Au lendemain de cet arrêt historique des «Sages», le pays, dans l’attente de savoir quand et comment il allait voter, était suspendu à la réaction du président.
Le président Sall a rompu le silence sous la forme d’un communiqué publié par ses services.
Il «entend faire pleinement exécuter la décision du Conseil constitutionnel» et «mènera sans tarder les consultations nécessaires pour l’organisation de l’élection présidentielle dans les meilleurs délais», dit le texte.
«Dans les meilleurs délais», c’est précisément la fenêtre impartie jeudi par le Conseil constitutionnel quand il a invalidé jeudi l’ajournement de la présidentielle au 15 décembre. Depuis, les appels se sont élevés de toutes parts, dans le pays et à l’étranger, à l’adresse du président Sall pour qu’il s’exécute.
Le Sénégal traverse l’une des pires crises politiques de son histoire post-indépendance depuis l’annonce le 3 février par le président Sall du report de facto de la présidentielle, prévue le 25 février.
L’Assemblée nationale a ensuite repoussé le scrutin au 15 décembre après avoir fait évacuer l’opposition de force. Elle a prolongé le mandat du chef de l’Etat jusqu’à l’installation de son successeur.
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Cet ajournement a provoqué des heurts qui ont fait trois morts lors de manifestations réprimées, qui ont donné lieu à des dizaines d’interpellations. De nouveaux appels à manifester ont été lancés pour vendredi après-midi et samedi.
La décision de la Cour constitutionnelle a été largement saluée comme un facteur d’apaisement et les mots d’ordre ne trouvaient quasiment aucun écho vendredi en milieu d’après-midi à Dakar aux points de rassemblement où policiers et journalistes étaient plus nombreux que les manifestants.
L’opposition et la société civile criaient au « coup d’Etat constitutionnel » après le report, accusant le camp présidentiel de vouloir éviter la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, et suspectant M. Sall de vouloir se maintenir au pouvoir.
Le président a lui juré qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat, justifiant le report par la crainte d’une contestation du scrutin susceptible de provoquer de nouveaux accès de violence après ceux de 2021 et 2023.
Le Conseil constitutionnel, saisi par des opposants au report, a invoqué le principe d’« intangibilité » de la durée de cinq ans du mandat présidentiel.
Appels au respect de la décision
La Commission économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), l’Union européenne, la France, le Royaume Uni ont appelé les autorités à se conformer à la décision de la Cour. L’ajournement de la présidentielle avait alarmé d’importants partenaires internationaux, inquiets qu’un pays réputé pour sa stabilité dans une région troublée ne cède à la violence.
Dans les rues de Dakar, Mamadou Caba, employé de 55 ans, a, comme d’autres exprimé son soulagement.
«C’est heureux que le Conseil constitutionnel prenne une décision telle qu’il l’a prise, au moins, là, on est à la moitié du chemin de la bonne solution», a-t-il dit.
Pour Babacar Gueye, un constitutionnaliste coordinateur du collectif de la société civile Aar Sunu Election («Protégeons notre élection») opposé au report, son invalidation est «historique».
Face à l’inquiétude partagée par les partenaires étrangers du Sénégal, le système a « finalement montré qu’il (avait) des ressorts pour surmonter de très grosses crises », a-t-il dit à l’AFP.
Les interrogations portent désormais sur la date du scrutin et la liste des concurrents. Le Conseil constitutionnel avait validé 20 candidatures en janvier.
Le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, a noté que le Conseil n’imposait pas de date. Il a laissé entrevoir des discussions entre le président et les acteurs politiques, «qui permettront d’organiser les choses».
Le chef de l’Etat «doit prendre ses dispositions pour qu’on discute, pour qu’on voie comment mettre en oeuvre la décision du Conseil», a dit à la presse l’un des principaux candidats, Khalifa Sall.
Il n’a pas dit si l’élection devait avoir lieu avant ou après le départ du président Sall. Mais il a partagé une perception commune après la décision du Conseil: le 2 avril, à l’expiration de son mandat, le président Sall «doit partir».
Dans l’opposition, Amadou Ba a déclaré que «Macky doit organiser l’élection présidentielle avant la fin de son mandat le 2 avril 2024, qui reste la date de passation», a rapporté le quotidien Walf.
Amadou Ba est le mandataire de Bassirou Diomaye Faye, numéro deux du parti dissous Pastef, qui a livré au pouvoir après 2021 un bras de fer ponctué d’épisodes meurtriers.
Des centaines de sympathisants de ce parti et des membres de la société civile ont été arrêtés.
Dans un geste d’apaisement, 134 d’entre eux ont été libérés depuis jeudi et 90 devaient l’être vendredi, selon le ministère de la Justice.