Gouvernance migratoire: face au repli souverainiste, comment le Maroc incarne l’alternative de la solidarité par l’action

À l'ONU, le Maroc promeut une gouvernance migratoire par le co-développement face au durcissement des pays du Nord

Le 28/09/2025 à 15h39

Alors que les pays du Nord et une partie du continent, durcissent leur discours, le Maroc, en s’appuyant sur un réseau de partenaires africains et sur les instruments de l’ONU, orchestre une stratégie de long terme qui fait du co-développement la clé de voûte de la stabilité régionale en matière de gouvernance migratoire.

Les récentes déclarations et initiatives dévoilées en marge de la 80ème Assemblée générale des Nations unies (AGNU) à New York dessinent une cartographie clivée de la gouvernance migratoire mondiale. D’un côté, les États-Unis, par la voix du secrétaire d’État adjoint Christopher Landau, assènent un diagnostic sévère sur un système d’asile jugé dépassé et détourné, plaçant la souveraineté nationale comme rempart absolu.

L’annulation du programme japonais «Africa Hometown», victime de désinformation et de sentiment anti-immigration, illustre la sensibilité politique extrême du sujet et la facilité avec laquelle les initiatives de coopération peuvent être compromises.

Même sur le continent africain, un certain nombre de pays adoptent des approches sécuritaires et des politiques restrictives dans la gouvernance de la migration, sous une pression croissante notamment européenne pour contrôler les flux migratoires. C’est le cas pour la Mauritanie, qui a durci sa politique en 2025 sous la pression européenne et mène des opérations policières pour freiner les filières d’émigration irrégulière, notamment depuis son port de Nouadhibou considéré comme un point clé du départ des migrants africains vers l’Europe. L’Algérie a, elle aussi, intensifié ses mesures de contrôle et de surveillance aux frontières terrestres depuis 2020. On peut aussi citer la Tunisie.

Un contexte global qui rend d’autant plus remarquable la position proactive du Maroc, qui propose non pas un repli, mais une refondation de la gouvernance migratoire par le biais du développement et de la coopération structurelle.

Ainsi, le Maroc, soutenu par des partenaires africains et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), promeut une approche fondée sur la coopération Sud-Sud, le développement régional et l’inclusion, incarnée par des initiatives concrètes comme celle de l’Afrique Atlantique. Un contraste qui révèle des philosophies antagonistes avec des implications profondes pour la stabilité et le développement économique.

Le cri d’alarme américain: souveraineté et lutte contre les «abus»

L’intervention musclée lors du panel «Le système mondial des réfugiés et de l’asile: ce qui n’a pas fonctionné et comment y remédier», ne laisse place à aucune ambiguïté. Le système international d’asile est présenté comme une «énorme faille» dans les lois migratoires nationales, massivement «détourné» par des migrants économiques, selon lui. Sa rhétorique, martelant la souveraineté et le contrôle des frontières comme élément de quintessence de l’État-nation, rejette toute idée de droit à l’immigration ou à l’asile dans un pays de son choix.

Ses cinq principes clés – contrôle souverain des frontières, absence de droit à l’immigration/à choisir son pays d’asile, caractère temporaire du statut de réfugié, primauté des États dans l’évaluation des retours, obligation de réadmettre ses nationaux – forment un plaidoyer pour un resserrement drastique. L’argument économique sous-jacent est limpide. Le système actuel, en permettant à des centaines de milliers de personnes de rester légalement pendant des années malgré des demandes d’asile jugées irrecevables dans plus de «90% des cas», crée selon lui des distorsions sur le marché du travail et un fardeau administratif et financier insoutenable.

Le message est un avertissement: sans réforme urgente pour décourager les abus, les pays pourraient simplement abandonner le système d’asile. Cette posture unilatérale, bien qu’évoquant un problème réel (le mélange des flux), risque cependant de marginaliser les besoins de protection légitime et d’ignorer les causes structurelles des migrations.

Ainsi, le discours de Christopher Landau au Département d’État américain dresse un constat sans ambages: le système d’asile international est «sujet à des abus» massifs, devenant une «énorme faille» dans les lois migratoires. En soulignant que «chaque nation a le droit de contrôler ses propres frontières» et qu’«il n’existe aucun droit d’immigrer ou de recevoir l’asile dans le pays de son choix», il réaffirme le primat de la souveraineté nationale face à des flux migratoires perçus comme incontrôlés.

Le modèle marocain: connectivité, co-développement et inclusion comme leviers

Face à cette vision restrictive, le Maroc, sous l’impulsion de la vision du roi Mohammed VI, présente une approche diamétralement opposée, fondée sur la proactivité, la coopération et la recherche de solutions structurelles. Le ministre Nasser Bourita souligne le rôle du Royaume comme «acteur agissant et proactif» dans la résolution des problématiques mondiales, dont la migration.

