Alger cherche coûte que coûte à maintenir son influence dans le Sahel, alors que les vents ne lui sont pas favorables, notamment avec son voisin immédiat du sud, le Mali. En conséquence de quoi, sa diplomatie et ses services secrets veulent absolument reprendre la main dans le délicat dossier de la rébellion touareg, tout en maintenant les canaux de communication avec les groupes djihadistes. L’objectif étant double: maintenir son influence dans la région, mais également contenir les djihadistes hors du territoire algérien. Les informations que fournit Africa Intelligence, dans un article intitulé «Les services secrets algériens en mode survie dans le Sahel», montrent toute la perfidie de ce régime dont les barbouzes «veulent renouveler leurs attaches avec les mouvements touaregs maliens».
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Ainsi, «face à une junte hostile et à une recomposition des mouvements touaregs, Alger doit composer avec une aura plus que jamais fragilisée», écrit la même source. Cependant, rien ne se passe comme prévu.
Ramtane Lamamra humilié avant son limogeage
Bamako n’hésite pas à humilier les diplomates algériens, quel que soit leur rang. Deux mois avant d’être limogé, Ramtane Lamamra en avait fait les frais. Ainsi, «l’homme aux dattes», comme le surnomment les chefs touaregs pour sa propension à vanter la Deglet nour, une variété algérienne de datte, a échoué à maintenir l’illusion d’une paix à travers l’APR (l’accord de paix et de réconciliation, Ndlr) signé à Alger, en 2015, sous sa houlette», explique toujours la feuille d’information confidentielle.
Alors qu’il était dans la capitale malienne en tant qu’«envoyé spécial du chef de l’Etat Abdelmadjid Tebboune, il s’est fait froidement recadrer par le président de la transition malienne, le colonel Assimi Goïta», révèle la même source qui ajoute que «son projet de réunir à Alger la médiation internationale, à la demande des cadres de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), a irrité le président malien».
En effet, conscient des erreurs de ses prédécesseurs qui ont laissé Alger trop s’immiscer dans le conflit du nord du pays, Goïta estime que la question touareg est une affaire malo-malienne qui doit se régler avant tout entre enfants du pays. Ainsi, la réunion que voulait Lamamra et son mentor Tebboune, en marge du Championnat d’Afrique des Nations (CHAN) tenu entre le 13 janvier et le 5 février 2023, est tombée à l’eau. La crédibilité d’une Algérie qui cherche quoi qu’il en coûte à s’impliquer dans les dossiers régionaux en a pris un sérieux coup.
Les services secrets à la rescousse
Ce n’est pas le seul revers récent de la diplomatie algérienne. Quand il a voulu jouer au médiateur dans l’affaire des 49 soldats ivoiriens accusés par Bamako d’être des mercenaires, il a été gentiment prié de s’occuper des affaires de l’Algérie. Mais Bamako a néanmoins préféré maintenir le contact à travers son ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop et son ministre de la Réconciliation nationale, le colonel Ismaël Wagué. Cependant, comme le révèle Africa Intelligence, «le dossier de l’APR (Accord d’Alger, Ndlr) se trouve, depuis le début de cette année, piloté par Assimi Goïta en personne et par le patron de la Sécurité d’Etat, le colonel Modibo Koné».
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Face aux déroutes de sa diplomatie, Alger appelle ses services de renseignements en renfort. Ils sont connus pour jouer un rôle dans la déstabilisation de la région sahélienne et dont le Mali est la première victime. Ils ont toujours offert le gîte et le couvert aux djihadistes tant que ces derniers sévissaient dans le Sahel en laissant l’Algérie en paix. Il en est de même des mouvements indépendantistes touareg qui ont toujours disposé d’une ligne directe avec les services de renseignement algériens.
