L’annonce de retrait des trois pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) le 28 janvier dernier continue à susciter des réactions au niveau de la région, et même au-delà. Il faut dire que si ce cheminement était un peu envisagé depuis quelques semaines dans le sillage du renforcement des relations entre les trois pays et leur éloignement de la CEDEAO, personne ne s’attendait à une rupture aussi rapide et catégorique. Ne laissant point de place aux négociations avec les pays de la région en soulignant dans leur communiqué des retraits avec «effet immédiat», désormais la rupture est presque inévitable entre les deux parties. Et pour de nombreux observateurs, c’est un peu un saut vers l’inconnu pour la région, sachant que tout dépendra des scénarii de séparation: négocié ou rupture brusque.
Le poids des trois pays de l’AES
Mais quelle importance ont réellement ces pays de l’AES dans l’ensemble CEDEAO? Ces trois pays couvrent une aire géographique de 2,70 millions de km², sur une superficie totale de 5,11 millions de km², soit 52,84% de la superficie de la région, comptent 70 millions d’habitants, sur un total de 414 millions d’âmes et pèsent 50,65 milliards de dollars de Produits intérieurs bruts (PIB), contre 723 milliards de dollars pour l’ensemble régional. C’est dire que les pays de l’AES représentent 17% de la population et seulement 7% du PIB de la CEDEAO. Économiquement, ces trois pays ont peu de poids au niveau de la sous-région.
N’empêche, leur retrait risque d’avoir des conséquences néfastes pour la région. Et cela dépendra de la manière dont cette rupture se déroulera. Et ce sont les enjeux de l’heure, sachant que pour les pays de l’AES, il n’est point question de revenir en arrière, c’est-à-dire de réintégrer la CEDEAO.
Du coup, les conséquences de ce retrait dépendront de deux scénarii de séparation.
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Le premier scénario est celui du départ des trois pays -Mali, Burkina Faso et Niger- sans délai. Cette désertion n’est pas conforme aux engagements pris par les pays membres de l’organisation régionale. Le traité de la CEDEAO stipule dans son article 91 révisé en 1993 que l’État qui se retire de l’organisation doit notifier «par écrit, dans un délai d’un an, sa décision au secrétaire exécutif qui en informe les États membres. À l’expiration de ce délai, si sa notification n’est pas retirée, cet État cesse d’être membre de la Communauté».
Retrait avec «effet immédiat»
Mieux, l’article 92 du traité révisé stipule que pendant ce délai d’un an, l’État continue de se conformer aux obligations de la CEDEAO. En clair, dans le cadre du scénario où les trois pays respectent leurs engagements, ils doivent se conformer aux obligations du Traité de la CEDEAO, y compris décaisser leurs cotisations. Seulement, dans ce cas précis, les trois pays de l’AES se retrouvent dans un cas de figure particulier sachant qu’ils sont soumis à des suspensions au niveau des organes de décision de la CEDEAO et, en plus, le Niger est fait face à de rudes sanctions économiques. Du coup, on comprend l’empressement des pays de l’Alliance des États du Sahel à ne pas respecter ce délai d’un an dans un contexte pareil.
Seulement, ce retrait sans délai et non négocié risque d’avoir des conséquences néfastes pour la région. D’abord, une rupture immédiate sans négociation se traduira par un l’arrêt de la libre circulation des biens et des personnes entre les pays de l’AES et ceux de la CEDEAO. Cela voudrait dire la mise en place de taxes douanières aux frontières et de visas pour se déplacer entre ces deux entités.
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En quittant la CEDEAO, les trois pays doivent rapidement mettre en place de nouveaux documents de voyages (passeport) et d’identification (carte d’identité), sachant que ceux existants sont estampillés CEDEAO et permettent à leurs détenteurs de circuler et de s’établir librement dans les pays de la région. La CEDEAO est l’une des régions en Afrique où il est le plus facile de circuler et de s’établir pour les ressortissants de la région.
L’Uemoa pour amortir l’impact
Le couac est que huit des quinze pays membres de la CEDEAO sont également membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il s’agit des pays d’Afrique de l’Ouest partageant en commun l’usage du franc CFA: Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin et Guinée-Bissau. Or, l’UEMOA offre également à ses membres la libre circulation des biens et des personnes. Et les pays de l’AES comptent bien évidemment continuer à être membres de cette organisation. Au lendemain de la décision de retrait de la CEDEAO, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, s’est empressé de déclarer que le Mali resterait membre de l’UEMOA. Le fait de rester dans cette autre organisation sous-régionale permet aux pays de l’AES de continuer à bénéficier de la liberté de circulation des biens et des marchandises et bien évidemment du franc CFA et des financements au niveau de la région. Partant, pour ces trois pays de l’alliance, l’impact d’une rupture totale avec la CEDEAO sera limité par l’UEMOA.
Raison pour laquelle, après la sortie du président du Burkina Faso soulignant que le retrait de l’UEMOA sera la prochaine étape des pays de l’AES, Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères du Mali, et Aboubakar Nacanabo, ministre de l’Économie du Burkina Faso, se sont empressés d’expliquer que leurs pays n’envisageaient pas encore de sortir de la Zone CFA et donc de l’UEMOA.