L’engagement marocain se décline en plusieurs axes stratégiques convergents. Le premier est l’Initiative royale pour l’Afrique Atlantique, une réponse structurelle au Sahel. Cette initiative, qualifiée par Bourita d’ayant ouvert «de nouvelles perspectives de développement dans la région du Sahel», passe désormais «de l’étape de l’élaboration à celle de l’opérationnalisation».

En facilitant l’accès des pays enclavés du Sahel (via la Confédération de l’Alliance des États du Sahel) aux ports atlantiques marocains, elle vise à transformer radicalement le paradigme économique régional. Grâce à cette initiative, il existe désormais un changement de paradigme qui appréhende le Sahel, non plus comme un fardeau ou une source de problèmes, mais comme une terre d’opportunités. Cette connectivité physique est un levier puissant pour réduire les fragilités économiques, causes majeures des migrations irrégulières et de l’instabilité.

Les réunions prévues avec la Mauritanie sur la sécurité maritime, le Cameroun en lien avec l’environnement et le Bénin pour une prochaine réunion ministérielle illustrent l’ancrage concret et la volonté d’en faire «un espace de coopération effective».

Deuxième axe sur lequel se décline l’engagement marocain: la coopération Sud-Sud et triangulaire, avec le partenariat comme fondement. La signature d’un accord entre l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI) et le Bureau des Nations unies pour la coopération Sud-Sud (UNOSSC) est emblématique. Cet accord vise à consolider la coopération Sud-Sud et triangulaire, notamment avec les pays africains, à travers le renforcement des partenariats stratégiques, des cadres institutionnels et des capacités dans le cadre du Fonds des Nations unies. Il s’agit d’institutionnaliser un modèle de développement fondé sur la solidarité, la co-construction, le partage d’expériences et l’apprentissage mutuel, directement opposé à l’unilatéralisme prôné par les États-Unis.

Les rencontres de Bourita avec ses homologues du Sénégal Cheikh Niang, du Ghana Samuel Okudzeto Ablakwa, du Pakistan et de Turquie renforcent ce réseau de partenariats Sud-Sud diversifié.

Troisième axe: le sport et l’inclusion. Une autre approche qu’on peut qualifier de «nouvelle grammaire de la gouvernance migratoire». L’événement co-organisé avec l’OIM sur «le sport comme outil d’inclusion sociale et de gouvernance migratoire» représente une innovation conceptuelle majeure. Il met en lumière une approche positive, visant la cohésion sociale, la lutte contre la stigmatisation et la promotion des valeurs universelles. Le ministre sénégalais Cheikh Niang a salué sans équivoque le leadership marocain dans ce domaine. «Le Maroc joue un rôle de premier plan dans la promotion du sport en tant qu’outil de gouvernance migratoire», souligne le ministre. Il qualifie la démarche marocaine d’«exemplaire» et souligne que le Royaume s’impose aujourd’hui en tant que modèle pour son «attachement à la promotion du sport, mais aussi au respect de la dignité des migrants», une approche saluée par plusieurs pays membres de l’ONU.

Le quatrième axe sur lequel se décline l’engagement du Maroc est la connectivité africaine comme condition sine qua non de l’intégration et du développement. Le side event organisé par le Maroc sur «la connectivité africaine: la voie pour l’intégration du continent» permet de replacer la thématique de la connectivité africaine au centre des discussions multilatérales, et de contribuer au plaidoyer international pour une Afrique résiliente et prospère.

Lors de l’événement, Bourita a rappelé avec force le lien indissoluble entre infrastructures, développement et migration: «En l’absence de réseaux routiers numériques, de ports et autres infrastructures, alors nous ne pouvons pas avoir de zone de libre-échange continentale et nous ne pouvons pas avoir de développement sur le continent». Le déficit financier colossal – 170 milliards de dollars – souligne l’urgence d’une mobilisation internationale, dont les initiatives comme celle de l’Afrique Atlantique sont des réponses partielles mais essentielles.

Un monde à deux vitesses?

Cette dualité de visions et d’actions a des répercussions majeures pour tous les acteurs. Pour les États-Unis, leur posture risque de les isoler sur la scène multilatérale migratoire et de fragiliser davantage un système de protection international déjà en crise. Elle pourrait aussi entraver la recherche de solutions globales aux causes des migrations, perpétuant ainsi les pressions à leurs frontières. L’accent exclusif sur la souveraineté et le contrôle ignore les dynamiques économiques mondiales interconnectées qui génèrent les flux migratoires.

