Aussi surprenant que cela puisse paraître, les propos racistes et haineux du président tunisien Kaïs Saied, parlant de «horde de migrants» et allant jusqu’à faire sien les théories complotistes de remplacement des populations chères à l’extrême droite européenne, n’ont reçu aucune condamnation d’un pays européen ou de la Commission européenne, pourtant adeptes des critiques tous azimuts à l’égard de certains pays du continent africain.
On comprend alors que si les Européens n’ont pas applaudi des deux mains cette sortie indigne d’un président, à l’exception de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni et Eric Zemmour, ils ne condamnent pas pour autant ces paroles d’un autre âge. Les Européens espèrent en effet que la Tunisie joue un rôle de gendarme de l’Europe en Afrique en bloquant l’entrée des migrants subsahariens.
Heureusement, tout le monde n’a pas la même vision du respect des droits humains que l’UE. A commencer par les personnalités, les sportifs, les défenseurs de droits humains et les ONG en Tunisie. Tout le monde reconnaît que la migration illégale peut être une source de problèmes, mais aller jusqu’à stigmatiser les Subsahariens, les accuser de tous les maux du pays et les exposer à la vindicte populaire n’est pas acceptable, surtout de la part d’un chef d’Etat d’un pays qui a donné son nom au continent.
C’est pourtant ce qu’a fait le 21 février dernier Kaïs Saied en parlant de «hordes» d’immigrés alors que son pays ne compte qu’une population d’à peine 17.000 migrants irréguliers sur un total de 22.000 Subsahariens enregistrés, dont certains y séjournent depuis plus d’une décennie, et que 18.000 de ses ressortissants ont débarqué durant la seule année 2022 sur les côtes italiennes.
Pire encore, il a qualifié ces migrants de source de «violence et de crimes» et faisant partie d’une «entreprise criminelle» visant à «changer la composition démographique» de la Tunisie en la transformant en un pays uniquement «africain».
Des propos «haineux et racistes» qui ont sonné comme une autorisation à chasser le «noir», se traduisant par des contrôles policiers au faciès, des arrestations et emprisonnements n’épargnant ni les étudiants subsahariens ni ceux résidant régulièrement en Tunisie, ou encore des agressions et des expulsions de migrants de leurs appartements avec à la clé la confiscation de leurs biens.
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Même les employés de certaines institutions internationales d’origine subsaharienne n’étaient plus en sécurité à la suite du discours du président tunisien. Une situation qui a poussé de nombreux Subsahariens, même en situation régulière, à trouver refuge auprès de leurs représentations diplomatiques ou de l’Organisation internationale des migrants (OIM).
Une fois n’est pas coutume, l’Union africaine (UA), habituée à des communiqués diplomatiques, est sortie de sa réserve pour condamner les propos racistes du président tunisien. En Afrique subsaharienne, si les propos ont été condamnés, les réactions ont été globalement mesurées. Certains pays ont tout simplement décidé de rapatrier leurs ressortissants qui le souhaitent. C’est le cas de la Côte d’Ivoire (pays d’origine du tiers des migrants subsahariens vivant en Tunisie), de la Guinée et du Mali.
Mais la réaction la plus «forte» a été celle de la Banque mondiale (BM), qui a décidé tout simplement de suspendre «jusqu’à nouvel ordre» son cadre de partenariat avec la Tunisie. L’institution multilatérale a jugé que les propos du président tunisien sont «complètement inacceptables» et ont attisé la violence à l’encontre des Subsahariens.
«Les commentaires publics qui attisent la discrimination, les agressions et les violences racistes sont complètement inacceptables», a souligné le président de la BM, David Malpass, dans un courrier adressé, dimanche dernier, aux collaborateurs de l’institution. Il a estimé que, face à la dégradation de la situation des migrants et aux agressions rapportées, la BM n’est plus en mesure de poursuivre ses missions en Tunisie, expliquant que «la sécurité et l’inclusion des migrants et des minorités (font) partie des valeurs centrales d’inclusion, de respect et d’antiracisme» de la banque.
«Compte tenu de la situation, a poursuivi Malpass, la direction a pris la décision de mettre en pause» cet accord de partenariat et de retirer du calendrier la revue du Conseil d’administration de la Banque mondiale, prévue initialement le 21 mars et «reportée jusqu’à nouvel ordre».
