Gabon. D’«usine à fabriquer l’avenir», l’Université Omar Bongo forme désormais «des jeunes qui se retrouvent au chômage»

Etudiants de l'Université Omar Bongo dans la bibliothèque universitaire.

Le 12/10/2024 à 15h06

VidéoFleuron de l’enseignement supérieur gabonais, l’Université Omar Bongo fait face à de nombreux défis structurels. Son inadéquation avec les besoins du marché de l’emploi et son absence des classements internationaux interrogent sur la nécessité de repenser son modèle pour former une élite à la hauteur des enjeux de développement du pays.

À l’origine, université nationale du Gabon créée en 1970, l’Université Omar Bongo (UOB) a pris son nom actuel en 1978. C’est donc plus d’un demi-siècle d’existence pour le tout premier établissement public d’enseignement supérieur du Gabon. Véritable creuset de formation de plusieurs générations de cadres locaux, malgré ses problèmes d’ordre structurel et infrastructurel, l’UOB demeure un univers de rêve pour les jeunes bacheliers.

«À l’UOB, c’est vraiment le temple du savoir. Ici, j’ai acquis de nouvelles connaissances. Je suis tombée dans un bon département et je crois que je vais foncer», confie Koumba, une jeune étudiante en Licence 2 au département des sciences de l’information et de la communication, qui souhaiterait devenir journaliste à la fin de ses études.

La jeune Koumba fait partie d’un groupe de travail réuni dans la grande salle de la bibliothèque universitaire. Ce matin-là, chacun des jeunes étudiants tient à partager son expérience académique. C’est le cas de Farelle, 23 ans, elle aussi inscrite au département des sciences de l’information et de la communication de l’UOB. «C’est vraiment une expérience très enrichissante. À l’université, on apprend à devenir autonome, on apprend à s’imposer dans la société et on apprend à donner le meilleur de soi-même», déclare-t-elle.

Cette intime conviction d’appartenir à l’élite de demain cimente le lien social des étudiants. Awa, 18 ans, assurément l’une des plus jeunes de l’équipe, a débarqué à l’UOB après une orientation officielle un peu contre son rêve d’embrasser une carrière de spécialiste du marketing digital. «Je n’ai pas demandé à venir ici. C’est l’État qui m’a envoyée. Je suis désormais au département des sciences de l’information et de la communication. C’est une orientation qui me convient plus ou moins... », avoue-t-elle. Ils sont près de 40.000 étudiants inscrits cette année à l’Université Omar Bongo, pour une capacité d’accueil de 14 000 places.

Mais les ambitions des étudiants se heurtent aux mauvaises conditions d’apprentissage et de travail pour le personnel enseignant. Parmi les nombreux défis de cette institution universitaire figurent l’amélioration des infrastructures d’accueil pour régler la problématique des effectifs pléthoriques d’étudiants et celles de la recherche, réduite presque à l’indigence. Autant de maux d’une gouvernance universitaire à repenser pour redonner à l’UOB ses lettres de noblesse.

Claude Ulrich Bouanga Moussouki, étudiant-chercheur au département d’histoire et archéologie, est l’un des nombreux nostalgiques du cadre de vie et de formation sur le campus de l’Université Omar Bongo. «La restauration et la régularité des bourses assuraient les meilleures conditions de formation à l’étudiant d’hier. Ceux qui revenaient des villages étaient pris en charge par l’État. À la fin de leur cycle ici, ceux qui voulaient poursuivre à l’étranger bénéficiaient de bourses... Mais aujourd’hui, ce n’est vraiment plus le cas. C’est vrai que les étudiants vont toujours à l’étranger, mais il faut avoir des relations pour avoir la chance de bénéficier d’une bourse», se désole-t-il.

L’université invente l’avenir. Elle participe, selon la belle expression de Souleymane Bachir Diagne, à «l’usine de fabrication de l’avenir». Elle produit ceux qui vivront ce futur, ceux qui l’inventeront. Elle forme les acteurs décisifs de l’avenir. Pour les observateurs avertis, il faut repenser l’université gabonaise avec des apprentissages adaptés. «On se rend compte que l’UOB forme des jeunes qui se retrouvent au chômage. Il n’y a pas de recette miracle. Il faut tout simplement plus d’écoles professionnalisantes pour les générations à venir, qui se formeront dans des domaines bien précis en rapport avec les enjeux du développement. Et réserver les universités à la recherche», indique ce jeune diplômé en gouvernance d’État.

L’Afrique et le Gabon en particulier misent sur l’appui des partenaires financiers internationaux pour relever le défi de la formation de leur élite. À ce propos, la Banque africaine de développement s’est engagée en 2018 en Corée du Sud à investir quelque 35 milliards de dollars dans l’industrialisation de l’Afrique, afin de permettre au continent de répondre à l’arrivée massive des jeunes sur le marché de l’emploi.

Un accompagnement de la BAD sur les dix prochaines années qui passe désormais presque sous silence. Les prévisions de l’époque indiquaient que 580 millions de jeunes Africains seraient attendus sur le marché de l’emploi d’ici à 2050. Les plus optimistes estiment que la seule façon de relever cet immense défi est l’industrialisation de l’Afrique. Cette industrialisation n’est pas un choix, mais une voie de salut.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 12/10/2024 à 15h06