Enserré dans un imposant dispositif de sécurité, devant quelque 600 participants à ces assises qu’il a nommés lui-même, et des milliers de personnes dans le public, le Président de transition a aussi assuré que ce dialogue rassemblant «toutes les forces vives de la Nation» permettrait de «conduire le pays vers une démocratie et un véritable Etat de droit», «dans la justice sociale».
C’est ce que les militaires avaient déjà promis le 30 août 2023 quand ils ont renversé le régime d’Ali Bongo Ondimba en accusant son entourage d’avoir ouvertement fraudé à la présidentielle quatre jours plus tôt et pillé le pays en détournant massivement l’argent public.
Organisation «unilatérale»
Jusqu’ici, le respect d’un calendrier de deux ans pour rendre le pouvoir aux civils est salué par la communauté internationale et une grande majorité de Gabonais, pour qui le général Oligui, l’ancien chef de la toute puissante Garde républicaine, la garde prétorienne des Bongo père et fils, est un «héros» qui les a sauvés d’un régime «corrompu».
Mais des voix s’élèvent, dans la petite frange de l’ex-opposition qui n’a pas rallié le pouvoir militaire, pour fustiger un dialogue «entre soi» qui ouvrira une voie royale au général vers la présidentielle.
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En cause, d’abord, une organisation «unilatérale» et la part belle, parmi les 580 participants prévus initialement, faite aux militaires et aux cadres des institutions de transition nommées par le chef de l’Etat.
Mardi dans son discours le général Oligui a annoncé qu’il avait augmenté à environ 600 le nombre de participants.
L’armée surreprésentée
Si l’on inclut 104 militaires, plus de 300 sont de facto issus d’administrations et institutions nommées par ou favorables aux autorités de transition. Dans lesquelles ont été maintenus de très nombreux caciques des régimes d’Omar Bongo, président pendant 41 ans, et de son fils Ali (plus de 14 ans).
Le chef de l’Etat a également choisi une parmi quatre personnes proposées par chacun des 104 partis légalement reconnus, dont une immense majorité lui a fait allégeance.
Restent donc 217 représentants de la société civile (patronat, syndicats, retraités, jeunes, handicapés, ONG, cultes...), tous également nommés par décret du président mais pas forcément tous dans son camp.
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Cette procédure de désignation «n’est pas respectueuse de la démocratie», s’insurge Anges Kevin Nzigou, un virulent opposant aux régimes Bongo et Oligui, secrétaire exécutif du Parti pour le changement (PLC), pour qui le pouvoir militaire « émontre sa volonté de contrôler de bout en bout le débat».
«Organiser un dialogue et choisir qui vient, c’est un peu comme avoir défini ce qui va être dit», renchérit Guy Pambo Mihindou, chercheur en sciences politiques à l’université de Libreville.
38.000 contributions
Le pouvoir avait sollicité la participation de «tous les Gabonais» en ouvrant des guichets de doléances dans les villages les plus reculés et une plateforme digitale dédiée. Plus de 38.000 contributions ont été recueillies parmi les quelque 2 millions d’habitants, a affirmé le gouvernement.
Moricka Baghouli, une étudiante de 26 ans, a manqué une journée de cours pour embarquer à l’aube dans un bus affrété par les organisateurs pour la cérémonie d’ouverture au Palais omnisports du centre de Libreville afin d’«entendre de la bouche du président ce qu’il prépare pour l’avenir du pays», explique-t-elle à l’AFP en engloutissant un sandwich distribué a l’entrée par des volontaires.
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«J’ose espérer que tout le monde pourra s’exprimer sur les réalités du pays, sur le chômage il faut faire plus», lâche, un peu plus circonspecte, Edwige Agoumba, qui travaille dans une petite boutique de restauration dans un lycée.
Une autre critique se faisait lancinante depuis 15 jours: le dialogue national n’étant pas «souverain», ses résolutions ne seront pas contraignantes, estiment ses détracteurs, notamment pour la nouvelle Constitution qui sera élaborée par les députés et sénateurs nommés par le général Oligui et censée être soumise à référendum fin 2024.
Enfin, les griefs se concentrent sur l’avenir du chef de l’Etat: la charte de transition édictée après le putsch interdit la présidentielle de 2025 à tous les cadres des institutions de transition, à l’exception... du président Oligui.
Un DNI «phagocyté» par les thuriféraires du régime militaire ne remettra pas en cause cette disposition, estiment l’opposition et les médias non gouvernementaux.