Suite à cette décision, la BM ne peut plus lancer de nouveaux programmes de soutien en faveur de la Tunisie. Seuls les projets en cours sont maintenus. En clair, cette suspension «jusqu’à nouvel ordre» du programme de partenariat signifie de facto un gel de tout nouveau financement de l’institution de Bretton Woods destiné à la Tunisie. Une situation qui ne va qu’aggraver la crise financière que traverse le pays.
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La BM alerte également l’Etat tunisien sur un possible ralentissement de ses actions dans le pays à cause de la mise en œuvre de «mesures de sécurité» pour protéger ses employés originaires d’Afrique subsaharienne et leurs familles.
La décision du président de la BM a certainement fait réfléchir les dirigeants tunisiens, qui ont décidé rapidement de prendre une série de mesures en faveur des étudiants et migrants. Lundi dernier, la présidence tunisienne, le gouvernement et le ministère des Affaires étrangères ont annoncé une série de «mesures pour améliorer la situation des étrangers en Tunisie et faciliter les procédures» de régularisation de leur situation.
Il a été ainsi décidé «de délivrer des cartes de séjour d’un an aux étudiants ressortissants de pays frères africains pour faciliter leur séjour et leur permettre de renouveler périodiquement leurs documents». De même, les autorités ont décidé de prolonger les attestations de résidence de 3 à 6 mois pour les ressortissants venant des pays africains qui bénéficient d’une exemption de visa de 3 mois à l’entrée en Tunisie.
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En outre, décision a été prise d’apporter une assistance sanitaire et sociale aux migrants via le Croissant-Rouge tunisien, tandis que, face aux violences qui ont suivi la sortie du président Saied, un numéro vert a été mis à la disposition de migrants subsahariens afin qu’ils puissent signaler toute violation à leur encontre.
Au-delà de la pression de la BM, qui était l’un des rares bailleurs à encore soutenir le pays, ce changement de ton des autorités tunisiennes s’explique aussi par certaines craintes. En effet, la sortie du président a poussé les pays ouest-africains, d’où sont originaires la grande majorité des migrants subsahariens vivant en Tunisie, à demander à leurs ressortissants souhaitant quitter le pays à s’inscrire pour leur rapatriement. Concernant la Côte d’Ivoire, par exemple, plus de 1.600 migrants souhaitant quitter volontairement la Tunisie ont été recensés par les services diplomatiques.
De plus, la rapidité de certains pays à rapatrier leurs ressortissants cache mal un mécontentement de ces pays, même si le Mali est le seul à avoir clairement condamné les propos et les violences à l’encontre des subsahariens. Ayant compris les conséquences que cela peut avoir dans les relations de son pays avec les pays ouest-africains, le ministre des Affaires étrangères tunisien se décarcasse pour rassurer ses homologues du continent.
Ensuite, les universités et grandes écoles privées tunisiennes bénéficient énormément de l’apport des étudiants subsahariens, qui constituent d’importantes sources de revenus pour ces établissements. Mais leur nombre a baissé de plus de moitié depuis la révolution, à cause surtout de la montée du racisme.
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Estimé actuellement autour de 5.000, le nombre d’étudiants subsahariens en Tunisie devrait continuer à baisser à cause des violences. D’ailleurs, parmi les migrants déjà rentrés chez eux figurent une centaine d’étudiants pourtant en situation régulière. Ce qui ne devrait pas encourager d’autres étudiants subsahariens à choisir la Tunisie comme future destination d’études.
Enfin, il y a aussi la crainte de représailles. «Les Tunisiens ne nous aiment pas, donc est obligés de partir, mais les Tunisiens qui sont chez nous doivent partir aussi», a souligné à l’AFP un ressortissant malien lors de son rapatriement. A ce titre, certains dirigeants, comme le président guinéen, venu accueillir ses compatriotes rapatriés, a expliqué que les Tunisiens vivant en Guinée sont chez eux et n’ont aucune crainte à se faire.
Tous ces facteurs expliquent qu’après la charge violente du président Kaïs Saïed, les autorités tunisiennes essayent de réparer les dégâts. Le fait de vouloir faire porter les difficultés que traverse la Tunisie depuis la révolution du jasmin aux Subsahariens est tout simplement un aveu d’échec de la classe dirigeante tunisienne, qui a trouvé auprès des migrants subsahariens un alibi facile et trop visible pour détourner sa population de sa souffrance quotidienne…