Sénégal: l’auto-encensement du ministre des Finances

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Le 06/02/2017 à 16h25, mis à jour le 06/02/2017 à 17h02

Ce weekend au micro de la chaîne de radio Rfm, le ministre de l'Economie et des finances a défendu son bilan. Comme si la forte proportion de la dette, l'importance des dons dans les ressources budgétaires et la mauvaise répartition de la croissance n'existaient pas.

«Jamais les finances du Sénégal n’ont été aussi reluisantes». Par ces propos Amadou Ba, l’argentier de l’Etat du Sénégal, veut couper court aux accusations de l’opposition qui l’accuse de maquiller -«mackyller» en référence au président de la République Macky Sall- les chiffres. 

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Ce dimanche, Amadou Ba invité de la radio Rfm, appartenant au ministre Youssou Ndour, est allé plus loin en tenant un discours qui frôle l’auto-encensement et en promettant une croissance à deux chiffres dès 2020.

Cette sortie «chiffrée» s’inscrit dans un agenda de communiqués de pré-campagne électorale. Elle intervient à moins de six mois des prochaines élections législatives prévues fin juillet. Le ministre des Finances communique dans un contexte où l’opposition fait feu de tout bois et tire à boulet rouge sur le gouvernement de Mouhammad Boun Abdallah Dioune.

On ne mange pas la croissance

Interpellé sur l’impact réel de la croissance économique sur les populations, le ministre Amadou Bâ à chercher à convaincre les plus sceptiques. Selon lui, «250.000 emplois sont créés, et cela sans compter les emplois dans le monde rural», dit-il.

Pourtant, les récents chiffres du chômage contredisent le ministre. En 2015, le taux de chômage a atteint 15,7% selon les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD). C’est l’unique organe public habilité à fournir des données statistiques concernant l’économie du pays.

Pour ce qui est du niveau de mobilisation des ressources, le ministre Amadou Bâ a salué les performances déjà visibles du Plan Sénégal Emergent. «Nous avons capitalisé 275 Conventions de financements pour plus de 5.200 milliards Fcfa», résume-t-il.

Croissance de 7% attendue en 2017

Tout dans le discours d’Amadou Ba, tend à montrer que le pays va dans la bonne direction. «Le Sénégal a atteint un taux de croissance supérieur à 6% durant deux années consécutives. On ne l'a jamais eu», dit-il. Selon lui, "il y a une nette amélioration de la situation économique. Le déficit budgétaire est dans une phase de consolidation, de même que les recettes fiscales. Les dépenses sont en augmentation. La masse salariale est maîtrisée. Les comptes extérieurs du Sénégal se sont nettement améliorés et l’endettement est bien maitrisé», affirme-t-il. Ajoutant que le Sénégal est l’un des pays d’Afrique qui n'a pas de plafond en matière d’endettement.

«Il est considéré comme un pays à faible risque de surendettement. Un endettement soutenable fait pour l’essentiel avec les partenaires multilatéraux. Et dans la plupart des cas, c’est avec une confessionnalité (ratio des crédits ayant une destination préalablement définie) de 15% à 25%. Les taux d’interventions sur le marché ont baissé. Ce qui signifie que le cadre macroéconomique est assez solide», informe Amadou Bâ.

Mais quand on analyse plus en détail, on se rend compte que la masse salariale de l’Etat atteint 586 milliards de Fcfa, soit 17,75% du budget, mais 25% des dépenses hors remboursement de la dette. De la même manière, on peut constater que les ressources budgétaires ne représentent que 2084 milliards de Fcfa sur un budget 2017 de 3.360 milliards de Fcfa, soit à peine 62% du total. Les dépenses de l’Etat sont ainsi couvertes à 38% par des dons et des prêts. Cela expose le Sénégal non seulement à des incertitudes, mais également à des charges excessives de la dette.

Le taux de croissance ne se mange pas

L’autre critique à laquelle le ministre des finances a tenu à répondre concerne la répartition de la richesse créée grâce à la croissance. Malheureusement, il est passé à côté, se bornant à poser la question suivante : «sans croissance, est-ce qu’on pourrait manger?» Il est passé à côté car la bonne question à poser est de savoir si cette croissance est bien répartie et à qui elle profite réellement. Otr, il suffit de se rendre dans les régions de l’intérieur du Sénégal pour s’apercevoir d’un taux de pauvreté que ni le ministre des Finances ni le président Macky Sall ne soupçonnent.

Le taux de croissance de 7% attendu en 2017 et celui à deux chiffres qu’annonce Amadou Bâ à partir de 2020 n’y changeront rien si le développement de certaines régions comme Kolda est laissé entre les mains de simples ONG.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 06/02/2017 à 16h25, mis à jour le 06/02/2017 à 17h02