Sénégal: Touba, la ville qui fait ployer le genou à la République

Sénégal : Touba, la ville qui fait ployer le genou à la République

Sénégal : Touba, la ville qui fait ployer le genou à la République . dr

Le 20/10/2019 à 10h28, mis à jour le 20/10/2019 à 21h33

En quelques années, Touba est devenue la deuxième ville la plus peuplée du pays. Dans un Sénégal laïque, cette ville sainte fonctionne selon les édits du Khalife général des mourides, inspirés de la charia. Une police religieuse, Safinatoul Aman, est chargée d'y veiller.

Touba réunit chaque année à l'occasion du Grand Magal, et ce depuis 1928, deux à trois millions de personnes venues commémorer le départ en exil au Gabon du fondateur du mourisme Cheikh Ahmadou Bamba en 1895.

Quelle est cette la ville au statut particulier au Sénégal?Origine et Signification de la ville de Touba Forte d’une communauté de plus de 5 millions de membres, la mouridiyya (une confrérie soufie) symbolise au Sénégal un islam indépendant du pouvoir. «Une récompense du seigneur» à son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba, qui contraint à l’exil au Gabon par l’autorité coloniale (1895–1902) et revenu triomphant 7 ans après. L’école sénégalaise enseigne même aux élèves que «ce résistant pacifique est le seul parmi les résistants à être revenu d’une déportation».

Suffisant pour accroitre la notoriété du Cheikh qui pour retrouver la solitude et le recueillement propices à l'adoration d’Allah, a quitté le village de ses ancêtres Mbacké Baol pour construire un peu plus à l'Est une maison retirée à Darou Salam. Trois ans plus tard, 1887-88, il fonda, à quelques kilomètres au nord de son village natal, le village de Touba, du nom d'un arbre du Paradis.

Un titre foncier reconnu par l’autorité coloniale

En 1928, une année après le rappel à Dieu du Cheikh, son premier khalife, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké reçu de l’autorité coloniale, un document attestant du titre foncier de la localité (qui était à l’époque un village) à Cheikh Ahmadou Bamba.

Les terres de Touba sont dés lors offertes aux Talibés mourides désireuses de s’y installer. Autres particularité de la ville, l’eau des robinets y est gratuites. Mais vivre à Touba demande un certain nombre de sacrifices.

Le voile est obligatoire, pas d’alcools, pas de jeux de hasard et de sport dans la rue

A Touba, il est interdit aux femmes de s’afficher têtes nues. L’alcool, la drogue et les jeux de hasard y sont aussi prohibés. Ces lois non écrites, mais rappelées en permanence par les différents khalifes de Serigne Touba régissent le fonctionnement de la ville.

L’état qui assiste sans rien faire n’est autorisé à intervenir que quand les interdits rejoignent ceux de la constitution sénégalaise.

Pour le Magal de cette année, le comité d’organisation et de sécurité sous le Ndigueul (ordre) du khalife a rappelé les interdits qui s’étendaient à toutes les astuces de beauté des femmes.

Pour veiller à l’application de ces recommandations, le Dahira Safinatoul Amane est mis en place. Il s’agit de personne civils, sans armes qui interpellent les brebis galeux pour les ramener à l’ordre. Mais il faut dire que cette mesure à des limites, avec plusieurs femmes par exemple qui se couvrent à l’extérieur mais reprennent leurs habitudes dans les nombreux lieux d’hébergements.

Serigne Cheikh Mbacké Awa Ba, président de l’AIS (Association Islamique pour servir le Soufisme) dit constater que «les pèlerins reprennent leurs habitudes hors de la ville, notre souhait est de ne pas les contraindre à nous craindre, mais à craindre Allah en adoptants ce comportement en permanence». 

De Senghor à Macky Sall, aucun président n’a osé changer les règles de Touba

La déclaration du porte-parole du khalife général des mourides lors de l’inauguration de la mosquée Massalikoul Jinaan résume à elle seule la force de cette communauté «Serigne Touba fait et défait les président de la république de ce pays», a déclaré Serigne Bassirou Abdou Khadre.

Ces propos du jeune marabouts peuvent être démentis mais depuis l’indépendance du Sénégal en 1960, les présidents de ce pays ont toujours eu leur «khalifes».

Le premier président Léopold Sédar Senghor a toujours compté sur le deuxième khalife de Serigne Touba, Serigne Fallou Mbacké qui lui avait assuré un pouvoir sans risque d’être démis s’il lui facilitait la construction de la grande mosquée de Touba. Le président Abdou Diouf a lui également bénéficié de l’appui de Serigne Abdou Lahat Mbacké, 3eme khalife du mouridisme.

Le plus mouride des présidents sénégalais Abdoulaye Wade lui ne s’asseyait jamais au même niveau que Serigne Saliou Mbacké son marabout, avec lui, il était toujours assis par terre. C’est même avec l’ancien président Abdoulaye Wade que la loi sur la parité imposée à toutes les villes a fait une exception pour Touba qui ne reconnaît presque pas d’autorité aux femmes.

Et enfin Macky Sall qui est resté 7 ans sans un mot avec son prédécesseur à la présidence de la république a fait la paix avec Abdoulaye Wade sous la demande du khalife actuel Serigne Mountakha.

Touba qu’on croyait perdre de sa superbe avec la fin de règne des fils du fondateur du mouridisme en 2007 avec la disparition de Serigne Saliou est plus que jamais puissant avec la dernière démonstration de force de la communauté: la mosquée Massalikoul Jinaan financée par les talibé à hauteur de 20 milliards de fcfa, soit un peu plus de 30 millions d’euros.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 20/10/2019 à 10h28, mis à jour le 20/10/2019 à 21h33