Dans l’enfer de «Derrière la prison», l’un des quartiers les plus dangereux de Libreville

Le quartier Derrière la prison de Libreville.

Le 13/04/2024 à 11h17

Vidéo«Derrière la prison», ce quartier populaire du 1er arrondissement de Libreville reste de loin l’un des plus dangereux de la capitale Gabonaise. Vols, viols, braquages et autres actes de vandalisme y sont légion. Pourtant ce quartier de la ville abrite l’un des plus importants camp de gendarmerie et un redoutable centre pénitentiaire du pays, le célébrissime «Sans famille».

Chanel, 30 ans, victime de braquage commis par deux jeunes garçons en 2020, reste à jamais marquée par cette agression à l’issue de laquelle ses bourreaux se sont emparés de son sac à main emportant une modique somme d’argent et un téléphone portable.

Plus récemment encore, non loin de leur domicile, son ami a été attaqué par des bandits qui écument le bien nommé quartier Derrière la prison. «J’étais au téléphone avec lui quand soudain on lui avait arraché son portable. Mais dieu merci, l’agresseur a été arrêté par une patrouille organisés par ses amis policiers... À Derrière la prison, jusqu’à récemment les vols se font dans les maisons. Pas loin de chez nous, une voisine s’est faite attaquer à son domicile...», dit cette habitante de ce quartier.

Dans ce far-west qui englobe les secteurs des logements d’enseignants du supérieur encore appelé La cité SI, et derrière l’Ecole normale supérieure (Ens), nous rencontrons un groupe de jeunes sur qui pèsent de lourds soupçons d’actes délictueux perpétrés dans le périmètre. Parmi eux, un bénéficiaire de la récente grâce présidentielle et son ami qui répond au nom de Wenceslas Ondo Mba. Le dernier cité avoue avoir déjà été interpellé par les forces de sécurité. Son tort, s’il en est un, est d’avoir enfreint les horaires du couvre-feu en vigueur à Libreville. Néanmoins, il a son idée sur la montée de l’insécurité à l’intérieur de Libreville.

«La société est stricte envers certains jeunes. Elle demande les diplômes et ce n’est pas tout le monde qui en a pour pouvoir travailler. Voilà pourquoi, sans pourtant encourager le phénomène de braquage, dans certains jeunes basculent», explique-t-il.

Un doigt accusateur contre une société gabonaise qui abandonnerait des jeunes déscolarisés sans une réelle politique de réinsertion sociale. Des laissés pour compte aux trajectoires de vie en dents de scie. Le cas d’Ulrich Biyoghe, 20 ans, interpelle à plus d’un titre. Vivant loin de ses parents en province, il a dû se mettre au braquage pour subvenir à ses besoins. «Je viens d’arriver dans la capitale. Ce qui m’a donné envie de braquer et de voler c’est parce que j’étais dans des conditions vraiment difficiles. J’avais besoin d’argent parce que je n’ai pas grandi avec mon père et ma mère», a-t-il.

Un témoignage qui diffère bien des précédents. Pour Edzang qui n’a jamais fait la prison, la stigmatisation des enfants par leurs propres parents peut engendrer des troubles de comportements. «Si ta mère ou ton père te disent que tu es bon à rien, tu te dis que venant de mes parents, ça doit être vrai. Donc, je sors de la maison pour investir la rue et y faire n’importe quoi...», confie, l’adolescent de 18 ans.

Si dans plusieurs quartiers sensibles de Libreville, les habitants assistent impuissants à une banalisation de la violence urbaine, à Derrière la prison, la hausse de l’insécurité paraît inexplicable pour un quartier qui accueille à la fois le plus redoutable centre pénitentiaire et l’un des plus importants camps de gendarmerie du pays.

Sur le plan de la sociologie urbaine, les spécialistes estiment que la situation tant décriée est liée à une inversion des représentations au niveau des jeunes délinquants. «Tout le système judiciaire doit être interrogé. Je m’explique: un jeune se dit, en allant commettre un forfait, et qu’après je pourrais être relaxé parce que j’ai une relation dans le système judiciaire. Si le jeune a été appréhendé deux ou trois fois et que par des mécanismes peu orthodoxes, il a été relaxé, évidemment que cela va l’encourager à récidiver. Et là la prison va produire un effet inverse à l’effet attendu. Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi que la précarité mène à tout...», soutient Guy Roger Nguema Ndong, sociologue.

Face à cette insécurité, les populations du quartier essayent de trouver des solutions. En 2018, en réaction à la formation des groupes d’auto-défense mis en place par les habitants, le gouvernement gabonais a procédé au renforcement des capacités des forces de défense et des forces de l’ordre (recrutement du personnel, augmentation des budgets de ces institutions,...) et à la réorganisation de la police par la création de la police de proximité. Ces dispositifs n’ont pas enrayé l’insécurité au Gabon.

Sur la période de 2020-2023, le pays a enregistré 3.109 délits et infractions contre des personnes et 8.708 infractions contre les biens, selon les données d’Afrobaromètre, un organisme indépendant composés d’enseignants d’université qui ont enquêté auprès des forces de défense et de sécurité gabonaises.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 13/04/2024 à 11h17