Pour le Maroc, ces actions consolident son statut de leader continental et de pont entre l’Afrique et le reste du monde. Elles transforment son soft power en un impact tangible sur les politiques de développement et de sécurité. L’approche proactive fondée sur la coopération Sud-Sud, le développement régional (Initiative Atlantique, connectivité) et l’inclusion (sport) renforce son leadership continental et lui offre une plateforme pour promouvoir des solutions africaines aux défis africains. L’approche positionne le Maroc comme un pont et un hub incontournable, notamment via l’opérationnalisation de l’Initiative Atlantique avec les pays du Sahel et les États côtiers. L’appui de l’OIM et de l’UNOSSC (via l’accord AMCI) légitime et renforce cette voie. L’enjeu est désormais la concrétisation rapide et efficace de ces initiatives ambitieuses (financements, mise en œuvre technique) pour démontrer leur impact tangible sur le développement et la réduction des migrations forcées.

Pour l’OIM et l’ONU, le partenariat avec le Maroc offre une voie pragmatique pour concrétiser leurs agendas sur la migration et le développement. L’approche marocaine, combinant infrastructure, sécurité et inclusion sociale, fournit un modèle opérationnel. Le partenariat étroit de l’OIM avec le Maroc montre son alignement sur l’approche du co-développement et de l’inclusion. Ce qui positionne le Maroc comme un acteur clé de la mise en œuvre des alternatives au tout-sécuritaire prôné par certains. Sa crédibilité dépendra de sa capacité à faciliter ces initiatives concrètes et à maintenir un dialogue avec toutes les parties, y compris les États-Unis.

Face au discours défensif illustré par les États-Unis, le modèle porté par le Maroc propose une réponse proactive aux causes profondes des migrations: le manque de développement, de connectivité et d’opportunités.

En créant des opportunités économiques et en améliorant les échanges, l’approche marocaine vise directement les racines de l’instabilité et des migrations irrégulières. Le succès de chacune des initiatives mentionnées serait un puissant vecteur de croissance partagée et de stabilité pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, avec des retombées positives potentielles sur les marchés et les investissements. À l’inverse, le durcissement unilatéral des politiques migratoires dans le Nord pourrait exacerber les difficultés économiques locales et les tensions.

En définitive, ce qui se dessine est l’émergence d’une gouvernance migratoire africaine repensée, où la sécurisation des voies de communication et la création de richesses deviennent les piliers d’une gestion durable des flux humains. La réussite de cette approche dépendra de la capacité du Royaume à maintenir la cohésion entre les pays partenaires et à attirer les investissements nécessaires pour transformer les visions en réalités économiques partagées.

Ainsi, les récents événements de New York ont mis en lumière une fracture fondamentale. D’un côté, une approche défensive, souverainiste et répressive de la migration, incarnée par les États-Unis, qui voit dans le système d’asile une faille à colmater. De l’autre, une vision offensive, solidaire et proactive, portée par le Maroc et ses partenaires africains avec l’appui d’organismes comme l’OIM et l’UNOSSC, qui investit dans le développement, la connectivité, la coopération Sud-Sud et l’inclusion comme seules réponses durables.

L’opérationnalisation de l’Initiative royale pour l’Afrique Atlantique et le renforcement des partenariats concrets en coopération Sud-Sud constituent désormais des tests cruciaux. Leur capacité à démontrer des résultats économiques et sécuritaires tangibles dans le Sahel et le corridor atlantique sera le meilleur argument face au repli souverainiste et le plus sûr chemin vers une gouvernance migratoire réellement efficace et humaine. Le défi est immense, mais l’alternative – un durcissement généralisé des frontières – n’offre, elle, aucune perspective de solution.

Souverainisme vs Solidarité: l’approche marocaine de la gouvernance migratoire par l’action

AspectsApproche souverainiste (États-Unis/Alliés)Modèle Marocain (Solidarité par l’action)
PhilosophieRepli défensif, souveraineté nationale absolueCo-développement, coopération Sud-Sud et inclusion
Stratégies clés- Contrôle strict des frontières.
- Restrictions migratoires.
- Criminalisation des « abus » du système d’asile.
- Initiative Atlantique (connectivité Sahel-Atlantique).
- Partenariats institutionnels (OIM, UNOSSC).
- Inclusion via le sport et le développement.
Initiatives emblématiquesAnnulation de programmes (ex: « Africa Hometown » du Japon)- Accord AMCI-UNOSSC.
- Événement « Sport et inclusion » avec l’OIM.
- Side event « Connectivité africaine » à l’ONU.
Discours dominantMigration perçue comme menace économique et sécuritaireMigration gérée via stabilité régionale et opportunités économiques
PartenairesApproche unilatérale ou sous pression (ex: Europe → Mauritanie/Tunisie)Réseau africain (Sahel, Sénégal, Ghana, Côte d’Ivoire, etc.) et ONU (OIM, UNOSSC)
Impact potentielRisque d’isolement, aggravation des crises migratoiresLeadership continental, stabilité régionale, modèle de gouvernance inclusive
Par Modeste Kouamé
Le 28/09/2025 à 15h39