Afrique du Sud: le meurtre d’un DJ expose les liens troubles entre criminalité et pouvoirs

Scène de crime.

Le 25/07/2025 à 06h40

Les meurtres étroitement liés d’un DJ et de lanceurs d’alerte en Afrique du Sud jettent une lumière crue sur le détournement endémique d’argent public et la possible collusion d’hommes d’affaires véreux, de politiciens corrompus et de policiers complices.

Une nuit de novembre 2022, DJ Sumbody, artiste sud-africain et propriétaire de plusieurs boîtes de nuit dans le pays, est criblé de balles dans sa voiture en rentrant chez lui à Johannesburg.

Un an et demi plus tard, un ingénieur, Armand Swart, tombe sous un déluge de 23 coups de feu au moment d’arriver à son entreprise. Celle-ci venait de signaler un appel d’offres public douteux: les prix étaient gonflés de 4500%.

Rien ne reliait les deux affaires jusqu’à une série d’arrestations lundi, quelques semaines après les accusations fracassantes d’un haut gradé de la police visant son institution et son ministre.

Pour ajouter à cette ambiance de roman noir à la Raymond Chandler, un agent de police de Johannesburg en fonction au moment des meurtres fait partie des suspects.

L’homme soupçonné d’être le cerveau de l’opération a lui été interpellé lundi: un certain Katiso Molefe, présenté comme un homme d’affaires.

Au moment du raid, Molefe se trouvait en bonne compagnie, celle de Kenny Kunene, membre du conseil municipal de Johannesburg et incarnation d’une classe politique sud-africaine volontiers bling-bling.

Suspendu par le chef de son parti, qui est le ministre des Sports et de la Culture, il n’est toutefois pas mis en cause par la police.

Selon des examens balistiques, les mêmes armes ont servi à commettre les deux meurtres. Deux des quelque 75 homicides quotidiens dans ce pays affichant l’un des taux de meurtres les plus élevés au monde.

«Le terme de captation d’Etat est souvent utilisé pour désigner la corruption sous la présidence de Jacob Zuma (2009-2018), mais la corruption liée aux marchés publics continue d’exister et remonte à l’époque de Thabo Mbeki (1999-2008), voire avant», observe auprès de l’AFP David Bruce, chercheur indépendant en sécurité publique travaillant pour l’Institut des études de sécurité (ISS) de Pretoria.

«La question des meurtres de lanceurs d’alerte et des assassinats en général est étroitement liée à ce problème», poursuit-il.

Les meurtres ciblés ont explosé de 108% en dix ans dans le pays, a calculé en 2024 l’Observatoire de la criminalité organisée en Afrique du Sud (SA-Obs).

Le monde des «tenderpreneurs»

Outre le policier, deux autres hommes sont soupçonnés d’avoir abattu le DJ.

Ils avaient entretemps été placés en détention provisoire, pour une tentative de meurtre ayant fait les gros titres: celle ayant visé en octobre 2023 une ancienne starlette de télé devenue influençeuse, Tebogo Thobejane.

Vue dans le feuilleton local Muvhango qui s’étire depuis 1997, elle avait eu une relation avec l’homme d’affaires Vusimuzi «Cat» Matlala. «Je ne l’ai pas balancé», a-t-elle assuré en début de mois au média News24.

Arrêté et écroué dans le cadre de cette tentative de meurtre, «Cat» Matlala est ce qu’on appelle en Afrique du Sud un «tenderpreneur», expression qualifiant pudiquement ceux ayant fait fortune grâce aux marchés publics.

Ce personnage est au coeur des accusations lancées en début de mois par le chef de la police provinciale du KwaZulu-Natal (KZN, sud-est) qui soupçonne certains collègues ainsi que le ministre de la Police, Senzo Mchunu - depuis mis en retrait par le président- d’enterrer les enquêtes le visant.

L’homme d’affaires avait remporté un appel d’offres -annulé depuis- de 360 millions de rands (17,4 millions d’euros) auprès de la police nationale alors que son nom figurait déjà dans le scandale de l’hôpital de Tembisa, où plus de 2,2 milliards de rands (106 millions d’euros) ont été détournés.

La lanceuse d’alerte dans cette affaire, Babita Deokaran, cadre du ministère de la Santé, a été abattue de neuf balles en août 2021.

«Il est plus facile de faire taire quelqu’un avec une balle que de faire face à une enquête», assure à l’AFP Chad Thomas, patron d’une société d’enquêtes privée représentant la famille du DJ.

Le taux d’élucidation des meurtres n’atteignait que 11,33% dans les statistiques officielles de 2024.

«Un certain nombre de personnes auraient dû être arrêtées dans la province du Gauteng, mais le ministère public refuse de signer les mandats», a accusé le commissaire du KZN.

Devenu très populaire, le commissaire Nhlanhla «Lucky» Mkhwanazi, avait dit espérer «très bientôt l’arrivée de procureurs compétents». «Ces incidents impliquant des artistes tués seront alors mis en lumière, a-t-il poursuivi. Et quand ça arrivera, vous vous souviendrez du jour où je vous en ai parlé.»

Pourtant, les révélations de la semaine ne pourraient être qu’un début. La porte-parole de la police nationale a déclaré que les armes ayant tué le DJ étaient «liées à au moins dix affaires très médiatisées».

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 25/07/2025 à 06h40