Bola Ahmed Tinubu, candidat du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC), a été déclaré, le mercredi 1er mars, président du Nigeria à l’issue des élections présidentielle les plus disputées de l’histoire démocratique du Nigeria, face à ses deux principaux concurrents: Atiku Abubakar et Peter Obi. Malgré les contestations de l’opposition, le nouveau président élu, adoubé par les Etats-Unis et l’Union africaine, est certain de succéder au président sortant Buhari.
A 70 ans, cet ancien gouverneur de Lagos, surnommé « Le parrain », « Faiseur de rois » ou encore « Le boss » pour son influence considérable, aura la tâche lourde pour relever les nombreux défis auxquels fait face le Nigeria, première puissance démographique africaine avec plus de 220 millions d’habitants et première économie africaine en terme de PIB.
Seulement, cette puissance africaine souffre de nombreux maux: insécurité, corruption, pénuries, déficits…contre lesquels des solutions sont attendues.
Lutte contre la corruption
La lutte contre la corruption figure parmi les priorités de tout président nigérian tant le pays est gangrené par ce fléau qui freine son développement. Et la corruption au Nigeria se pratique à toutes les échelles du pouvoir. Le président actuel en avait fait une de ses priorités, sans toutefois arriver à vraiment combattre l’hydre qui plombe le développement du pays, touchant particulièrement le secteur stratégique du pétrole.
Pour preuve, le Nigeria s’est classé 154e mondial sur 180 dans le classement de Transparency International (2021) relatif à la corruption dans le monde.
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En 2017, selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNDOC), les Nigérians considèrent la corruption comme le troisième problème le plus important auquel leur pays est confronté, après le coût de la vie et le chômage.
Ainsi, le nouveau président élu sera très scruté dans sa lutte contre la corruption. Lui-même étant accusé, et à maintes reprises, sans qu’aucune preuve ne soit présentée, de corruption, y compris par les Etats-Unis. Sa réussite au niveau économique dépendra beaucoup de son succès dans la lutte contre la corruption.
Pénuries tous azimuts
Au Nigeria, les pénuries sont légion et concernent de nombreux domaines. Ce sont le manque de billets de banque et la pénurie de carburants qui ont le plus affecté le pays durant les dernières semaines de la campagne. Pour ce qui concerne les pénuries de billets de banque, qui résulte du changement rapide des anciennes coupures, la Cour suprême vient d’aider le nouveau président élu en prolongeant la validé des anciens billets, invalidant une directive du gouvernement à l’origine de grave pénurie d’argent liquide.
Selon la Cour suprême, le fait de rendre illégaux, à partir de février, les anciens billets de naira a été fait sans consultation. La plus haute juridiction a prolongé les anciennes coupures de naira jusqu’au 31 décembre 2023. Une aubaine pour Tinubu qui n’aura donc pas à faire face au mécontentement de la population sur ce point.
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La seconde pénurie touche les carburants. Le Nigeria a beau être le premier producteur de pétrole du continent, il n’en demeure pas moins que le pays importe jusqu’à présent, la quasi-totalité de ses besoins en carburants (essence, diésel, fioul…). Cette pénurie, due aux problèmes liés à l’importation, a entrainé une flambée du prix des carburants, pourtant subventionné, et une hausse des prix des transports.
La Fin des subventions: un dossier complexe
C’est l’une des promesses électorales du président élu du Nigeria. C’est certainement l’un des défis majeurs auquel il se frottera. En effet, c’est l’une des patate chaude que lui laisse le président Buhari qui avait tenté en vain d’éliminer les subventions sur les carburants.
Les Nigérians bénéficient de subventions sur les carburants depuis les années 1970. Et ils ne comptent pas abandonner ce privilège. Seulement, le Nigeria importe la quasi-totalité de ses carburants. El les subventions coûtent chères au budget de l’Etat. Chaque année, ces subventions coûtent plus de 6.000 milliards de Nairas (monnaie locale), soit 13,5 milliards de dollars. Une charge qui pèse lourdement sur un budget de l’Etat et réduit ses marges de manœuvre.
