Respectant ses engagements électoralistes, le président américain Donald Trump a débuté son second mandat avec des prises de position musclées, combinant expulsions de migrants en situation irrégulière, menaces de guerres commerciales, suspensions d’aides publiques, retrait de certaines institutions relevant de l’ONU (OMS) et d’accords internationaux dont les Etats-Unis sont signataires, ingérences dans les affaires internes des Etats…
Le président américain a ainsi signé plusieurs décrets, et ce n’est que le début d’une nouvelle ère politique dont le leitmotiv reste «America First», marquant le retour au protectionnisme tout en donnant un coup d’arrêt au multilatéralisme.
Expulsion des migrants: moins de 3% d’Africains lors de la première vague annoncée
Les expulsions de millions de migrants a été l’un des arguments phares de campagne de Trump en tant que candidat à la présidence américaine. Il avait promis de renvoyer des millions de migrants, sachant que les Etats-Unis comptent environ 12 millions de clandestins.
Trump a présenté ces migrants comme des criminels alors que dans leur immense majorité ce sont des personnes fuyant la situation désespérée à laquelle elles sont confrontées dans leur pays d’origine.
Du coup, l’une des craintes des Africains avec le retour de Trump au pouvoir est l’expulsion de milliers de migrants. Et les craintes étaient d’autant plus légitimes que de nombreux ressortissants du continent ont migré clandestinement via la filière dite du «Nicaragua» au cours de ces deux dernières années et nombre d’entre eux sont toujours retenus dans des centres de rétention et sont plus facilement en mesure d’être expulsés.
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Selon les premières annonces portant sur les migrants à expulser, 41.886 Africains y figurent. Les ressortissants des 54 pays africains sont concernés par les expulsions, mais ne représentent qu’autour de 2,90% des expulsions totales annoncées dans une première phase et qui porte sur 1.445.594 personnes, dont essentiellement des ressortissants d’Amérique centrale et du Sud. Cette liste des migrants clandestins africains à expulser est dominée par les Somaliens (4090 personnes), les Mauritaniens (3822 personnes), les Nigérians (3690 personnes), les Ghanéens (3280 personnes) et les Guinéens (1897 personnes).
Reste que ces expulsions, massives soient-elles, auront des impacts négligeables sur les pays africains. En plus, comme lors de son premier mandat, lorsqu’il avait pris des mesures similaires, Trump sera rapidement confronté au coût économique d’un tel projet. En effet, le budget actuel de la police de l’immigration est d’environ 9 milliards de dollars. Et selon les estimations, pour expulser la douzaine de millions d’immigrés sans papiers, il faut plus de 300 milliards de dollars. Ainsi, lors de son premier mandat, à cause de ce problème financier et des problèmes politiques, les expulsions n’ont concerné que quelques milliers de migrants sans-papiers pour plaire à ses électeurs. Ce sera le cas aussi durant son second mandat.
Arrêt des aides au développement, Suspension de l’Usaid: conséquences néfastes et des milliers de travailleurs au chômage
Le premier dommage réel de la réélection de Trump au niveau du continent se fait déjà sentir avec la suspension de l’aide publique au développement. En effet, peu de temps après son investiture, le président américain a ordonné la suspension de tous les programmes d’aide étrangère des Etats-Unis au reste du monde pour une durée de 90 jours, à l’exception de l’aide alimentaire d’urgence, ainsi que l’assistance militaire pour Israël et l’Egypte. En clair, tous les programmes d’aides destinés aux pays africains sont suspendus. La consternation a été à la mesure du poids des Etats-Unis en matière d’aide publique au développement. Selon les Nations Unies, les Etats-Unis ont ainsi financé environ 42% de l’aide humanitaire mondiale répertoriée à travers l’Usaid.
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Ce gel de l’aide américaine sème la panique sur le continent africain, très dépendant des aides américaines dans de nombreux secteurs d’activités.
A titre d’exemple, au Sénégal, le gel de l’aide publique au développement dans le domaine énergétique est estimé à 500 millions de dollars, soit 307 milliards de francs CFA, selon le Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko. «Vous avez entendu le président des États-Unis, Donald Trump, annoncer la suspension de tous les programmes destinés aux pays en développement pour une durée de trois mois, le temps de les évaluer et de décider de la suite à leur donner. Le Sénégal devait bénéficier d’un programme dans le domaine de l’énergie à hauteur de plus de 500 millions de dollars», a déclaré le Premier ministre Ousmane Sonko. Il faisait allusion au programme financé par l’agence américaine d’aide au développement Millenium Challenge Corporation (MCC) de 550 millions de dollars). Plusieurs pays africains bénéficient du soutien de cet organisme.
