Première puissance économique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et acteur majeur de sa sous-région, la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus dynamiques du continent africain. Malgré les violences politico-militaires qui ont ravagé le pays pendant au cours de l’avant-dernière décennie, le pays a su se relever et repris sa marche vers le développement. Les rapports sur la croissance économique du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale sont là pour le prouver.
La Côte d’Ivoire est une véritable terre d’opportunités, pour les populations locales comme pour les communautés étrangères installées dans le pays et qui comptent pas mal de success stories. La scène culturelle est également l’une des plus dynamiques de l’Afrique francophone, Abidjan étant une plaque tournante, un tremplin pour mesurer la popularité d’un artiste, même ceux venant d’autres pays et d’autres régions du continent. Et les concerts, les festivals, de musique, d’art, etc. ne se comptent plus.
La Sainte Trinité
Mais s’il est un domaine, pourtant tellement important, où la Côte d’Ivoire semble faire du surplace, c’est la politique. Depuis plus de deux décennies, les Ivoiriens sont habitués aux mêmes visages, qui se disputent le fauteuil présidentiel. A commencer par Henri Konan Bédié, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), chassé du pouvoir en décembre 1999 suite à un coup d’Etat, alors qu’il dirigeait le pays depuis le 7 décembre 1993, date du décès du père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny. Depuis lors, sa suprématie à la tête du PDCI ne souffre d’aucune contestation.
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Vient ensuite Laurent Gbagbo. Opposant historique à Houphouët-Boigny, le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI) a été élu président de la République le 26 octobre 2000, face à feu le général Robert Gueï, qui avait fait tomber Bédié l’année d’avant. Il occupera cette fonction jusqu’en avril 2011, lorsqu’il est arrêté par les forces d’Alassane Ouattara, puis incarcéré à la Cour pénale internationale (CPI). Le mandat de Gbagbo est marqué par une crise politico-militaire qui dure de septembre 2002 à mars 2007, puis une autre de fin novembre 2010 à mai 2011 qui a fait plus de 3.000 morts officiellement.
Aquitté par la CPI en mars 2021, Gbagbo rentre en Côte d’Ivoire le 17 juin suivant. Puis en octobre de la même année, plutôt que de se lancer dans une lutte épuisante pour reprendre la tête du FPI dirigé par Pascal Affi N’Guessan, il fonde le Parti des peuples africains (PPA-CI) en vue de la présidentielle
La troisième figure est Alassane Ouattara, président de la République depuis mai 2011. Notons qu’il avait été désigné vainqueur de la présidentielle fin novembre 2010, mais son rival Gbagbo refusait de quitter le pouvoir. Ensuite, réélu pour un second mandat en 2015, il a également remporté la présidentielle du 31 octobre 2020. Il effectue actuellement son 3e mandat à la tête du pays, qualifié par son parti, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), de 1er mandat de la IIIe République, issue de la Constitution adoptée en 2016. En effet, la loi fondamentale ivoirienne prévoit un maximum de deux mandats.
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On prend les mêmes et on recommence
C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes, dit le proverbe. Et dans la politique ivoirienne, c’est carrément un dogme. Les trois leaders cités plus haut font la pluie et le beau temps. Malgré leur âge avancé – 88 ans pour Bédié, 80 ans pour Ouattara et 77 ans pour Gbagbo – leurs partisans ne jurent que par eux, et ce, malgré la présence au sein de leurs partis de cadres plus jeunes, plus dynamiques et avec une popularité certaine auprès des populations. Citons par exemple, au PDCI, Jean-Louis Billon, 57 ans, et Tidjiane Thiam, 60 ans. Vous l’aurez compris, en politique africaine, l’âge est relatif.
Le premier, ex-PDG de SIFCA, plus grand groupe privé en Côte d’Ivoire, et l’une des personnes les plus riches du pays, a rejoint le parti historique en 2017. Déjà, en 2020, il a présenté sa candidature à l’investiture du PDCI à l’élection présidentielle, avant de renoncer et se résigner à apporter son soutien à Bédié. Mais cela n’a pas freiné ses ambitions: l’ancien ministre du Commerce (2012-2016) a annoncé en octobre 2021 sa candidature à l’élection présidentielle prévue pour 2025. En attendant un nouveau désistement?
Quant à Thiam, son CV kilométrique parle pour lui, mais nous ne citerons que quelques-unes des fonctions qu’il a occupées: président du Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD), ministre du Plan et du développement (1998-1999), premier Ivoirien à réussir le concours d’entrée à l’École polytechnique, patron de l’assureur britannique Prudential et du Crédit Suisse, PCA du Rwanda Finance Limited, membre du conseil d’administration du géant du luxe Kering… Après plus de 20 ans à l’étranger, il est rentré en Côte d’Ivoire le 8 août dernier, séjour au cours duquel il s’est exprimé pour la première fois sur son appartenance au PDCI.
La bataille des «papas»
Malgré ces deux têtes bien faites à la popularité reconnue, comme sûrement bien d’autres au sein du PDCI, on imagine difficilement Henri Konan Bédié laisser un autre candidat briguer en 2025 le fauteuil présidentiel qu’on lui a arraché «injustement» en 1999. Qui plus est, lors du 14e bureau politique du PDCI, le 29 septembre dernier à Daoukro, les cadres du parti ont réclamé une candidature unique de l’ex-président ivoirien à la tête du parti en vue de la prochaine présidentielle. Mais cette décision est déjà contestée par une frange de la jeunesse du parti. Le vent du changement n’est peut-être pas loin.
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Du côté du PPA-CI aussi, on prend les mêmes et on recommence. «Pour l’élection présidentielle de 2025, notre candidat naturel c’est Laurent Gbagbo», a déclaré Damana Adia Médard dit Pikass, secrétaire général du PPA-CI, le 17 octobre lors d’une session extraordinaire du secrétariat général du parti. Il a expliqué ce choix par le fait qu’«il n’y pas d’alternative à Laurent Gbagbo». Comme Bédié, Gbagbo ne s’est pas prononcé. Mais, c’est connu, il n’y pas de fumée sans feu…
A ce niveau, on est en droit de se demander «c’est quoi la suite?», même si l’on connaît déjà la réponse. Il faut bien que la trinité politique ivoirienne soit complète. Le RHDP a répondu avec la manière. Lors d’une émission sur la Nouvelle Chaîne Ivoirienne (NCI), le ministre de l’Emploi et de la protection sociale, Adama Kamara, par ailleurs membre du parti présidentiel, a été invité à réagir sur le choix de Gbagbo par le PPA-CI. Sa réponse: «S’ils choisissent leur papa, on va choisir notre papa (…) le président Ouattara. (...) Il nous a appris à respecter les papas. S’ils choisissent leur papa, on va se mettre derrière notre papa, il va aller se battre avec eux».
La scène ivoirienne politique compte, évidemment, d’autres acteurs et d’autres partis politiques, tout aussi ambitieux, avec des plans bien précis pour le pays, mais elle reste à ce jour rythmée par les actions de Bédié, Ouattara et Gbagbo. Effectivement, en Côte d’Ivoire, comme dans beaucoup d’autres pays africains, l’on en est encore au niveau où la politique est faite par rapport à une personne et non par rapport à des idées… Mais, 2025 est encore loin et l’on n’est pas à l’abri de surprises. Du moins, l’on veut y croire.