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Malgré cette sortie des ministres, la méfiance des investisseurs est de mise. Première conséquence, le Burkina Faso a été obligé de reporter sine die l’émission de bons et d’obligations assimilables du trésor pour un montant de 35 milliards de francs CFA sur le marché des capitaux de l’UEMOA. Et pour cause, la sortie unilatérale et avec effet immédiat des trois pays de l’AES passe mal chez les investisseurs.
Méfiance des investisseurs
Les trois pays de l’AES ne seront pas logés à la même enseigne. Le Niger dont le principal partenaire au niveau de la région est le Nigeria, première puissance économique de la CEDEAO et qui pèse plus de 70% du PIB de la région, ne fait pas partie de l’UEMOA. Et du coup, les relations entre le Nigeria et le Niger risquent d’être durement impactées par un retrait non négocié en l’absence d’établissement d’un accord bilatéral entre les deux pays.
De même, les investisseurs locaux et étrangers qui ciblaient le marché de la CEDEAO et ses 400 millions de consommateurs seront plutôt prudents dans le choix du pays d’implantation au cas où les taxes douanières seront de retour entre certains pays.
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Mais le principal problème pour les trois pays en cas de sortie non négociée pourrait venir des conséquences de celle-ci sachant que les trois pays de l’AES sont tous enclavés et dépendent des pays côtiers de la CEDEAO et de la Mauritanie pour leurs approvisionnements. Leurs importations passent toutes, ou presque, par les ports des pays côtiers, notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin et le Nigeria.
Un départ négocié de la CEDEAO est l’option qui impacterait le moins, aussi bien les pays de l’AES que la CEDEAO. En respectant le délai d’un an, les deux parties pourront négocier des accords à même d’atténuer l’impact de cette séparation sur les populations et les économies de la région. En outre, les États de l’alliance peuvent signer un accord avec la CEDEAO en maintenant certains avantages comme la libre circulation des biens et des personnes, où opter pour des accords bilatéraux.
Dialogue pour une «solution négociée»
C’est dans cette optique que les parties prenantes ont entamé des négociations via le Togo. Le président Faure Eyadema ayant de bonnes relations avec les juntes au pouvoir au niveau de l’AES sert de médiateur entre ces pays et la CEDEAO. Il essaye d’arrondir les angles afin d’éviter un clash qui ne profitera à personne. Des accords pourront permettre aux pays de l’AES de continuer à utiliser les ports ouest-africains dont ils dépendent pour leurs exportations (uranium, coton, fruits…) et leurs importations (produits alimentaires, biens d’équipement, automobiles, produits finis…) sans que cela n’engendre des surcoûts.
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Un départ négocié de la CEDEAO a déjà eu lieu avec le retrait de la Mauritanie. Celle-ci s’est retirée en 2000 de l’organisation ouest-africaine dont elle était membre fondateur, justifiant son choix par sa proximité culturelle avec les pays arabes d’Afrique du Nord, privilégiant l’Union du Maghreb arabe (UMA), créée en février 1989, au détriment de la CEDEAO. Malgré ce retrait, la Mauritanie est restée fortement ancrée dans cet espace régional, en signant des accords bilatéraux avec plusieurs pays de la région (Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée…). Et face au statu quo au sein de l’UMA, les autorités mauritaniennes ont fini par demander un statut d’associé et le pays est redevenu membre associé en août 2017 de cette organisation. Cet accord prévoit la libre circulation des marchandises entre les deux parties, mais pas celle des personnes, entre la Mauritanie et les 15 pays de la CEDEAO. Si l’accord est ratifié par le parlement mauritanien depuis 2018, ce n’est pas encore le cas des 15 pays.
Problème d’enclavement
Une chose est sure, avec les dernières sorties des dirigeants des pays de l’AES, ce retrait de la CEDEAO est considéré sans retour. Et pour combler rapidement les conséquences de cette sortie, outre l’intensification des relations entre les trois pays dans les domaines diplomatique et économique, les pays de l’AES, ayant des relations tendues avec les pays occidentaux, tablent aussi sur d’autres partenaires pour réduire leur isolement. L’accent est particulièrement mis sur les pays des BRICS, notamment la Russie et la Chine, qui ont promis leurs soutiens aux pays de la région. Il faut dire que les pays qui se sont retirés de la CEDEAO disposent d’importantes ressources naturelles (uranium, or, bauxite, lithium, pétrole…) dont une grande partie n’est pas encore exploitée. Il s’agit de ressources très demandées par les pays des BRICS.
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Seul hic, les approvisionnements et les exportations des trois pays de l’AES passent essentiellement par les ports des pays côtiers de la CEDEAO et la Mauritanie. D’où la nécessité impérieuse d’une sortie négociée entre les pays de la région afin que leur retrait ne se traduise pas par des ruptures politiques et économiques qui seront néfastes pour la région. À ce titre, l’initiative royale du Royaume du Maroc visant à donner l’accès aux pays du Sahel à l’Atlantique pourrait constituer, à terme, l’une des solutions au désenclavement des pays de l’AES, dans le cadre d’un mégaprojet d’inclusion régionale.
Reste que CEDEAO ou pas, au niveau de la région, il sera difficile d’empêcher les populations frontalières de continuer leur va-et-vient. De même, il sera impossible d’arrêter la transhumance des éleveurs et la contrebande au niveau de la région, sachant que souvent ce sont les mêmes familles qu’on retrouve des deux côtés des frontières de tous les pays de la région.