La fonction publique conserve-t-elle son statut d’ultime recours face au chômage des jeunes en Afrique? Dans de nombreux pays africains, on assiste à un véritable engouement pour les concours de la fonction publique. Au Sénégal, en Guinée, au Mali ou encore en Côte d’Ivoire, les jeunes diplômés se ruent sur les opportunités d’emploi dans le secteur public. Ce phénomène n’est pas nouveau mais semble s’accentuer ces dernières années, révélant les défis persistants de l’insertion professionnelle des jeunes sur le continent.
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Une situation préoccupante confirmée par les chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT): en 2022, le taux de chômage des jeunes en Afrique subsaharienne atteignait 12,7%, soit le double de la moyenne mondiale. Au Sénégal par exemple, près d’un jeune sur cinq était au chômage la même année selon la Banque mondiale.
En réaction, les gouvernements multiplient les campagnes de recrutements dans la fonction publique, promettant des milliers d’emplois. Cet espoir d’intégrer un corps de métier réputé stable explique en partie l’afflux de candidatures. Au Mali, pas moins de 65.817 personnes ont postulé pour la dernière vague de recrutements de mai 2024. En Mauritanie, certains concours affichent un ratio de 25 candidats par place disponible selon la Commission Nationale des Concours.
Candidats composants pour l’admission à la fonction publique en Côte d’Ivoire. En côte d’Ivoire, la loi de finances portant budget de l’Etat pour l’année 2024 prévoit le recrutement de 17 801 fonctionnaires pour un coût global de 90,681 milliards de franc CFA (environ 138,531 millions d'euros), répartis comme suit : 9 608 dans l’éducation et la formation, 6 490 dans la santé, et 1 703 dans d’autres secteurs dont 200 personnes en situation de handicap. A ceux-là s’ajoutent 100 non-fonctionnaires (Gens de maison et Contractuels), 3 976 personnes dans la police, 5729 dans l’armée. Ce qui fait un total de 27 606 nouveaux recrutements prévus en 2024, pour un coût global de 120,207 milliards de franc CFA (environ 183,637 millions d'euros).. DR
Toutefois, cette ruée soulève des interrogations sur la capacité réelle des États à absorber ces nouveaux
En Côte d’Ivoire, près de 28.000 nouveaux recrutements sont prévus pour 2024, dont 17.801 fonctionnaires, pour un coût global avoisinant les 184 millions d’euros. «Cette politique vise à traduire la volonté du gouvernement d’intensifier l’action sociale et d’améliorer l’employabilité des jeunes», souligne Anne Désirée Ouloto, ministre de la Fonction Publique.
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Avec un taux de chômage des 15-25 ans de seulement 4% en 2023 selon l’OIT, la Côte d’Ivoire semble miser sur ces recrutements massifs pour maintenir cette tendance. Mais d’autres chiffres de l’OIT sont alarmants. Citant un rapport de la Banque africaine de développement datant de 2018, le rapport de l’OIT dit qu’«en Côte d’Ivoire, la part cumulée des emplois vulnérables et des chômeurs varie entre 70 % et 90 %. Les taux de chômage des femmes et des hommes sont respectivement de 3,5% et 2,3%, tandis que les taux de non- emploi sont respectivement de 54,2% et 32,8%», souligne le rapport de juin 2023.
Sénégal: l’efficacité réelle de la lutte contre le chômage en question
Avec un taux de chômage global relativement important, le Sénégal fait face à un défi de taille en matière d’emploi des jeunes. Pourtant, les dernières années ont été marquées par des recrutements massifs dans la fonction publique. Comme le souligne le projet de loi de finances 2024, la forte augmentation des effectifs de fonctionnaires «traduit le recrutement en masse des jeunes dans la fonction publique. Non seulement, les recrutements nets ont plus que doublé (2,8 fois plus), mais les agents de l’État (fonctionnaires et non-fonctionnaires) sont aujourd’hui beaucoup mieux payés qu’avant. En effet, les augmentations de salaires ont porté essentiellement sur la création ou la revalorisation des primes et indemnités, dont le montant est passé de 149 milliards de FCFA en 2012 à 461 milliards de FCFA à fin 2022».
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Toujours selon a loi de finances 2024, la masse salariale devrait passer à 1.442 milliards de FCFA en 2024, soit une hausse de 13,3%. Ce phénomène paradoxal soulève des interrogations. D’un côté, ces recrutements répondent à l’engagement de l’Etat sénégalais à normaliser les recrutements civils par des concours. Mais d’un autre côté, on peut s’interroger sur leur efficacité réelle dans la lutte contre le chômage, au vu des taux encore élevés chez les jeunes. Selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), le taux de chômage élargi au Sénégal a enregistré une baisse notable, passant de 21,7% à 18,6% au deuxième trimestre de 2023 par rapport à la même période en 2022.
