Alors que le Cameroun s’apprête à vivre une élection présidentielle historique ce dimanche 12 octobre, avec à sa tête un président sortant de 92 ans, Paul Biya, candidat à un huitième mandat après 43 ans au pouvoir, la diaspora camerounaise de Libreville, la plus importante d’Afrique centrale, vit le scrutin avec un mélange d’espoir fébrile et de lassitude profonde.
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Sur les quelque 40.000 Camerounais établis au Gabon, nombreux sont ceux qui comptent se rendre aux urnes. Leurs voix portent les attentes, les craintes et les divisions d’un pays à la croisée des chemins.
À Atong Abè, un quartier animé de Libreville, Cylino Nana, commerçant, n’a pas mâché ses mots. Depuis sept ans, il a rejoint son père, un homme d’affaires installé depuis 25 ans au Gabon, et résume le sentiment d’une génération qui n’a connu qu’un seul dirigeant. «Il faudrait que le futur président améliore les conditions de vie des Camerounais. Plus 43 ans de pouvoir pour le régime actuel c’est trop. À un moment donné, il faut penser à passer la main», affirme-t-il. Cette lassitude trouve un écho dans un contexte où l’opposition tente, non sans difficultés, de se rassembler face au parti au pouvoir .
Cette aspiration au changement, Thierry Gaël, un informaticien, la porte avec la déception de ceux à qui les promesses n’ont pas été tenues. «L’actuel président avait dit : nous sommes le fer de lance de la nation mais 43 ans après, rien n’est fait pour la jeunesse. Il faudrait que le prochain président y pense», lance-t-il. Sa détermination à voter pour l’alternance dimanche est le reflet d’une campagne où les candidats de l’opposition ont multiplié les promesses pour séduire cet électorat jeune, qui représente environ 60% de la population.
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Pourtant, tous ne partagent pas cette foi dans les urnes. Plus radicale dans sa position, Marina Clarisse, gérante d’une librairie près de l’ancienne gare routière de Libreville, a choisi de se tenir à l’écart de ce qu’elle considère comme une mascarade. «J’ai décidé, de ma vie, de ne voter pour personne. Car le vote ne sert à rien», déclare-t-elle, sans ambages.
Ce sentiment de défiance n’est pas isolé et s’inscrit dans un contexte plus large de doutes sur la transparence du processus électoral, l’opposition ayant pointé du doigt des dysfonctionnements au sein de l’organe électoral, Élections Cameroon (ELECAM) .
Mais la diaspora camerounaise ne compte pas que des voix critiques. Pour certains, la stabilité prime sur l’incertitude du changement. La preuve avec Ibrahim, taximan, pour qui la figure du président sortant reste indétrônable. «Ce dimanche, je vais voter pour Paul Biya parce qu’en face de lui, il n’y a pas d’adversaires», estime-t-il. Cette perception d’une opposition divisée— malgré les récents ralliements de certains candidats comme Akere Muna derrière Bello Bouba Maigari— semble conforter certains électeurs dans leur choix de la continuité .
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Enfin, il y a ceux pour qui ce scrutin est avant tout porteur d’un espoir très concret, celui de pouvoir un jour travailler et vivre décemment dans leur propre pays. Mohammed Bachir, titulaire d’un master 2 en économie et d’une licence en gestion des entreprises, incarne le drame de l’exil économique. Retrouvé dans une station de lavage de voitures du centre-ville de Libreville, où il cumule les emplois à temps partiel pour subsister, il confie «on aimerait travailler dans notre pays. Avoir des opportunités que d’autres pays comme le Gabon nous offrent.» Son témoignage rappelle les défis économiques et sociaux— chômage des jeunes, corruption— qui poussent de nombreux Camerounais à l’étranger et qui sont au cœur des promesses des candidats.
Entre un désir de changement porté par une jeunesse désireuse d’alternance et un attachement à la stabilité, la diaspora, comme le pays tout entier, semble partagée. Reste à savoir si les urnes apporteront une réponse à ces attentes ou si elles marqueront le début d’un nouveau chapitre pour un Cameroun en quête d’un avenir meilleur.