Cela crée la possibilité très réelle qu’une fois de plus, notre continent devienne le terrain de jeu de l’affrontement des grandes puissances».
Au niveau économique, la vice-présidente américaine a appelé, lors de sa visite au Ghana, à davantage d’investissements dans l’innovation en Afrique qu’elle a qualifiée de «l’avenir du monde». Kamala Harris a mis l’accent sur plusieurs domaines qui pourrait bénéficier davantage d’investissements de la part des Etats-Unis: émancipation des femmes, économie numérique, bonne gouvernance et démocratie.
Ces axes sur lesquels les Américains souhaitent investir, bien qu’importants, ne constituent pas les priorités des dirigeants africains qui ont tendance à privilégier les investissements dans les infrastructures (routes, autoroutes, ports, aéroports, chemin de fer… pour combler les déficits énormes qui plombent leur développement et la croissance de leurs échanges commerciaux. Et c’est à ce titre que la Chine est devenue un partenaire privilégié de nombreux pays africains en finançant, via des prêts concessionnels, la réalisation d’infrastructures.
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Parallèlement, les Etats-Unis misent aussi sur l’aide. Ainsi, au Ghana, Kamala Harris a annoncé une aide de 139 millions de dollars pour aider le pays à faire face à la crise économique qu’il traverse en finançant des initiatives économiques, commerciales et culturelles et de santé. Face à la crise, Washington va même déployer un conseiller résident à temps plein à Accra pour aider le gouvernement ghanéen à mettre en place des réformes à moyen et long terme.
Kamala Harris a aussi annoncé une enveloppe de 100 millions de dollars pour aider les pays de la région -Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana et Togo- à faire face à la menace jihadiste venue du Sahel.
Au niveau africain, elle a aussi dévoilé une initiative en faveur de l’émancipation économique des femmes africaines d’un milliard de dollars, en grande partie financé par le secteur privé et visant à «contribuer à combler le fossé numérique entre les hommes et les femmes».
En Tanzanie, Harris a souligné que l’Exim Bank, agence américaine de crédit à l’exportation, va signer un mémorandum d’accord pour faciliter les exportations vers la Tanzanie d’une valeur de plus de 500 millions de dollars dans les secteurs du transport, des infrastructures, des technologies numériques et de l’énergie verte.
Dans ce pays, la Chine est de loin le premier investisseur avec pas moins d’une centaine de projets en cours dans différents domaines : mines, agriculture, transports, pêche, tourisme…
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En Zambie, pays où elle s’était déjà rendue dans sa jeunesse pour rendre visite à son grand-père maternel, la première femme et première personne noire à la vice-présidence américaine, n’a pas fait d’annonces d’aide et/ou d’investissement. Par contre, cette étape a été l’occasion de tancer la Chine, accusée d’endetter l’Afrique. A ce titre, la vice-présidente américaine a réitéré lors de sa dernière étape en Zambie de la nécessité d’une restructuration de la dette zambienne. Les Etats-Unis souhaitent que la Chine allège la dette extérieure du pays évaluée à 17,3 milliards de dollars.
Bref, sur le plan des financements et des aides, les annonces sont négligeables, surtout quand on sait que lors du sommet Etats-Unis-Afrique, le président Joe Biden avait annoncé 55 milliards de dollars sur 3 ans pour le continent. Cela est encore moins quand on compare ces annonces aux investissements que réalise l’ogre chinois en Afrique, notamment dans le domaine des infrastructures chères aux africains.
Face à la Russie, à travers ces multiples tournées, les Etats-Unis essayent de faire face à la présence des éléments des paramilitaires russes de Wagner en Afrique, de réduire le soutien et/ou la neutralité des pays africains à la Russie dans son conflit avec l’Ukraine et de décourager les pays africains à participer au prochain Forum Russie-Afrique qui se déroulera du 26 au 29 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg.
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En tout cas, d’ici là, s’il n’y a pas d’évolutions significatives sur la crise Russie-Ukraine, le taux de participation des dirigeants du continent sera un indicateur qui sera très scruté par les occidentaux. Il donnera une idée claire sur les impacts du forcing exercé par les pays occidentaux sur les pays africains afin qu’il condamne l’invasion russe et participent aux sanctions visant à isoler la Russie.
Seulement, les russes semblent avoir pris les devants en soulignant une réorientation de leur politique étrangère vers l’Asie, l’Amérique Latine et l’Afrique. Mieux, sachant que la question des céréales est sensible en Afrique, la Russie a promis gracieusement des céréales aux pays africains les plus pauvres.
Une chose est sure, malgré les multiples pressions et les périples de hauts responsables américains, les dirigeants africains, dans leur globalité, semblent vouloir désormais privilégier la diversification de leurs partenaires que l’alignement sur un bloc, quel qu’en soit son poids. Un choix que les pays occidentaux ont du mal, pour le moment, à accepter…