Un travailleur retire le panneau de l'Agence américaine pour le développement international (Usaid) sur son siège le 7 février 2025 à Washington, DC. Créée en 1961, l'Usaid gère plus de 40 milliards de dollars par an, destiné à l’aide humanitaire et l’aide au développement dans quelque 158 pays.. Getty Images via AFP
Parallèlement, et pour marquer cette suspension, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), le bras d’aide au développement des Etats-Unis qui gère plus de 40 milliards de dollars, destiné à l’aide humanitaire et l’aide au développement dans quelque 158 pays, a été suspendu pour trois mois et ses salariés mis en congé administratif. L’Usaid gère plus de 60% de l’aide extérieure américaine et la redistribue via des programmes et organisations partenaires. Ainsi, ce sont de très nombreux projets, essentiellement en faveur des populations civiles, qui vont pour la plupart s’arrêter.
Electron libre de l’équipe de Trump, du fait qu’il n’est ni élu ni ministre, et donc pas contrôlé par le Congrès, le milliardaire à la tête du Département de l’efficacité gouvernementale (DoGE) a démarré très fort. Pour lui, l’efficacité rime avec des coupes dans les budgets. Et la meilleure façon d’y arriver est tout simplement de mettre fin à certaines institutions. A l’instar de son mentor, il n’a pas hésité de qualifier l’Usaid de «nid de vipères, de marxiste (…) qui déteste l’Amérique», après que Trump ait avancé que l’Usaid était «dirigée par une bande de fous extrémistes».
Le début du démantèlement de l’institution a entrainé un congé administratif de 10.000 employés de l’organisme, soit 97% de ses effectifs. Les seuls restants étant ceux travaillant dans l’assistance sanitaire et humanitaire. Et au niveau du continent, ce sont des milliers d’emplois qui seront perdus.
Au niveau du continent africain où cette institution est présente dans tous les pays, cela aura des impacts négatifs très importants dans de nombreux programmes de développement financés par cet organisme, notamment au niveau des secteurs éducatifs, de la santé, surtout dans la prévention et le traitement de la tuberculose, du paludisme, la santé maternelle et infantile…
Pour se rendre compte de l’ampleur de l’impact de cette suspension au niveau africain, il faut souligner qu’en 2024, sur les 15 pays les plus aidés par l’Usaid figuraient 9 pays du continent: RDC, Ethiopie, Soudan, Nigeria, Soudan du Sud, Kenya, Mozambique, Ouganda et Somalie.
En décembre 2024, l’ancien président américain, Joe Biden, avait annoncé une aide humanitaire de plus d’un milliard de dollars pour lutter contre l’insécurité alimentaire dans 31 pays africains, dont 823 millions de dollars alloués via l’Usaid.
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Depuis le vendredi 7 février 2025, à OH, l’ensemble du personnel recruté directement par l’Usaid est placé en congé administratif à l’échelle mondiale, à l’exception de 611 travailleurs essentiels à l’Usaid. Ce sont ainsi plus de 10.000 salariés que compte l’agence dans le monde qui sont concernés par ces licenciements.
Au niveau du continent africain, ce sont plusieurs milliers de personnes qui se retrouvent au chômage. En plus des personnes employées par l’Usaid, il y a aussi tous ceux qui travaillent avec les ONG financées par l’organisme américain et d’autres ONG bénéficiant de l’aide publique américaine.
Retrait de l’OMS: l’Afrique sera le continent le plus impacté
L’impact de la suspension des aides publiques sera d’autant plus difficile à combler que les Etats-Unis ont également annoncé leur retrait de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Or, les Etats-Unis demeurent le bras financier de l’OMS. Ils représentent 22% du budget actuel 2024-2025, soit 264 millions de dollars, et contribuent à hauteur de 16%, soit 442 millions de dollars, à l’ensemble des contributions volontaires de l’organisme. C’est dire que leur départ va affecter les programmes de financement de l’organisation. Or, en Afrique, les programmes américains financent prioritairement, et depuis de longues années, les programmes VIH/Sida, l’éradication de la polio et les urgences sanitaires.