L’homme «chargé d’endiguer la perte d’influence, de réactiver les relais dans le nord du Mali, tout en dosant le soutien algérien» aux autorités de Bamako, n’est autre que «le général-major Mehenna Djebbar». Depuis bientôt neuf mois, c’est lui qui est à la tête de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE), «pilier de la lutte contre le terrorisme (qui) a la pleine confiance» d’Abdelmajid Tebboune.
A Bamako, les barbouzes algériennes ne se cachent plus
Alors, Mehenna Djebbar a entrepris depuis plusieurs mois une réorganisation «de son dispositif à Bamako où la DGDSE disposerait de moyens techniques d’écoute -en tenant à l’écart les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères (...) à commencer par son chef (Lamamra limogé mi-mars 2023, Ndlr), qu’il avait jusque-là soutenu, et l’ambassadeur d’Algérie au Mali, Haouès Riache», révèle toujours la même source.
En principe, dans la capitale malienne, le colonel «Farouk» est le principal représentant des services algériens, il est secondé par l’agent «Jalal» qui «opère sous couvert diplomatique, mais ne se cache plus vraiment devant les leaders touaregs qu’il reçoit régulièrement à l’ambassade».
Cependant, ces deux barbouzes ne sont au cœur du dispositif de Mehenna Djebbar qui, en janvier, «avait dépêché à Bamako sa propre délégation d’agents -présentés comme des diplomates- aux côtés de Lamamra mais surtout de Boudjemaa Delmi, ancien envoyé spécial pour le Sahel et conseiller du président Tebboune, à la tête du comité de suivi de l’APR. Ils étaient au premier rang et menaient les discussions au point d’éclipser les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères relayés derrière eux».
Mohamed Médiène, alias Toufik réactive ses réseaux
Pour la DGDSE, le Mali et le Niger sont des «pays sensibles et prioritaires pour les intérêts stratégiques d’Alger». Mehenna Djebbar veut s’appuyer sur de nouveaux agents comme il l’a récemment fait à Bamako, mais il compte aussi sur un vieux loup, le général Mohamed Médiène, dit Toufik, et revenu en grâce après avoir été écarté au crépuscule du régime Bouteflika. «Mais tout en puisant dans le vivier de vieux officiers et correspondants rompus aux manigances sahéliennes, Mehenna Djebbar cherche aussi à contenir l’emprise de l’ancien maître-espion, voire à s’en affranchir», explique toujours Africa Intelligence.
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Entre «Toufik», qui a dirigé pendant 25 ans le puissant DRS algérien le principal service secret algérien de l’époque, et les djihadistes qui déstabilisent le Mali, c’est une très longue histoire. «Que ce soit avec Lyad Ag Ghali dans la zone de Kidal, Mokhtar Belmokhtar à Gao, des grands trafiquants actifs au sein du défunt Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), ou encore à Tombouctou, Abdelhamid Abou Zeid d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI), le défunt service algérien DRS a su traiter, et donc manipuler, ces interlocuteurs délicats».
Quoi qu’il en soit, bien que la perte d’influence et la baisse de la capacité de nuisance d’Alger soient avérées, le danger venant d’un voisin qui ne pense qu’à ses intérêts rode toujours. Car, Alger a toujours des réseaux et des agents font copain-copain avec les ennemis de la stabilité du Sahel. Les services algériens sont très proches des grands trafiquants et des chefs djihadistes à Gao ou à Kidal comme «Hanoun Ould Ali et le touareg Habala Ag Hamzata (du groupe GATIA-dissident), des Berabichs à Taoudeni et au sein de la famille de l’amenokal, ou chef, des Ifoghas Mohammed Ag Intalla».
C’est pourquoi Bamako se montre de plus en plus méfiante vis-à-vis d’Alger et lui demande, par exemple, de choisir son camp, dans la gestion du dossier de la rébellion touareg. De leur côté, la Coalition des mouvements de l’Azawad (CMA) ainsi que d’autres groupes rebelles prennent leurs distances avec les autorités et les services algériens.