L’anecdote, archi-connue, remonte à 2006: l’homme politique avait raconté publiquement avoir eu un rapport non-protégé avec une femme séropositive, estimant avoir «minimisé» le risque de transmission en prenant une douche juste après.
Depuis, Zapiro, 65 ans, dessine systématiquement Zuma un pommeau perché au-dessus de la tête, irritant sans fin l’ex-président qui l’a assigné en justice à plusieurs reprises.
La caricature de presse se porte bien en Afrique du Sud, trente ans après l’avènement de la démocratie. Après des décennies de censure sous l’apartheid, la liberté se savoure.
«Zuma nous offre une matière en or, la période est dense», confirme Nathi Ngubane, 34 ans, né un mois après la sortie de prison de Nelson Mandela.
Ses parents, d’origine zouloue comme M. Zuma, étaient choqués initialement qu’il manque autant de respect, dans ses dessins, à ses aînés. «Je le fais parce que je peux le faire», dit-il, triomphant.
Être caricaturiste implique d’«être courageux», y compris en dépassant cet interdit culturel. Et «un aîné qui commet des crimes, qui trempe dans la corruption, doit s’attendre à faire l’objet d’un examen minutieux».
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«J’ai tous les droits en tant que Sud-Africain qui vit en démocratie, (le droit) de critiquer ceux qui se comportent mal», dit-il calmement, dessinant Zuma en tenue traditionnelle zouloue, une lance à la main, sur laquelle est embroché l’actuel président Cyril Ramaphosa.
M. Zuma, suspendu en janvier de l’ANC au pouvoir, fait campagne au nom d’un petit parti radical récemment créé, baptisé Umkhonto We Sizwe (MK).
Le 29 mai, l’ANC risque, pour la première fois de son histoire, de perdre sa majorité parlementaire, l’obligeant sans doute à former un gouvernement de coalition. Jamais un scrutin n’a été aussi contesté depuis la fin de l’apartheid.
«Dissonance»
Dans son atelier ensoleillé du Cap, son chien Capitaine Haddock couché sous le bureau, Zapiro, de son vrai nom Jonathan Shapiro, cogite et jubile. Concentré sur son «cerveau gauche».
«Je ne pars jamais directement sur une blague ou un dessin. Je commence par m’interroger sur ma réaction aux dernières nouvelles».
Récemment il a dessiné pour le Daily Maverick, journal en ligne, de multiples bulles illustrant des épisodes de la campagne. Il s’y représente, se demandant si l’intelligence artificielle menace son métier.
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A l’évidence non. «L’IA ne comprend rien à l’ironie», dit Zapiro, front dégarni, regard vert et barbichette soignée. Et la réalité politique en Afrique du Sud dépasse de loin toute fiction.
Il cite Zuma qui fait cavalier seul car devenu «trop corrompu même pour l’ANC» ou encore le président Ramaphosa qui se retrouve dans le noir en plein discours sur les progrès... en fourniture d’électricité.
Zapiro conserve les figures de Mandela et Desmond Tutu, côte à côte, pour incarner dans ses bulles la conscience morale du pays, lors d’événements tragiques comme les violences xénophobes de 2008.
Il peine avec Ramaphosa, arrivé au pouvoir sur des promesses largement non-tenues de lutte contre la corruption, qu’il qualifie du «président le plus réticent que nous ayons eu». «Je le croque sans colonne vertébrale ou en faux super héros», dit-il.
«Il ne faut pas laisser les politiciens nous baratiner et les faire tomber de leurs piédestaux», dit-il pour résumer la mission des caricaturistes. Et «encourager le sens critique».
«Je ne manquerai jamais de matière dans ce pays. Plein d’histoires font surface, certaines déroutantes. Nous avons des politiciens insensés», dit-il.
Réjouissant pour l’artiste, moins pour le citoyen qui avoue ressentir parfois une «dissonance», tant le pays «chancelant» va mal. «Les cinq prochaines années vont être effrayantes. Si l’on coule encore plus profond, ce pays», qui fonctionne plus ou moins, «pourrait disparaître».