En plus des financements, les autorités sanitaires américaines ont reçu l’ordre de cesser immédiatement de collaborer avec l’OMS. Du coup, les équipes américaines qui assistent les pays africains face au virus Marburg et au Mpox cessent aussi leurs activités.
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Conséquence: la décision de Trump de retirer les Etats-Unis de l’OMS aura des répercussions majeures en Afrique. En combinant ce retrait à la suspension de l’Usaid et à l’arrêt des aides publiques au développement, les financements de nombreux programmes seront très fortement réduits et les impacts risquent d’être catastrophiques pour de nombreux pays africains. On craint ainsi une augmentation de la mortalité et de la morbidité dans certains pays africains durement affectés par certaines maladies et épidémies.
Le retrait de l’accord international sur la taxation minimale
L’autre impact économique sur l’Afrique des décisions prises par Trump a trait au retrait des États-Unis de l’accord international sur la taxation minimale des multinationales. En 2021, 140 pays avaient déjà signé cet accord sous l’égide de l’OCDE visant à imposer un impôt minimal de 15% sur les sociétés. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2024 dans l’Union européenne.
Cet accord est un moyen de lutter contre la concurrence fiscale déloyale en garantissant que les grandes entreprises paient leur juste part d’impôts dans les pays où elles opèrent. Cet accord vise ainsi à favoriser une répartition plus équitable des recettes fiscales entre les pays d’origine et les pays d’accueil des multinationales.
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Ce retrait fait craindre des pertes fiscales considérables aux pays africains en raison de l’évasion fiscale qu’il occasionne dans les secteurs extractives. Avec le départ des Américains, les firmes multinationales qui génèrent souvent d’importants bénéfices dans des pays à faible imposition, pourraient continuer à profiter de ce système sans contrainte.
L’Afrique du Sud dans la ligne de mire de la nouvelle équipe américaine
Comme il fallait s’y attendre, c’est l’Afrique du Sud qui a été la cible des premières attaques directes de Trump et de son équipe. Le président américain a accusé dimanche 2 février l’Afrique du Sud d’accaparer des terres et de très mal traiter certains groupes de personnes, faisant allusion aux fermiers blancs sud-africains. Conséquence, Trump annonce qu’il couperait tout financement futur à l’Afrique du Sud dans l’attente d’une enquête.
Cette sortie fait suite à l’adoption, le 23 janvier 2025, par le président sud-africain d’une loi autorisant le gouvernement, dans certaines circonstances, à exproprier des terres pour le bien public, sans aucune compensation. Cette loi qui remplace celle de 1975, datant de l’ère apartheid, permet aux autorités de procéder à des expropriations dans l’intérêt public, notamment pour promouvoir une meilleure inclusion sociale et un accès élargi aux ressources naturelles.
La question foncière est un problème controversé en Afrique du sud, où plus de trois décennies après la fin de l’apartheid, les blancs détiennent plus de 75% des terres agricole alors qu’ils représentent moins de 8% de la population, face 81% de la population sud-africaine noire, qui ne détient que 4% des terres.
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Au-delà, le pays arc-en-ciel risque de payer son fort soutien à la cause palestinienne, connaissant les fortes relations entre le Premier ministre israélien Netanyahu et le président américain.
Ainsi, prétextant une loi sur l’expropriation qu’il juge discriminatoire contre la minorité Afrikaner et de l’accusation de génocide portée par Pretoria contre Israël, le président américain a signé un décret gelant toute aide ou assistance à l’Afrique du Sud.
Selon les experts la présence dans l’équipe de Trump du milliardaire américain Elon Musk, d’origine sud-africaine et qui a grandi dans ce pays au temps de l’apartheid, augure de turbulences dans les relations entre les Etats-Unis et leur premier partenaire commercial en Afrique.
Ainsi, l’Afrique du Sud, qui était déjà dans l’œil du cyclone au temps des démocrates du fait aussi qu’elle n’a jamais condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie et figure parmi les Brics qui souhaitent s’affranchir du dollar américain, est fortement ciblée par la nouvelle équipe dirigeante américaine. D’ailleurs, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, a annoncé qu’il ne se rendra pas au sommet du G20 qui se réunira les 20 et 21 février courant en Afrique du Sud, la taxant d’«anti-américanisme».