Cependant, il convient de noter que ces chiffres masquent des disparités importantes entre les zones rurales et urbaines, ainsi qu’entre les sexes. Selon l’Enquête Nationale sur l’Emploi au Sénégal pour le deuxième trimestre de 2023, le taux de chômage est plus élevé en milieu rural, touchant 21,0% de la population active, comparé à l’urbain avec un taux de 16,6%.
Les femmes sont particulièrement touchées, avec un taux de chômage atteignant 31,5%, tandis que celui des hommes est de 8,7%. De plus, la promesse d’appels à candidatures pour certains postes de la haute fonction publique semble difficile à mettre en œuvre rapidement selon Moussa Diop, président du parti Sénégal Debout, qui craint des «conséquences indésirables» comme des tensions internes.
Mauritanie: des «diplômes falsifiés» régulièrement détectés
Selon le rapport 2021 de la Commission nationale des concours, «le taux de candidature par poste demeure élevé, au-dessus de 25 candidats par poste» lors des derniers concours. Signe que l’offre d’emplois publics reste insuffisante face à la demande.
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De plus, la tentation de la fraude persiste également, avec des «diplômes falsifiés» régulièrement détectés. Au final, ces vagues de recrutement n’apparaissent que comme un pis-aller face à un chômage des jeunes qui atteint 23,9% selon l’OIT, loin de résoudre structurellement la problématique.
Des concours très attendu au Mali
Au Mali, après l’annulation d’un concours de la fonction publique entaché de fraudes, un nouveau concours a été fixé pour le 13 avril 2024 pour 65.817 candidats. Un rendez-vous très attendu mais qui ne pourra à lui seul résorber un chômage « grandissant » selon les autorités. En France, le phénomène est différent mais l’engouement est notable pour la fonction publique territoriale. À l’Institut national des études territoriales, le nombre de candidats au concours d’entrée est en hausse depuis 4 ans, atteignant 1.063 candidats en 2023 pour seulement 54 places ouvertes, rapporte le journal Le Monde.
Le Maroc, entre besoins criants et contraintes budgétaires
Selon le haut-commissariat au plan, (HCP) le taux de chômage au Maroc a grimpé de 11,8% à 13% entre 2022 et 2023 au niveau national, de 15,8% à 16,8% en milieu urbain et de 5,2% à 6,3% en milieu rural. Il reste plus élevé parmi les jeunes de 15 à 24 ans (35,8%), les diplômés (19,7%) et les femmes (18,3%). Le volume du sous-emploi est passé, durant la même période, de 972.000 à 1.043.000 personnes au niveau national, de 520.000 à 560.000 en milieu urbain et de 452.000 à 483.000 en milieu rural.
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Le taux de sous-emploi a ainsi augmenté de 9% à 9,8% au niveau national, de 8,1% à 8,7% en milieu urbain et de 10,4% à 11,6% en milieu rural.
Confronté à un taux de chômage relativement important chez les jeunes, le Maroc prévoit la création de 30.034 postes budgétaires en 2024, principalement dans l’Éducation, la Santé et la sécurité. Un effort considérable, mais qui ne représente qu’une augmentation de 3,74% des dépenses de personnel par rapport à 2023. Ce défi de recrutement massif se heurte aux contraintes budgétaires, obligeant les autorités à établir des priorités sectorielles.
Les carences du secteur privé
D’autre part, ce phénomène met en lumière les carences du secteur privé, incapable de créer suffisamment d’emplois décents pour les jeunes diplômés. Pour plusieurs experts, la fonction publique ne peut être qu’une solution temporaire et partielle. Il faut construire un environnement favorable aux entreprises privées, créatrices d’emplois durables et moteur de la croissance, plaide-t-ils.
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D’autres experts nuancent: certes le secteur public doit se moderniser, mais il joue un rôle clé en Afrique en termes d’investissements, d’éducation, de santé. Un rôle qui profite aussi au privé. Selon ces derniers, le vrai défi est d’améliorer la gestion des ressources humaines pour recruter sur la base des vrais besoins et des compétences.
Au final, l’attrait pour la fonction publique traduit les espoirs mais aussi les craintes des jeunes africains, en quête de débouchés stables dans un environnement économique mouvant. Une équation complexe pour les gouvernants, qui doivent concilier rigueur budgétaire et impératifs sociaux dans leurs politiques de recrutement.
Au-delà des chiffres, ce rush vers la fonction publique soulève des interrogations sur la capacité des États à absorber durablement les nouveaux arrivés sur le marché du travail. La formation, l’équipement et l’encadrement de ces recrues représentent un défi de taille pour des administrations parfois vieillissantes.