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Seulement, jusqu’à présent, tous ceux qui ont tenté d’y mettre fin ont lamentablement échoué à cause de manifestations violentes de la population. Tinubu pourra bénéficier de l’impact de l’inauguration de la raffinerie du milliardaire Dangote, prévue durant le premier semestre de cette année, et qui devrait mettre fin aux importations, pourrait réduire le coût des carburants et réduire la facture de la subvention. Toutefois, la promesse électorale d’éliminer totalement les subventions s’avère un exercice à risque.
L’insécurité: faire face Boko Haram et le grand banditisme
La lutte contre le terrorisme et l’insécurité figurent parmi les priorités du nouveau président. Logique quand on sait que le Nigeria est traversé par une crise sécuritaire depuis de nombreuses années. Outre l’incapacité des dirigeants qui se sont succédés au cours de ces dernières années à venir à bout de la nébuleuse Boko Haram, le grand banditisme s’est greffé au djihadisme entrainant la perte de contrôle de certaines régions du pays. Une situation qui a entrainé le déplacement de nombreux citoyens dans les régions les plus touchées et affecte le développement économique du pays.
Dans ce contexte, le nouveau président est très attendu sur ces deux dossiers: l’élimination des groupes djihadistes Boko Haram et surtout Iswap, groupe affilié à l’Etat islamique (EI) et la lutte sans merci contre le grand banditisme. La secte Boko Haram qui a vu le jour en 2002, aurait fait plus de 40.000 morts et plus de 2 millions de déplacés, selon l’ONU.
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A ces deux groupes se sont greffés, dans le nord-ouest et le centre, des gangs criminels qui prospèrent dans les zones rurales, attaquant les villageois et pratiquant des rapts de masse contre rançon. Ainsi, face à ces enlèvements, plus de 11.000 écoles sont fermés entrainant la descolarisation de 18,5 millions enfants dont 60% de filles, selon l’Unicef.
Relancer l’économie et lutter contre le chômage et la pauvreté
Avec plus de 220 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique. Seulement, près d’un Nigérian sur deux vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage est très élevé alors que la croissance reste faible pour absorber un nombre croissant de demandeur d’emplois. Le taux de chômage a atteint un sommet historique de 33% de la population active en février 2021. Et depuis, la situation ne cesse de se dégrader à cause de la crise économique que traverse le pays.
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Ainsi, Tinubu qui se targue d’être à l’origine de la dynamique de Lagos lors qu’il dirigeait la métropole nigériane de plus de 20 millions d’habitants aura cette fois-ci la lourde tâche d’insuffler une nouvelle dynamique à l’économie nigériane. La première économie africaine dispose des atouts considérables (marché intérieur important de 220 millions d’habitants, réserves importante de pétrole et gaz, terres cultivables abondantes et bien arrosées, une jeunesse dynamique….). Toutefois, à cause des politiques économiques inadéquates, et particulièrement le fait d’avoir reposé l’économie nigériane sur la rente pétrolière, la corruption et surtout le déficit en électricité constituent des handicaps dont l’économie nigériane a du mal à surmonter.
L’inflation: le pouvoir d’achat en berne
L’inflation a été toujours élevée au Nigeria. Avant même la crise ukrainienne, l’inflation était à deux chiffres. Et les retombées de cette guerre ont fait flamber les prix des produits, notamment alimentaires et des carburants. En janvier dernier, l’inflation alimentaire s’est établie à 24,3%.
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En plus de l’impact de la flambée des prix, notamment des produits alimentaires et des carburants sur le marché international, la hausse des prix au Nigeria est le fait de la dépréciation du naira face au dollar. La monnaie nigériane a perdu 191% de sa valeur vis-à-vis du billet vert depuis mars 2013. Une situation qui se traduit par le renchérissement des produits importés, notamment des carburants, ce qui se répercute gravement sur le pouvoir d’achat de la population. La situation est telle que pour de nombreux opérateurs économiques nigérians, le franc CFA des pays de l’Union économique et monétaire ouest africain (Uemoa), beaucoup plus stable, du fait de son arrimage sur l’euro, est devenu leur monnaie de refuge.