En réponse, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a souligné que l’Afrique du Sud «ne se laissera pas intimider», lors de son discours annuel sur l’Etat de la nation.
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Bref, la première salve de décisions prises par Trump va durement toucher les pays africains. Certains seront plus affectés que d’autres. Et de nouvelles décisions ne vont pas tarder à suivre. Beaucoup craignent la fin de l’African growth and opportunity act (Agoa), loi promulguée par les Etats-Unis en 2000 et qui abolit les droits d’importations aux Etats-Unis sur des milliers de produits fabriqués dans les pays d’Afrique subsaharienne, dont le renouvellement est prévu cette année, des restrictions de visa aux citoyens de certains pays comme ce fut le cas lors de son premier mandat et tant d’autres actions qui vont impacter les pays africains.
Malgré les impacts négatifs de ces mesures, de nombreux citoyens africains pensent que les décisions prises par le président américain peuvent constituer une aubaine pour le continent. Pour eux, après plus de 65 ans d’indépendance, l’Afrique ne doit plus continuer à compter sur des aides au développement de cette nature qui n’ont jamais développé un pays.
«Les États-Unis n’ont fait que poser un acte de souveraineté qu’il faut assumer fièrement. Il revient maintenant aux pays bénéficiaires de savoir qu’on ne dort pas fièrement sur la natte d’autrui en ronflant. Nous, en tant que pays de l’AES, nous devons tirer des leçons que Donald Trump vient de donner et que nos trois dirigeants ont toujours soutenus», soutient Ghislain Dabiré, un burkinabè au micro du Le360 Afrique.
«J’accueille avec joie la suspension de l’aide américaine car cela pourrait amener le renforcement de l’économie africaine. L’absence de l’aide américaine obligerait les pays africains à trouver des solutions internes à leurs problèmes, notamment en se focalisant sur la diversification de leurs économies, le développement de l’industrie et l’innovation locale», renchérit Ismaël Sessouma, étudiant burkinabè.
Riche en ressources naturelles, l’Afrique et ses dirigeants, au lieu de continuer à tendre la main, doivent mettre en place des politiques souverainistes à même de les aides à exploiter de manière efficiente leurs ressources et surtout de mettre fin à leur dépendance envers le financement extérieur.
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En effet, après le Covid et la crise ukrainienne, le retour de Trump sonne comme un autre avertissement aux dirigeants africains pour qu’ils prennent enfin conscience des effets néfastes de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et mettre en priorité des politiques intégrationnistes et souverainistes.
Malheureusement, comme c’est souvent le cas, au lieu de compter sur eux-mêmes et leurs importants atouts, ces pays vont chercher à nouer des partenariats avec d’autres pays. Et la nature ayant horreur du vide, le départ américain sera plus ou moins comblé par d’autres pays, et en premier lieu la Chine, engagée sur une voie royale pour devenir la première puissance économique mondiale et qui en aura besoin des matières premières, notamment celles dites stratégiques, du continent.
Pour les Etats-Unis aussi, ces décisions auront des impacts négatifs. Les aides publiques constituent un moyen de pression important des autorités américaines sur les pays en développement, notamment les pays africains. Sans ces aides, il sera plus difficile d’imposer certaines vues américaines à certains pays africains. Ensuite, la glissade de nombreux pays africains vers la Chine, la Russie, la Turquie et d’autres pays des Brics risque de s’accentuer davantage et constituer une perte pour l’Amérique qui a besoin des matières premières de la région. En outre, c’est tout le leadership américain qui prendra un coup à cause de ces agissements. Déjà lors de la guerre Russie-Ukraine, elle a eu du mal à imposer sa voie aux pays africains face à la Russie. Qu’en sera-t-il avec ces décisions impopulaires de Trump au niveau du continent?
Enfin, en ramenant tout leur personnel, notamment celui de l’Usaid et d’autres corps, les Etats-Unis se retrouvent du jour au lendemain sans contacts directs avec les populations des 54 pays africains, perdant ainsi des sources directes de «renseignement» au niveau du continent.
Partant, il est fort probable qu’au termes des trois mois de suspension de l’aide publique au développement que l’aide soit rétablie mais sous une autre manière et sous la tutelle directe du Département d’Etat pour mieux contrôler cette aide.