Finaliste malheureux du Femina, du Médicis, du Goncourt et du Renaudot, David Diop était le seul auteur à figurer dans toutes les sélections des grands prix littéraires d'automne et le seul homme en lice pour le Goncourt des lycéens.
Avec ce deuxième roman, qui peut se lire comme un hommage aux quelque 200.000 Africains ayant combattu dans l'armée française durant la Première Guerre mondiale, David Diop expliquait récemment à un journaliste de l'AFP avoir voulu honoré les "jeunes gens qui n'avaient pas commencé à vivre".
"J'adore le poème +Bleuet+ d'Apollinaire", confiait-il avant de citer de mémoire quelques vers: "Jeune homme de vingt ans qui a vu des choses si affreuses... Tu as absorbé la vie de ceux qui sont morts près de toi... Tu connais mieux la mort que la vie".
La narrateur, Alfa Ndiaye, est un tirailleur sénégalais. Lors d'un assaut, son compagnon d'arme et ami d'enfance, son "plus que frère", Mademba Diop est grièvement blessé. Il supplie son ami de l'achever mais celui-ci ne peut s'y résoudre. L'histoire du livre raconte la tentative de rachat d'Alfa Ndiaye à l'égard de son compagnon, mort dans d'effroyables souffrances.
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"C'est en lisant un livre rassemblant des lettres de poilus que m'est venue l'idée de ce roman", a raconté à l'AFP David Diop, 52 ans, maître de conférences en littérature du XVIIIe siècle à l'université de Pau. "J'ai cherché à savoir ce que les tirailleurs sénégalais, comme les poilus, comme les Marocains ont dû ressentir face à ce que Blaise Cendras appelait +la grande guerre usinière+".
"J'ai voulu essayer de retrouver cette intimité poignante à l’œuvre dans ces lettres de poilus en imaginant leurs pensées. Mon roman est un psycho-récit", a-t-il ajouté.
Alfa Ndiaye n'est pas francophone. David Diop qui parle le wolof, une langue parlée dans l'ouest de l'Afrique, explique avoir "essayé d'adapter au français le rythme de cette langue". De fait, le rythme des phrases s'apparente à un chant. "J'ai essayé de construire une langue qui reflète les pensées d'une personne qui pense dans une autre langue", explique David Diop.
Folie de la guerre
La mort de Mademba a convaincu Alfa Ndiaye qu'il n'y a plus de lois. "Dans le monde d'avant, je n'aurais pas osé, mais dans le monde d'aujourd'hui, par la vérité de Dieu, je me suis permis l'impensable", explique le tirailleur sénégalais.
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Chaque soir, il sort seul de la tranchée pour s'infiltrer dans les rangs des ennemis "aux yeux bleus". Il en tue un et lui tranche la main au coupe-coupe avant de rapporter son trophée dans sa tranchée.
Au début, ses supérieurs et ses camarades le félicitent pour sa bravoure. Mais au bout de la quatrième main, ils s'inquiètent. "A la septième main coupée, ils en ont eu assez", constate Alfa Ndiaye. Certes, comme le dit le capitaine, "les nègres sont des sauvages, des cannibales, des zoulous", mais désormais on a peur d'Alfa, de sa folie. On le considère comme un "dévoreur d'âmes", un sorcier.
Fou, Alfa Ndiaye l'est assurément. Mais que dire de la folie de cette guerre ? Lorsque des poilus se révoltent contre les attaques incessantes et vaines imposées par leur capitaine, celui-ci choisit sept soldats au hasard, leur fait ligoter les mains dans le dos et les oblige à sortir de la tranchée sous le feu ennemi.
Renvoyé à l'arrière, Alfa Ndiaye se souviendra des derniers jours en Afrique. Cela donne des pages bouleversantes, du temps perdu de l'innocence. En partant à la guerre, il savait d'avance qu'il ne reviendrait jamais plus chez lui. C'est désormais dans l'esprit (même dérangé) qu'existe la seule possibilité de refuge.