Lorsque le premier d’entre eux a franchi les portes de l’avion à l’aéroport Blaise Diagne, installé dans son fauteuil roulant, la barbe toute blanche, vêtu d’un boubou traditionnel marron, les familles et anciens combattants ont lancé les premiers applaudissements.
L’heure des retrouvailles avait sonné. Certains souriaient, d’autres pleuraient, tous marqués par l’émotion de rentrer au crépuscule de leur vie dans leur pays d’origine.
Un moment rendu possible grâce à une mesure dérogatoire décidée par le gouvernement français, qui leur permet de vivre en permanence au Sénégal sans perdre leur allocation minimum vieillesse de 950 euros par mois.
«Très heureux de retrouver ma famille, mes frères, mes enfants», a déclaré en arrivant Oumar Diémé, 91 ans.
Quelques minutes avant, son frère Sidi le présentait à l’AFP comme «le patriarche», «le baobab de la famille», qui leur manquait énormément. Ses proches lui ont préparé pour son retour un mafé, son plat préféré.
Lire aussi : Avec «Tirailleurs», Omar Sy dans l’horreur de la Grande Guerre
«La mesure est peut-être arrivée un peu tard, mais aujourd’hui le sentiment qui domine c’est la joie», a-t-il confié, disant que son seul regret est que son aîné «ne pourra pas bénéficier du même plateau médical qu’en France».
Les neuf tirailleurs ont ensuite été reçus au palais présidentiel par le président Macky Sall, qui les a décorés.
«Injustice réparée»
«Nous célébrons aujourd’hui une injustice réparée. Vous pouvez enfin vivre chez vous, en famille et en percevant l’intégralité de vos pensions», a déclaré le président Sall.
«Cette cérémonie est un exercice de mémoire en reconnaissance des sacrifices. C’est aussi un rappel de la longue série des injustices contre les tirailleurs qui ont été de tous les combats», a-t-il ajouté.
«Tous les tirailleurs sénégalais ont donné entière satisfaction à la France. C’est une dette que la France nous a payée», a réagi Yoro Diao, leur porte-parole.
Lire aussi : Vidéo. Sénégal: il y a 77 ans, la France massacrait les tirailleurs au camp de Thiaroye
Tous élégants en impeccables costumes ou en tuniques traditionnelles, portant avec prestance leurs médailles militaires, ces tirailleurs sénégalais avaient quitté à l’aube leurs studios de 15 mètres carrés dans un foyer à Bondy, en région parisienne, où ils vivaient depuis des années.
«Vive nos pères !», «Vive la France et le Sénégal !», a-t-on entendu fuser lors des moments émouvants de photos de groupe ou d’échanges avec la secrétaire d’Etat française aux Anciens combattants et à la Mémoire, Patricia Mirallès, avant leur départ. «Vous allez nous manquer! mais la famille vous attend là-bas...», leur a lancé la secrétaire d’Etat, émue.
«Je suis très content de rentrer au Sénégal et de continuer à bénéficier des droits que j’avais en France; depuis 25 ou 20 ans, c’était dur pour nos proches de faire la navette, et pour notre âge aussi...», a dit à l’AFP N’Dongo Dieng, 87 ans, portant ses médailles militaires sur une tunique moutarde.
Cela arrive «tardivement», car «beaucoup de camarades sont morts avant de bénéficier de cette mesure...», a déploré l’ancien combattant.
Une aide exceptionnelle finance aussi leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation.
«Soulagement»
«Je suis extrêmement émue», a confié à l’AFP avant de prendre l’avion Aïssata Seck, présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais.
Lire aussi : Au Sénégal, l’amertume d’un des derniers tirailleurs
Petite-fille d’un tirailleur, elle a été la cheville ouvrière qui depuis 10 ans a travaillé à leur reconnaissance, jusqu’à la décision du président français Emmanuel Macron début 2023 d’annoncer cette mesure dérogatoire pour leur allocation.
«Le fait qu’ils puissent enfin rentrer chez eux, c’est un vrai soulagement et c’est l’aboutissement d’un très long combat» pour qu’ils aient «une fin de vie digne», selon Mme Seck, qui estime que l’Etat français «a fait ce qu’il fallait».
Pour Claire Miot, maîtresse de conférence en histoire à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence (France), «c’est une reconnaissance de leurs sacrifices au service de la France qui est extrêmement tardive car ce sont des hommes qui ont 90 ans».
Le corps français des «Tirailleurs sénégalais», créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires des anciennes colonies d’Afrique. Le terme a fini par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau français.
Après les départs de vendredi, il reste encore en France 28 tirailleurs - tous d’origine sénégalaise -, dont plusieurs sont susceptibles de bientôt rentrer définitivement.
Engagé volontaire dans l’armée française par tradition familiale, Yoro Diao, 95 ans, Légion d’honneur à la boutonnière, veut «se reposer» à Kaolack, dans le centre du Sénégal.
«C’est un jour très important pour nous, et mémorable!», a-t-il confié à l’AFP avant de monter dans l’avion. «Nos enfants et nos petits-enfants s’en rappelleront toujours... que papy est, ce jour-là, revenu de France très content».